Campus n°133

Certains l’aiment faux

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Sur le réseau social Twitter, les fausses rumeurs circulent
plus vite, plus loin, plus profondément et plus largement que les vraies nouvelles. Entre autres résultats, la vérité met environ six fois plus de temps à atteindre 1500 personnes que le mensonge.

L’être humain aime les rumeurs et il a tendance à préférer les fausses. C’est ce qui ressort d’une étude parue dans la revue Science du 9 mars. Une équipe de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (États-Unis) a analysé environ 126 000 histoires publiées par quelque 3 millions de personnes plus de 4,5 millions de fois entre 2006 et 2017 sur Twitter, la plateforme populaire de microbloging au logo en forme d’oiseau bleu.
Le constat est affligeant : quelle que soit la catégorie choisie (politique, terrorisme, catastrophes naturelles, science, légendes urbaines ou finances), les fausses nouvelles circulent plus loin dans la twittosphère, plus rapidement, plus profondément et plus largement que les vraies.
Les chercheurs ont aussi remarqué que les false news ont l’avantage de paraître plus inédites, ce qui pourrait bien expliquer leur plus large audience – le terme fake news a été volontairement écarté de l’étude, les auteurs estimant que son sens est aujourd’hui galvaudé par certains acteurs politiques.
La circulation de fausses nouvelles a toujours existé, mais elle a pris aujourd’hui une nouvelle dimension avec internet. La diffusion de rumeurs sur les réseaux sociaux est en effet en constante augmentation. Faire le tri entre le vrai et le faux est devenu un effort de tous les instants qui remplace souvent le traditionnel débat basé sur une acceptation mutuelle d’un nombre minimum de faits.
Les exemples ne manquent pas. Dernièrement, des étudiants ont témoigné à la télévision juste après une tuerie dans un lycée en Floride. Il n’a fallu que quelques minutes pour qu’apparaissent des messages les suspectant – faussement – d’être des acteurs à la solde des opposants aux armes à feu. Plus ancien mais pas moins impressionnant, un faux tweet de l’AP (Associated Press) envoyé en 2013 affirmait que le président des États-Unis Barack Obama avait été blessé lors d’une explosion. Résultat : les cours de la bourse ont alors perdu plus de 130 milliards de dollars en quelques secondes (la chute a cependant été suivie d’une correction plus ou moins équivalente une fois la vérité rétablie).
De manière générale, les fausses nouvelles ont la capacité de perturber la réponse des autorités à une attaque terroriste ou à une catastrophe naturelle, ou encore de créer de la désinformation lors de votations ou d’élections. D’où la motivation des auteurs de l’article à mieux comprendre les mécanismes guidant la diffusion des rumeurs online.

D’accord à 95 %

Les messages retenus dans l’étude ont tous été analysés par une demi-douzaine d’organisations indépendantes spécialisées dans la vérification des faits. N’ont été sélectionnées que les histoires sur le caractère mensonger ou véridique desquelles ces organisations sont tombées d’accord à plus de 95 %.
Les chercheurs ont ensuite défini plusieurs grandeurs caractérisant la diffusion d’une nouvelle dans la twittosphère. Chaque cascade de tweets découlant d’un unique message originel se développe en effet au cours du temps dans différentes directions. Le nombre de retweets successifs (sauts) désigne la profondeur. Le nombre total d’usagers impliqués dans la cascade correspond à la taille. Le nombre d’usagers maximal impliqués à une profondeur donnée est la largeur maximale.
C’est ainsi que les chercheurs ont pu observer, entre autres, que les cascades de tweets au contenu trompeur sont plus nombreuses que les autres à atteindre des profondeurs de 10. Le top 0,01 % des contre-vérités compte même jusqu’à 8 sauts de plus que les missives correctes les plus pénétrantes. Et si la vérité touche rarement plus de 1000 personnes, le top 1 % des pépiements inexacts atteint, lui, régulièrement entre 1000 et 100 000 individus. La vérité met également
six fois plus de temps qu’un fait erroné à arriver jusqu’au total de 1500 internautes. Et dans ce concert de sifflements
d’oiseaux, ce sont, sans surprise, les bobards politiques qui se sont avérés, de loin, les plus viraux.
La surprise survient lors de l’analyse plus fine des usagers. Celle-ci montre en effet qu’en moyenne, les diffuseurs de boniments, contre toute attente, comptent moins de followers (suiveurs), suivent moins de personnes, sont moins actifs sur Twitter et sont présents sur la plateforme depuis moins de temps que les autres. Les mensonges circulent mieux que les vérités malgré ces différences et non pas à cause d’elles.

L’attrait de la nouveauté

Le moteur principal de la diffusion de false news se trouve, suggèrent les auteurs, dans leur contenu inédit. Une information qui paraît nouvelle attire davantage l’attention. Elle surprend et possède une certaine valeur. Elle contribue à la prise de décision, elle montre que l’on fait partie du cercle des initiés et encourage le partage.
Cette hypothèse est soutenue par une analyse du vocabulaire utilisé dans les retweets véhiculant des rumeurs (vraies ou fausses) et qui a été comparé au contenu des messages normaux auxquels les usagers ont été exposés durant les 60 jours précédents. La « distance informationnelle » existant entre les tweets antérieurs et la rumeur proprement dite est significativement plus grande lorsque cette dernière est fausse, désignant, de manière relativement objective, son caractère inédit.
Cependant, il n’est pas sûr qu’un message catalogué comme inédit soit réellement perçu comme tel par l’usager. Pour en savoir plus, les chercheurs ont analysé le contenu émotionnel des messages répondant à des rumeurs. Il en ressort que les fausses nouvelles provoquent davantage de surprise et de dégoût tandis que la vérité inspire plus de tristesse, d’anticipation, de joie et de confiance. «Bien que nous ne puissions pas affirmer que la nouveauté provoque des retweets ou qu’elle est la seule raison pour laquelle les mensonges sont diffusés plus souvent, nous avons montré que les fausses nouvelles sont plus inédites et que l’inédit a plus de chances d’être partagé plus loin», concluent les auteurs de l’article.
D’autres coupables présumés de la propagation de faussetés sont les bots. Ces logiciels automatiques qui remplacent l’humain comme usagers de Twitter accélèrent la diffusion des rumeurs sur internet. Mais, selon les résultats des chercheurs, ils favorisent aussi bien les fausses que les vraies. Autrement dit, on ne peut pas rejeter la faute sur les robots. La préférence de Twitter pour le mensonge est donc bel et bien imputable à l’humain.