Campus n°125

Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima : tu me fonds le cœur !

Retour sur les trois accidents majeurs de l’ère nucléaire qui ont vu des réacteurs entrer en fusion et se transformer en bombes en puissance

L’histoire compte trois accidents nucléaires au cours desquels le cœur d’un réacteur a fondu, transformant littéralement la centrale en une bombe en puissance: Three Mile Island en Pennsylvanie, Tchernobyl en Ukraine et Fukushima au Japon. Chaque catastrophe a eu des conséquences environnementales et sanitaires très diverses. Elles ont également toutes apporté leur lot d’enseignements. Schématiquement, la première a montré l’importance vitale de pouvoir connaître à tout instant l’état exact de tous les éléments d’un réacteur nucléaire. La deuxième a mis en évidence qu’il convient de suivre les protocoles de sécurité en toutes circonstances même – et surtout – lorsque des supérieurs donnent l’ordre de mener des expériences. Et on retient de la troisième que l’on ne peut se fier indéfiniment à la chance et qu’il est possible que deux catastrophes majeures s’abattent en même temps sur une installation. Explications avec Martin Pohl, professeur au Département de physique nucléaire et corpusculaire (Faculté des sciences), qui a pris l’habitude de présenter ces trois exemples chaque année à ses étudiants en physique.

Three Mile Island «Le 28 mars 1979 à 4h37 du matin, la centrale de Three Mile Island, située à 140 km de Philadelphie, subit un incident assez banal, raconte Martin Pohl. Un filtre se bloque et entraîne l’arrêt du système de refroidissement secondaire et donc du réacteur. Les réactions de désintégration en chaîne s’interrompent, mais la radioactivité continue d’entretenir une chaleur résiduelle importante qui fait monter la pression dans le système de refroidissement primaire. Malheureusement, à cause d’une défaillance des voyants de contrôle, les opérateurs reçoivent de mauvaises indications sur la position d’une vanne. Mal préparés à cette éventualité, ils prennent les mauvaises décisions. Résultat: le cœur surchauffe et entre en fusion. Heureusement, l’enceinte de confinement tient le coup.»

Les autorités réagissent rapidement. Le site est évacué à 11h. Malgré une fuite de gaz radioactif dans l’atmosphère, la situation se stabilise lorsqu’on se rend compte qu’une importante bulle d’hydrogène s’est formée dans le bâtiment du réacteur. Si elle n’explose pas, c’est parce qu’il n’y a pas d’oxygène. On ordonne alors une évacuation plus importante de la région et le 30 mars, 140 000 personnes quittent la zone située à moins de 20 miles de la centrale. La bulle d’hydrogène est finalement réduite. Le cœur est alors lentement refroidi, démantelé et stocké dans l’Idaho. La contamination radioactive de la population est restée faible – officiellement du moins. Ce que tendent à confirmer des études épidémiologiques qui peinent à détecter une augmentation des cas de cancer et encore plus à établir un lien avec l’accident.

Quoi qu’il en soit, cet événement marque la fin d’une croissance américaine soutenue dans la construction de centrales nucléaires. A partir de cette date, plus aucune nouvelle installation ne sera autorisée aux Etats-Unis jusqu’en 2012. «L’accident a mis en évidence l’importance de la préparation des opérateurs et, surtout, du suivi, sans faille et à tout instant, de l’état du réacteur, commente Martin Pohl. C’est absolument essentiel pour des machines aussi complexes qui peuvent s’emballer à tout moment.»

Tchernobyl La leçon de Tchernobyl est autrement plus douloureuse. La catastrophe découle en effet d’une suite de décisions, d’erreurs et de gestes délibérés qui semblent incompréhensibles. Dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, les opérateurs de la centrale ukrainienne reçoivent la consigne de mener un test avec le réacteur numéro 4 pour simuler une panne de courant. Au cours de l’expérience, après une erreur de manœuvre initiale, les techniciens s’obstinent et débranchent un à un les systèmes de sécurité. Ils ignorent consciemment les alarmes successives et passent même en pilotage manuel.

