Campus n°124

Le microbiote : cet « alien » qui nous veut du bien

Sous l’ action du froid, la flore intestinale est capable d’induire des changements métaboliques dans l’organisme qui l’ abrite, permettant à ce dernier de se préparer à une plus forte demande en énergie

Généreux, l’être humain offre l’asile à des milliards de microbes de toutes sortes qui peuplent son tube digestif. Mais il y trouve largement son compte, comme le reste des mammifères d’ailleurs. Dans un article paru dans la revue Cell du 3 décembre, l’équipe de Mirko Trajkovski, professeur assistant au Département de physiologie cellulaire et métabolisme (Faculté des sciences), a en effet montré que, chez la souris, l’ensemble de ces microorganismes (bactéries, archées, levures ou virus) peuplant l’intestin et que les scientifiques désignent comme le microbiote joue un rôle essentiel pour le métabolisme, notamment par temps de grand froid. Durant ces périodes où chaque calorie devient plus précieuse, il est, à lui seul, capable de maintenir un apport énergétique optimal chez ce rongeur. Comme un véritable alien qui nous voudrait du bien, le microbiote induit des changements dans les cellules adipeuses qui stockent les graisses, augmente la sensibilité à l’insuline et, plus surprenant encore, modifie la forme de l’intestin de telle façon que sa surface interne est agrandie, ce qui augmente la capacité d’absorption des aliments.

Composition propre La symbiose entre l’être humain et le microbiote se met en place au moment de la naissance. Le mode de délivrance (par voie naturelle ou par césarienne) détermine déjà en partie la future composition de la population de microbes. Celle-ci se développe avec le temps, se transforme légèrement et, après un peu plus d’un an, se stabilise. Chaque individu possède donc un contenu bactérien qui lui est propre, mais celui-ci peut encore changer en fonction du mode de vie.

«Certains scientifiques considèrent le microbiote comme un organe supplémentaire, note Mirko Trajkovski. Un organe pratique puisque si on l’enlève, il revient tout seul.»

On peut en effet vivre sans microbiote, mais cela exige des conditions parfaitement stériles dès la naissance ou l’administration de doses d’antibiotiques à large spectre pour détruire toute la flore intestinale. Des souris de laboratoire sont parfois soumises à de telles conditions pour les besoins des expériences.

«On connaît l’existence du microbiote depuis longtemps, précise Mirko Trajkovski. Mais cela ne fait que quelques années que l’on étudie sa fonction métabolique plus en détail. On s’est ainsi rendu compte que des altérations de sa composition sont associées à de nombreuses maladies (l’asthme, l’arthrite, l’autisme ou encore l’obésité) et même que la population bactérienne de l’intestin peut influencer le métabolisme du corps entier en affectant la balance énergétique.»

En particulier, le microbiote d’une souris obèse présente une composition différente de celui d’un individu normal. «On sait qu’un changement de régime alimentaire modifie la flore intestinale, poursuit Mirko Trajkovski. Mais on sait aussi qu’en transplantant la flore intestinale d’une souris obèse dans l’intestin d’un animal «normal» mais élevé dans des conditions aseptisées, celui-ci engraisse à son tour. En d’autres termes, un microbiote d’obèse suffit à induire l’obésité.»

Eliminer le microbiote Dans un article précédent paru dans la revue Nature Medicine du mois de décembre 2015, le chercheur genevois a montré l’effet inverse, c’est-à-dire que l’élimination totale du microbiote a comme conséquence, chez des souris obèses, de favoriser le «brunissement» de leurs cellules adipeuses blanches, c’est-à-dire de promouvoir l’apparition d’adipocytes «beiges» dont la fonction consiste non plus à stocker mais à brûler des calories afin de produire de la chaleur, et de permettre à l’organisme de maintenir une température de 37 °C. Cette transformation, due à un mécanisme immunitaire identifié par les chercheurs, conduit à une augmentation de la tolérance au glucose et de la sensibilité à l’insuline tout en diminuant la masse graisseuse des rongeurs. Bref, dans le cas présent, éliminer le microbiote revient à améliorer l’état métabolique des souris. Le traitement, basé sur des doses importantes d’antibiotiques, est cependant difficilement transposable tel quel chez l’être humain.

