Le jeu vidéo d’action, bon pour la tête
Jouer quelques heures par semaine à des jeux vidéo d’action suffit à améliorer ses facultés cognitives spatiales, attentionnelles et perceptives. La preuve par une méta-analyse réalisée par des chercheurs genevois.
La pratique régulière des jeux vidéo d’action a un effet positif sur certaines facultés cognitives. Telle est la conclusion d’une méta-analyse parue dans la revue Psychological Bulletin et qui reprend et traite les données de l’ensemble des études traitant du sujet réalisées entre les années 2000 et 2015. Dans ce travail, qui a l’ambition de refléter l’état actuel de la connaissance dans ce domaine, Daphné Bavelier et Benoit Bediou, respectivement professeure et chercheur à la Section de psychologie (Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation), en collaboration avec des collègues aux États-Unis, montrent qu’une intense pratique ou, dans une moindre mesure, un bon entraînement à un jeu tel que Call of Duty ou Grand Theft Auto améliorent de manière significative certaines facultés cognitives spatiales, attentionnelles et perceptives.
« Les personnes jouant depuis longtemps et fréquemment (des centaines d’heures au total) présentent une augmentation moyenne de leur cognition globale d’un demi écart-type par rapport à une population de non-joueurs, précise Benoit Bediou, premier auteur de l’article. Un demi écart-type est une notion statistique qui, dans notre cas, correspond à une différence modérée mais significative. Cette partie de la méta-analyse compte plus de 8000 participants. »
Profil cognitif
Les chercheurs ont également analysé en particulier les études dites interventionnelles qui incluent des volontaires qui ne sont pas des joueurs assidus mais qui, pour l’occasion, ont été entraînés à cette pratique durant plusieurs mois. Cette précaution permet d’éviter le biais selon lequel une grande partie des joueurs chevronnés présenteraient, dès le départ, un profil cognitif plus élevé que la moyenne et auraient, pour cette raison, plus de facilité et de plaisir que les autres à s’adonner à de tels passe-temps.
« Pour ce deuxième ensemble d’études, qui englobe plus de 3700 participants, nous avons mis en évidence une amélioration moyenne de la cognition d’un tiers d’écart-type, poursuit Benoit Bediou. Cet effet est sensiblement moins important que le premier. Mais il est étonnant de mesurer un effet somme toute assez robuste après des entraînements totalisant dans certains cas seulement huit heures de pratique distribuée sur une semaine. »
Concrètement, les amateurs de jeux vidéo d’action ont obtenu des résultats en moyenne supérieurs à la population « normale » dans des tests mesurant la cognition spatiale (rotation mentale d’objet, mémoire spatiale, navigation spatiale…), le contrôle attentionnel (la capacité à déterminer sur quoi on doit porter son attention et ce que l’on peut ignorer) ou encore la perception (sensibilité auditive spatiale et temporelle, précision du champ visuel…). Les performances en matière de multitasking, la capacité à faire plusieurs choses en même temps, sont elles aussi améliorées tout comme, de manière plus surprenante, la cognition verbale, soit par exemple la capacité à mémoriser à court terme des listes de mots.
« Le jeu vidéo d’action, qui peut être considéré comme un médium d’apprentissage, change plusieurs aspects de la cognition à la fois, ce qui est assez rare, commente Daphné Bavelier. Pour expliquer ces impacts multiples, nous suggérons que les joueurs assidus deviennent très bons lorsqu’il s’agit d’apprendre de nouvelles tâches, en particulier grâce à l’amélioration de ce contrôle attentionnel. Ce n’est pour l’instant qu’une hypothèse qui doit encore être vérifiée par des études supplémentaires. Notre méta-analyse, par manque de données, n’a d’ailleurs pas permis de tirer des enseignements sur l’impact des jeux vidéo sur l’intelligence, plus précisément sur les capacités de raisonnement ou de résolution de problèmes. »
Critères stricts
Les chercheurs ont pris soin de ne sélectionner pour leur méta-analyse que les travaux dans lesquels ces tests cognitifs ont été mesurés au moins 24 heures après la dernière séance de jeux. Et ce afin d’éviter les effets immédiats et éphémères liés à l’excitation du jeu et de ne prendre en compte que ceux qui soient durables et consolidés après une nuit de sommeil. Certaines études – rares – ont même cherché à mesurer des influences de la pratique des jeux plusieurs mois voire un ou deux ans après les séances d’entraînement. Mais elles sont difficiles à mettre en œuvre, tout en conservant des conditions de laboratoire.
Et, de manière générale, comme pour tout apprentissage physique ou cognitif, si l’on arrête de s’exercer, les bénéfices s’amenuisent avec le temps.
Le jeu d’action, pour les auteurs de l’article, doit posséder certaines caractéristiques. Il ne doit pas forcément être violent (certains ne le sont pas du tout), mais certainement distrayant. Plus important, il doit, entre autres, allier une vitesse élevée de décision et de réaction avec une mobilisation soutenue d’importantes ressources attentionnelles ciblées sur des tâches qui se succèdent et changent d’échelle rapidement. C’est pourquoi les chercheurs ont commencé leurs investigations à partir de 2000. Avant cette période, en effet, il n’existe quasiment aucune littérature sur le sujet et, de plus, les jeux populaires les plus « actifs » sont représentés par Space Invaders ou Pac-Man, beaucoup trop lents pour entrer dans la catégorie des jeux d’action.
Bien que cela soit encore très peu fréquent, certaines études s’intéressent à l’utilisation des jeux vidéo dans le traitement de certains troubles tels que la dyslexie ou chez les enfants ayant de la peine à lire. Les programmes sont bien sûr adaptés à l’âge des patients – une tendance très récente – et mettent en scène des personnages plus sympathiques, la figure du Lapin crétin, par exemple, que des GI musculeux ou des chauffards tatoués, tout en conservant les caractéristiques essentielles des jeux d’action. Certaines études italiennes montrent qu’une telle activité améliore l’attention des enfants ainsi que leurs aptitudes à l’écriture.
Rassurer les parents
Les effets négatifs sur la cognition ne sont pour l’instant pas démontrés du point de vue scientifique. L’équipe de Daphné Bavelier se penche actuellement sur les aspects émotionnels liés aux jeux vidéo, mais il est encore trop tôt pour tirer des conclusions.
« Pour rassurer les parents éventuellement inquiets pour leur progéniture, il n’est pas nécessaire de pratiquer longtemps des jeux vidéo d’action avant d’en mesurer les effets, avertissent les auteurs qui travaillent déjà sur la prochaine méta-analyse pour tenir compte des dernières avancées dans un domaine qui évolue très vite. Il suffit pour cela de jouer trois à cinq heures par semaine durant quelques mois. Il faut évidemment éviter que cette activité n'empiète sur la vie scolaire et sociale, ce qui représente le principal risque de ce type d’activité. »
Il existe toutefois une catégorie de la population pour laquelle les jeux vidéo d’action actuellement disponibles dans le commerce n’ont aucun bénéfice : les personnes âgées, pour lesquelles ces programmes vont trop vite et qui, ne parvenant pas à suivre, se déprécient rapidement. « En cela, les jeux vidéo sont identiques à n’importe quelle autre méthode d’apprentissage, note Daphné Bavelier. S’ils sont trop difficiles, ils ne servent à rien. Par conséquent, si l’on veut obtenir des résultats positifs chez les seniors, il est nécessaire d’adapter les jeux vidéo d’action à leurs capacités cognitives. Cela n’existe pas encore. Avis aux amateurs, il y a là certainement un marché à prendre. »
Anton Vos