Résultat: le réacteur devient incontrôlable et s’emballe. Lorsque les opérateurs s’en rendent compte, il est trop tard. Des simulations de l’accident réalisées après coup montrent que la puissance thermique du réacteur a dû monter à 30 gigawatts (GW) dix fois plus que le maximum prévu. Une première explosion d’hydrogène éjecte le couvercle du cœur de 2000 tonnes qui traverse le toit du bâtiment. Elle est suivie de près par une seconde, probablement due à l’explosion nucléaire du cœur. Un incendie de graphite se déclare contribuant à la dispersion des matériaux radioactifs. Grâce à l’action de quelques volontaires (tous décédés des suites des radiations), un certain nombre de catastrophes supplémentaires sont évitées, dont l’entrée en contact du cœur fondu avec l’eau d’un bassin situé juste en dessous qui aurait provoqué une explosion supplémentaire.

Le monde n’apprend l’accident que le 28 avril, lorsque le système d’alerte d’une centrale suédoise se déclenche par le passage du panache radioactif de Tchernobyl. La communication soviétique est minimale et la réaction des autorités insuffisante. Il faut attendre un jour avant que la ville voisine de Pripiat soit évacuée. Une zone d’exclusion de 10 km autour de la centrale est établie puis étendue dix jours après à 30 km.

Les conséquences sanitaires et environnementales sont importantes. Le nombre de morts est aujourd’hui encore difficile à chiffrer, mis à part les quelques dizaines de décès intervenus immédiatement après l’explosion sous l’action de radiations intenses. Des milliers, voire des millions de gens (civils habitant sur place ou «liquidateurs» envoyés pour nettoyer le site) reçoivent une dose importante de radiations. Une zone à cheval sur l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie est durablement contaminée. Le cœur du réacteur lui-même, réduit à une sorte de lave solidifiée appelée corium qui s’est écoulée sur la dalle soutenant la centrale, restera actif encore des centaines de millions d’années. Un nouveau sarcophage en métal financé par l’Union européenne est en train d’être installé par-dessus l’ancien qui se détériore afin de confiner les matières radioactives et d’aider au démantèlement.

Depuis cette catastrophe, la technologie particulière utilisée à Tchernobyl (RBMK) a perdu son souffle. A ce jour, cinq réacteurs de ce type ont été fermés, une dizaine de projets abandonnés et les 11 qui demeurent en fonction (tous en Russie) ont subi des modifications afin d’éviter qu’un tel scénario ne se répète.

Fukushima L’accident survenu le 11 mars 2011 à Fukushima au Japon est, quant à lui, placé sous le signe de la malchance. «Je pense que les installations auraient pu résister à chacune des deux catastrophes naturelles qui l’ont provoquée si elles avaient eu lieu séparément, estime Martin Pohl. Leur conjonction n’a en revanche laissé aucune chance au réacteur.»

En effet, un tremblement de terre de magnitude 9 commence par endommager l’enceinte et l’alimentation électrique du complexe Fukushima Daiichi. Les machines sont automatiquement arrêtées et le système de refroidissement poursuit son travail. Cinquante minutes plus tard, le tsunami, avec sa vague de plus de 10 mètres de haut, balaye tout. L’eau détruit l’alimentation électrique, les systèmes de refroidissement secondaire et les générateurs diesel de secours. Un système de refroidissement de dernier recours se met en marche mais est à son tour stoppé à cause de la défaillance de ses batteries.

Les trois cœurs surchauffent et entrent en fusion. De l’hydrogène est produit et provoque des explosions violentes les 12 et 14 mars. En raison de vents favorables, la majorité de la pollution radioactive est poussée vers l’océan. Des pluies provoquent néanmoins la contamination d’une large zone de 40 km à l’intérieur des terres. Malgré des infrastructures et des transports en grande partie détruits, les autorités parviennent à évacuer efficacement 200 000 personnes en trois jours. Aucun mort n’est imputable à une irradiation excessive.

«Ce genre d’accident oblige les autorités à ne plus exclure la possibilité que deux catastrophes puissent survenir en même temps au même endroit, précise Martin Pohl. En Suisse cela pourrait se traduire par un tremblement de terre important et un arrêt du système de refroidissement. Ou une panne électrique générale et la chute d’un avion sur la centrale.»