Campus n°130

La Suisse, pays de la migration heureuse

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la plupart des étrangers installés en suisse le sont pour des raisons professionnelles et plus des deux tiers d’entre eux se disent satisfaits de leur choix. Tels sont les premiers résultats d’une vaste étude menée par le pôle de recherche national « on the move ».

Le solde migratoire de la Suisse par rapport à l’Union européenne est à son plus bas niveau depuis 2006 selon les données publiées cet été par le Secrétariat d’état à l’économie (Seco). De là à évoquer une baisse de l’attractivité du pays, il n’y a qu’un pas que de nombreux médias nationaux se sont empressés de franchir. Ce n’est pourtant pas l’image qui se dégage des premiers résultats de la vaste enquête sur les conditions de vie des migrants installés en Suisse menée dans le cadre du Pôle de recherche national « On the Move » (lire ci-contre). Première du genre, l’étude, qui a fait l’objet en juillet dernier d’un rapport préliminaire portant sur une dizaine d’indicateurs, visait à cerner l’état d’esprit des étrangers qui ont choisi de vivre chez nous. Elle reflète un niveau de satisfaction et d’attachement qui de l’aveu même des chercheurs s’avère surprenant.

Nouveaux flux « La migration a connu une profonde mutation ces dix dernières années en Suisse, explique Philippe Wanner, professeur à l’Institut de démographie et de socioéconomie (Faculté des sciences de la société) et vice-directeur du PNR « On the Move ». Autrefois, elle concernait essentiellement des migrants peu qualifiés qui venaient, pour des séjours relativement longs, travailler dans des secteurs comme la construction, la restauration ou l’agriculture. Aujourd’hui, avec l’interconnexion croissante des marchés nationaux et mondiaux, la mobilité est devenue plus temporaire et concerne également des personnes hautement qualifiées. C’est la nature de ce changement que visait à saisir cette étude. »
Portant sur un échantillon de 6000 personnes arrivées en Suisse depuis 2006, qui ont été interrogées via un questionnaire en ligne à la fin 2016, l’enquête se concentre principalement sur des questions subjectives qui échappent traditionnellement au regard statistique. Ces ressortissants viennent de 11 pays ou régions : Allemagne, Autriche, France, Italie, Royaume-Uni, Espagne, Portugal, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Inde et Afrique de l’Ouest.

L’attractivité demeure Il en ressort que, dans plus de la moitié des cas (52 %), la Suisse constitue la première expérience à l’étranger. Près des deux tiers des répondants (62 %) affirment par ailleurs que leur venue en Suisse a été motivée par des raisons professionnelles, la majorité d’entre eux disposant d’ores et déjà d’un contrat de travail au moment de quitter leur pays d’origine.
« Ces résultats montrent que les opportunités de travail offertes par la Suisse demeurent attractives, analyse Philippe Wanner. Et même lorsqu’elles ne sont pas meilleures que dans le pays d’origine (notamment aux États-Unis, où les salaires sont équivalents), elles représentent une expérience qui reste bonne à faire valoir sur un CV. »
Sur le plan de la satisfaction, ils sont 70 % à associer l’immigration en Suisse à une amélioration de leur situation professionnelle, tandis que seuls 12 % ressentent un sentiment inverse. De ce point de vue, les chercheurs ont cependant constaté des différences importantes en fonction de l’origine ou du genre. En règle générale, les ressortissants venus d’Europe du Sud se montrent ainsi plus positifs que ceux issus des Amériques ou du Royaume-Uni, tandis qu’au sein de la communauté indienne, par exemple, l’amélioration de la situation concerne essentiellement les hommes.

De la place pour tous Des disparités qui se retrouvent sur le plan du niveau de formation. Le taux de diplômés universitaires dépasse ainsi les 90 % pour les pays anglophones (97 % pour l’Inde), tandis qu’il est de plus de 65 % pour l’Allemagne, l’Autriche et la France, de plus de 50 % pour l’Italie et l’Amérique du Sud, de 42 % pour le Portugal et de 22 % pour l’Afrique de l’Ouest.
« Cette migration duale ne fait en aucun cas concurrence aux natifs, commente Philippe Wanner. Depuis plusieurs années, l’économie suisse connaît une croissance du nombre d’actifs et donc de postes. Le nombre de natifs restant constant, ces derniers ne parviennent pas à répondre pleinement aux besoins du marché du travail. C’est vrai au niveau des universitaires mais aussi dans les métiers qui demandent une qualification moindre, emplois qui n’intéressent plus les jeunes Suisses. Il y a donc suffisamment de place pour tout le monde. »
Considérée comme bénéfique pour une économie hautement productive comme celle de la Suisse, la migration semble malgré tout rester difficile à accepter pour une partie non négligeable de la population locale. Dans le cadre de l’étude, un immigrant sur trois a ainsi déclaré avoir déjà vécu une situation de préjudice ou de discrimination, le chiffre grimpant à 52 % pour les Africains de l’Ouest, tandis qu’il plafonne à 24 % au sein de la communauté autrichienne.
Ce climat parfois teinté de méfiance, voire d’hostilité n’empêche pas 40 % des sondés de déclarer ressentir un fort sentiment d’appartenance à la Suisse, les Français et les Sud-Américains se sentant même plus attachés à leur pays d’accueil qu’à leur patrie.
Enfin, l’étude révèle que quatre migrants sur dix ont l’intention de déposer une demande de naturalisation suisse (contre 27 % qui ne le souhaitent pas et 34 % qui n’ont pas encore arrêté leur choix). Sur ce sujet, ce sont les Africains de l’Ouest et les Sud-Américains qui se montrent les plus motivés (avec des taux respectifs de 69 % et 62 %), alors que l’Autriche et le Portugal sont les deux seuls pays où les personnes n’ayant pas l’intention de faire une demande de naturalisation sont majoritaires.
Le processus de naturalisation s’apparentant souvent à une odyssée homérique, seules 2 % des personnes interrogées avaient cependant déjà entamé une démarche active en ce sens. « C’est typiquement le genre de sujet qui demandera une analyse en profondeur au cours des prochaines années, conclut Philippe Wanner. D’ici à 2018, nous allons ainsi relancer un questionnaire afin de disposer d’un suivi dans la durée. Dans l’intervalle, une dizaine de scientifiques sont aujourd’hui occupés à développer divers aspects de cette recherche qui devrait faire l’objet d’un livre à la fin de l’année prochaine. »
Vincent Monnet


http ://nccr-onthemove.ch/research/migration-mobility-survey/migration-mobility-survey-fr/