Quoi qu’il en soit, le brunissement des adipocytes blancs est un phénomène naturel bien connu qui s’observe chez des individus exposés de manière prolongée au froid ou pratiquant de l’exercice physique. C’est pourquoi les chercheurs genevois, associés à des collègues de Berne et de Zurich, ont décidé d’étudier l’influence des températures basses sur la composition du microbiote ainsi que le rôle de celui-ci dans le métabolisme.

Les chercheurs ont donc soumis durant plusieurs jours des souris à une ambiance hivernale de 6 °C. Premier constat: la composition de la flore intestinale se modifie de manière spectaculaire, certaines espèces étant favorisées au détriment d’autres. Le changement est par ailleurs beaucoup plus marqué que dans le cas de l’obésité.

Les chercheurs ont ensuite transplanté ce «microbiote froid» dans des souris aux intestins stériles. Cette manipulation s’est révélée suffisante pour augmenter la sensibilité à l’insuline et pour déclencher le processus transformant les cellules adipeuses blanches en adipocytes beiges. Ces changements se traduisent par une dépense énergétique accrue et un ralentissement significatif de la prise de poids. Autre différence: tandis que les souris normales voient leur température baisser un petit peu lorsqu’il commence à faire froid avant de remonter à la normale, les animaux transplantés ne passent pas par cette étape. Ils sont immédiatement préparés aux conditions hivernales.

Ce n’est pas tout. Normalement, lorsque l’exposition à des températures hivernales se prolonge, le ralentissement de la prise de poids s’atténue grâce à des mécanismes adaptatifs qui maximisent l’absorption de calories. Après une série d’expériences, les chercheurs ont d’abord remarqué chez les souris soumises au froid que les intestins, ainsi que les microvillosités situées sur leur paroi interne, s’allongent, multipliant ainsi la surface d’absorption des aliments.

Les intestins grandissent «Le plus surprenant, c’est que la transplantation du microbiote froid dans des intestins de souris stériles permet, elle aussi, d’obtenir le même résultat, souligne Claire Chevalier, doctorante dans l’équipe de Mirko Trajkovski et première auteure de l’article de Cell. Par la seule présence de la flore intestinale modifiée par le froid, la surface interne des intestins s’agrandit considérablement.»

Finalement, les chercheurs ont identifié une des souches bactériennes dont la population diminue le plus sous l’action du froid. Il s’agit d’Akkermansia muciniphila, une bactérie de la flore intestinale déjà connue pour son implication dans le diabète et l’obésité. En rajoutant artificiellement cette espèce dans les intestins des souris exposées au froid ou de celles ayant reçu le microbiote froid, l’intestin des souris n’augmente plus sa taille, suggérant que la bactérie joue un rôle dans la déformation de l’organe digestif.

«Ces résultats indiquent que le microbiote est capable d’orchestrer tout seul le maintien de l’équilibre énergétique, s’enthousiasme Mirko Trajkovski. En réalité, mammifères et microbiote ont évolué ensemble. Durant des millions d’années, les deux partenaires ont optimisé le processus d’absorption des calories lors des périodes de forte demande énergétique.»

La recherche dans ce domaine pourrait servir au traitement de maladies métaboliques comme l’obésité ou le diabète. L’idée consisterait à agir sur le microbiote (le transformer, le renouveler ou autre) pour obtenir des résultats plus généraux. Dans tous les cas, le fait que l’intestin puisse changer de taille avec une telle amplitude rien qu’en modifiant la composition de la flore intestinale a de quoi faire rêver les médecins.

Anton Vos