Campus n°126

Vers une université connectée et digitalisée

Disposant de nombreux atouts pour faire face aux mutations engendrées par le développement des technologies de l’information et de la communication, l’université de Genève entend se profiler comme un acteur clé dans ce domaine

Guichet unique en ligne, déclaration d’impôt automatisée, aide à la recherche d’emploi via les réseaux sociaux, forums de concertation sur les nouveaux projets urbanistiques : à l’horizon 2020, le canton de Genève sera entré de plain-pied dans l’ère de la cyberadministration. C’est l’objectif défini par la Stratégie des systèmes d’information et de communication de l’administration cantonale que vient de publier le Conseil d’Etat. Face à cette mutation programmée, l’Université est loin de rester immobile : le numérique figure en effet en bonne place dans la stratégie de l’Université et du Rectorat, ce qui se reflète dans la création d’un dicastère Université numérique qui a été confié au vice-recteur Jacques de Werra.
« Les transformations liées à ce que l’on appelle communément la « Révolution numérique » touchent aux trois missions essentielles de l’Université, à savoir la formation, la recherche et le service à la Cité, explique le professeur. En matière d’innovation et en tant que centre d’expertise, notre institution a un rôle clé à jouer dans ce domaine, non seulement à l’échelle de Genève mais aussi sur le plan international. C’est dans cette perspective que le Rectorat travaille à la mise en œuvre d’une stratégie visant à profiler l’UNIGE en tant qu’actrice et leader du monde numérique. »
L’ambition est grande, les attentes également, mais l’institution ne manque pas d’atouts. Pionnière en matière de e-learning, précoce dans la production de MOOC’s (Massive Open Online Courses), elle dispose déjà d’une expérience très riche en matière numérique comme le montre par exemple son service d’archive ouverte performant (permettant la conservation pérenne et la disponibilité des publications scientifiques en ligne des articles scientifiques de la communauté universitaire). Par ailleurs, toutes les facultés et centres sont actifs dans ce domaine : en sciences, en médecine ou dans cette discipline émergente que constituent les « Digital Humanities » et dans nombre d’autres domaines, des chercheurs s’appuient quotidiennement sur le potentiel offert par les technologies de l’information et de la communication et conduisent des recherches sur diverses facettes du numérique (Big Data, business analytics, e-reputation, sciences informatiques, etc.). Signalons aussi le lancement lors de cette rentrée académique de l’outil de formation en ligne InfoTrack qui vise à former les étudiants et à les sensibiliser à la culture informationnelle (https ://infotrack.unige.ch) et d’une application mobile de l’Université. Autant d’initiatives qui contribuent à la vision d’une Université connectée et digitalisée.
« La stratégie numérique de l’Université repose sur deux axes principaux, explique Jacques de Werra. Il s’agit tout d’abord de développer le numérique comme moyen de délivrer des formations, de conduire des recherches et de fournir des services à la communauté universitaire et à la Cité. Mais nous souhaitons également appréhender le numérique en tant qu’objet d’études et de recherche académiques. »
Cela concerne naturellement les domaines de l’économie et des sciences dites « dures », mais également celui de l’éthique et du droit, par exemple. Pour ne pas se laisser dominer par les grands opérateurs nord-américains et retrouver un certain contrôle sur la situation, il faudra en effet inventer des modes de régulation, édicter des règles d’usage et de comportement sur l’utilisation des données, la propriété intellectuelle ou, plus globalement la gouvernance d’Internet (lire ci-dessous).
Autre axe important : la participation des étudiants et, plus largement des citoyens, qui est appelée à s’intensifier au travers du crowd sourcing scientifique. L’idée, dans le cas présent, est d’ouvrir des thématiques de recherche à de larges cercles afin de contribuer à l’avancement de la science. C’est dans cette démarche que s’inscrit le Citizen Cyber Science, un laboratoire citoyen animé par des chercheurs d’Unitar (l’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche), du CERN et de l’UNIGE dont l’objectif est de développer de nouvelles formes de participation du public à la recherche scientifique.
Concrètement la mise en œuvre de la stratégie de l’Université numérique reposera sur le lancement d’un certain nombre de nouveaux projets qui doivent encore être sélectionnés et priorisés. Parmi ceux-ci, on peut citer, pêle-mêle, la création d’une formation transversale en matière numérique, l’organisation d’une série de conférences publiques sur le sujet, la mise sur pied de workshops ou de cours en ligne ciblés à destination tant des scientifiques que des étudiants et des collaborateurs, le développement de solutions hybrides efficaces de cluster, cloud et autres crowd computing, ou encore le soutien de projets visant à numériser des collections scientifiques.
Pour assurer la visibilité des diverses actions menées sous l’égide du projet, la réalisation d’un site web dédié est par ailleurs prévue. Enfin, un poste de responsable du numérique à l’Université sera mis en place (sachant que certaines universités ont nommé un « Chief Digital Officer ») dont le titulaire aura pour mission d’assurer la mise en œuvre et la coordination de la stratégie numérique de l’Université. « Il n’y a pas pour autant de volonté de tout centraliser. Le processus doit continuer de fonctionner selon le principe du bottom up, précise Jacques de Werra. Il y a toute une série de projets qui sont conduits de manière indépendante par les facultés, centres et divisions de l’Université et qui continueront à l’être. Ce que nous souhaitons, c’est de soutenir et de coordonner ces efforts et de créer des liens entre les projets et chercheurs afin de favoriser des activités et réflexions transversales. »

