Campus n°120

« La laïcité ne doit pas être un but mais un outil pour la paix »

Adoptée en 2012, la nouvelle constitution genevoise a vu apparaître pour la première fois l’adjectif « laïque » dans le texte. Un groupe de travail comprenant des chercheurs de l’université s’est penché sur les conséquences possibles de ce changement

Les attentats sanglants à Paris et à Copenhague ces dernières semaines ont rappelé à quel point la paix religieuse est un préalable indispensable à la paix sociale. Et l’outil le plus efficace pour y parvenir est sans aucun doute la laïcité, que l’on peut résumer à la séparation entre l’Etat et la religion. Or, il se trouve que cette notion est apparue pour la première fois en toutes lettres dans la nouvelle Constitution de la République et Canton de Genève (lire ci-contre la teneur de l’article 3). Créé par le Conseil d’Etat, un Groupe de travail sur la laïcité (GTL) s’est alors penché sur les répercussions que pourrait avoir ce changement pour l’administration dans ses relations avec le religieux. Il a rendu son rapport en septembre 2014 et a été suivi par une phase de consultation qui s’est terminée en janvier. Michel Grandjean, professeur à la Faculté autonome de théologie, a fait partie du GTL.

«Les membres du GTL, qui comprend des représentants de l’Etat et de certaines communautés religieuses ainsi que des chercheurs, sont tombés d’accord sur le fait que la laïcité ne doit pas être un but en soi mais un instrument pour construire la paix sociale, précise d’emblée Michel Grandjean. Elle n’implique donc pas un divorce total entre l’Etat et la religion mais demande un dialogue constructif entre les deux. Nous avons donc dressé l’inventaire de tous les secteurs de la vie publique où cette notion pouvait avoir un impact puis nous avons rédigé des propositions de changement de loi.»

L’un de ces secteurs est celui de la contribution ecclésiastique. Celle-ci est actuellement perçue de manière volontaire via la déclaration d’impôts – et atteint ainsi toute la population genevoise – pour le compte des trois seules Eglises reconnues publiques, à savoir les Eglises protestante, catholique romaine et catholique chrétienne. Laisser cette mesure inchangée n’est à l’évidence pas conforme à l’esprit laïque de la Constitution ni de nature à renforcer la paix confessionnelle.

Le GTL a balancé entre deux solutions : supprimer simplement cette disposition ou l’élargir à toutes les autres communautés religieuses du canton qui en font la demande. La première possibilité a finalement été écartée au motif qu’elle aurait induit des inégalités entre les communautés qui n’ont pas toutes les mêmes ressources financières. Par ailleurs, la gestion de ce service proposé par l’administration est couverte par le prélèvement d’une taxe de 2 %. En d’autres termes, l’Etat ne perd pas d’argent dans l’opération et ne risque pas de subventionner indirectement une quelconque activité cultuelle.

D’abord citoyen, ensuite fidèle Du coup, se pose la question de savoir ce qu’est une «communauté religieuse». «Cette définition, ce n’est en tout cas pas à l’Etat de la donner, note Michel Grandjean. C’est aux communautés religieuses qu’il revient de se revendiquer comme telle. Celles-ci, si elles désirent bénéficier d’un statut officiel, doivent cependant remplir au moins deux conditions. Elles ne peuvent pas poursuivre de but lucratif et elles doivent déclarer leur intention de respecter le droit fédéral et cantonal ainsi que la Convention européenne des droits de l’homme. En d’autres termes, les individus sont d’abord des citoyens et ensuite des fidèles.»

Les sectes qui refusent de publier leurs comptes ou les groupements intégristes qui placent leurs croyances au-dessus des lois ne pourront ainsi pas, d’après les propositions du GTL, bénéficier de relations privilégiées avec l’Etat. Ces relations sont notamment indispensables pour pouvoir entretenir des aumôneries dans des lieux où des individus sont restreints dans leur liberté de pratiquer leur religion, essentiellement les hôpitaux et les prisons. Dans ce dernier cas, le GTL précise que les aumôniers, pourtant mis en cause en France pour leur implication dans la radicalisation de certains djihadistes, jouent avant tout un rôle pacificateur précieux et maintes fois démontré durant les périodes de tension importante qui surviennent dans l’univers carcéral entre détenus et gardiens ou entre communautés ethniques et religieuses différentes. Il ne s’agit pas pour l’Etat de payer leur salaire mais de leur faciliter la tâche en mettant à leur disposition des locaux par exemple.

Autre sujet de préoccupation : l’espace public. Depuis quelques années, par exemple, des citations bibliques fleurissent épisodiquement en grand format sur les murs de la ville à l’initiative de certains mouvements évangéliques. Pour le GTL, il n’est pas question d’interdire la publicité religieuse mais de donner aux autorités la possibilité de le faire le cas échéant. «Quelques versets ne heurtent personne, estime Michel Grandjean. Mais si les chrétiens, les musulmans, les juifs et, pourquoi pas, les athées profitent de l’espace d’affichage pour engager une guerre des citations, il va sans dire que cela menace la paix religieuse au profit de ceux qui ont les plus grands moyens. L’Etat doit avoir les moyens d’y mettre le holà.»

Concernant le port d’un voile intégral (burka), le GTL préconise de rappeler l’obligation citoyenne de montrer son visage à autrui quand on est dans l’espace public, quitte à ménager des exceptions pour les touristes qui ne sont que de passage à Genève. Quant au port de signes religieux de manière plus générale, l’Etat étant sans religion, ses représentants en contact avec le public (enseignants, fonctionnaires aux guichets, agents de police, etc.) se doivent d’adopter la même position de neutralité confessionnelle : exit donc la kippa, le voile ou la croix.

De manière générale, les propositions, disponibles sur le site Internet de l’Etat*, évoquent des aménagements de la loi, des retouches de ce qui existe déjà, évitant un maximum de légiférer. «L’état d’esprit qui domine dans la procédure en cours, est de ne surtout pas allumer d’incendie là où il n’y en a pas, précise André Castella, du Secrétariat général du Département de la sécurité et de l’économie. A Genève, les choses ne se passent pas si mal entre individus d’origine et de religions différentes. Ne créons surtout pas de problèmes là où il n’y en a pas en légiférant à tour de bras.»

* is.gd/IbaO3W