Campus n°121

Ces laboratoires qui préparent la médecine de demain

Un grand nombre d’études menées dans les Facultés des sciences et de médecine peuvent avoir des retombées pour la lutte contre le cancer. En voici deux exemples

De nombreuses équipes de l’Université de Genève travaillent, de près ou de loin, à une meilleure compréhension de la biologie du cancer. Les domaines de recherche concernés sont nombreux: la biologie moléculaire, la biologie cellulaire, la génétique, l’immunologie, le métabolisme… Même s’il s’agit en général de recherches très fondamentales dont les éventuelles retombées thérapeutiques sont à l’heure actuelle imprévisibles, c’est dans ces laboratoires que se prépare la médecine de demain. Voici l’exemple de deux groupes, parmi d’autres, particulièrement actifs dans la lutte contre les tumeurs malignes: celui de Thanos Halazonetis, professeur au Département de biologie moléculaire (Faculté des sciences), et celui de Monica Gotta, professeure au Département de physiologie cellulaire et métabolisme (Faculté de médecine).

Réplication de l’ADN

L’équipe de Thanos Halazonetis s’intéresse aux différences existant entre les cellules saines et cancéreuses et en particulier à celles qui apparaissent lors du mécanisme de réplication de l’ADN qui se met en route à chaque division cellulaire. Il se trouve que dans une cellule normale ce processus visant à copier les brins de la double hélice d’ADN se déroulent sans anicroche et à une vitesse plus ou moins constante. En revanche, dans les cellules précancéreuses, cette duplication est sans cesse interrompue. Chaque arrêt est associé à des dommages sur l’ADN qui doivent être réparés avant que la réplication puisse reprendre.

Ces arrêts et redémarrages constants, appelés «stress de la réplication de l’ADN», sont sources de mutations génétiques. Les recherches de Thanos Halazonetis dans ce domaine lui ont permis d’élaborer un modèle expliquant l’inexorable dégénérescence d’une cellule tumorale.

Le tout commence par la mutation d’un gène impliqué dans la prolifération cellulaire. Lorsqu’un tel oncogène (plusieurs ont été identifiés) subit des changements accidentels dans sa séquence, son fonctionnement s’altère et il peut entraîner une multiplication incontrôlée de la cellule. En même temps, il génère le fameux stress de la réplication de l’ADN qui est à son tour responsable de l’apparition d’encore plus de mutations qui s’accumulent dans le génome de la cellule. Cette situation crée une instabilité génétique croissante qui permet, in fine, à la cellule d’échapper à l’apoptose, c’est-à-dire à la mort cellulaire. Quelques mutations supplémentaires suffisent alors pour que se poursuive le développement fatal de la tumeur.

«Notre modèle est basé sur des données expérimentales, explique Thanos Halazonetis. Dans notre laboratoire, nous avons étudié toutes les étapes sur des cellules dont nous avons suivi l’évolution sur plusieurs semaines. Les observations correspondent à notre théorie qui est maintenant bien acceptée par la communauté scientifique

Ces recherches ont également permis d’identifier une cible thérapeutique potentielle. Les dommages sur l’ADN associés aux arrêts du processus de réplication sont d’un type particulier et déclenchent un mécanisme biomoléculaire de réparation que Thanos Halazonetis et son équipe ont publié dans la revue Science du 3 janvier 2014. «Si l’on parvient à bloquer ce processus de réparation, la cellule ne peut plus répliquer son ADN, précise le chercheur. En théorie, cela devrait stopper la prolifération de la cellule cancéreuse.»

Fuseau mitotique Monica Gotta, quant à elle, s’intéresse à la division cellulaire proprement dite. Ce processus met en œuvre une machinerie complexe que les scientifiques sont encore loin de comprendre intégralement. Car il s’agit non seulement de répliquer l’intégralité de l’ADN mais aussi d’en distribuer une copie dans chaque cellule fille. Sans même parler de tous les autres ingrédients contenus dans le cytoplasme. «Il se trouve que le partage de l’ADN ne se fait pas toujours correctement, explique la chercheuse. Au final, certaines cellules en contiennent parfois plus que prévu. Et il existe un lien entre cette anomalie et les cellules cancéreuses

L’un des axes de recherche de Monica Gotta, en collaboration avec le groupe de Patrick Meraldi, professeur associé au sein du même département, est le fuseau mitotique. Cette belle et délicate structure, qui se crée dans la cellule au moment où elle va se diviser, permet aux deux copies de l’ADN de se séparer correctement et de constituer les noyaux des futures cellules filles. Un très grand nombre de protéines différentes sont mobilisées pour construire ce fuseau, un chantier mille fois répété que la chercheuse étudie en laboratoire sur des cellules du nématode Caenorhabditis elegans et humaines. En interférant artificiellement sur l’action des protéines impliquées dans la division cellulaire, elle cherche notamment à comprendre quels sont les mécanismes à l’origine des erreurs qui se produisent lors de cette opération et qui surviennent à un taux anormalement élevé dans les cellules cancéreuses.

Viser le processus de division cellulaire n’est pas une nouveauté dans le traitement du cancer. Les chimiothérapies existantes ont toutes cet objectif, et certaines d’entre elles agissent sur le fuseau mitotique en empêchant les microtubules qui le composent de se former. «Le problème, c’est que ces thérapies chimiques attaquent aussi bien les cellules saines qui se divisent (celles des follicules pileux et les globules blancs, par exemple) que les cellules cancéreuses, précise Monica Gotta. Pire: les tumeurs, à force de muter, développent progressivement une résistance aux chimiothérapies. Avec une meilleure compréhension des mécanismes de la division cellulaire, on pourra identifier de nouvelles cibles qui pourraient constituer une solution à cette résistance. L’idéal, bien sûr, serait de découvrir des cibles qui soient spécifiques aux cellules qui se divisent de façon erronée, ce qui est une caractéristique des cancers.»