Genève, capitale mondiale de l’« e-diplomatie »


Selon certaines statistiques, plus de la moitié des décisions concernant Internet sur le plan global seraient aujourd’hui prises à Genève. De là à imaginer que la Cité de Calvin puisse devenir la capitale mondiale de la diplomatie numérique, il n’y a qu’un pas, que le Conseil d’Etat a décidé de franchir en faisant figurer cet objectif dans sa « stratégie économique 2030 », Genève bénéficiant en effet d’une position privilégiée sur l’échiquier global numérique, de par la présence de nombreux acteurs de la gouvernance d’Internet (p.ex. le World Economic Forum et l’Union Internationale des Télécommunications).
L’Université compte bien contribuer activement à cet ambitieux objectif, grâce à l’expertise de ses chercheurs et à ses liens avec les acteurs globaux du numérique dans le cadre de la Genève internationale.
Elle a ainsi décidé de rejoindre la Geneva Internet Plateform (GIP) en 2015. Lancée et soutenue par le Département fédéral des affaires étrangères et l’Office fédéral de la communication, la GIP est une institution reconnue et appréciée en matière de gouvernance d’Internet. «Cette participation constitue un outil important qui permet de profiler et de rendre visible l’Université de Genève et de nouer des précieux contacts avec des acteurs de la gouvernance numérique globale, commente Jacques de Werra, vice-recteur en charge de la stratégie numérique de l’Université. C’est un point essentiel dans un domaine où les projets ne peuvent souvent avancer que grâce à des consultations très larges dans lesquelles sont émises des positions parfois très divergentes et où il s’agit davantage d’imaginer des mécanismes susceptibles d’être acceptés par tous que d’imposer des solutions. Or, dans ce type de processus, l’Université est une des rares institutions susceptibles d’offrir un forum et un espace de débat neutre. »
Proposant depuis 2014 une Summer School consacrée au droit de l’Internet, l’UNIGE compte par ailleurs contribuer activement à la réflexion académique et politique autour du développement de principes juridiques visant à la résolution de litiges sur Internet en apportant un certain nombre d’idées novatrices, visant notamment à résoudre les très nombreux litiges qui peuvent opposer des internautes aux plateformes comme Google ou Facebook (pour lesquels le concept de Massive Online Micro Justice – MOMJ – a été développé).