Campus n°133

ECB 4.0, le détecteur « low cost » de faux médicaments

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Des chercheurs de la Section de sciences pharmaceutiques, en collaboration avec l’École d’ingénieurs et d’architectes de Fribourg, ont reçu un financement pour améliorer leur appareil permettant de détecter les médicaments de mauvaise qualité.

Dans les pays en voie de développement, un médicament sur dix est un faux. Des centaines de milliers de personnes – souvent des enfants – meurent chaque année parce qu’ils consomment un traitement mal dosé, dépourvu de principe actif ou encore souillé. Tels sont quelques-uns des constats d’une étude portant sur « l’impact en matière de santé publique et socio-économique de produits de qualité inférieure ou falsifiés » et publiée en novembre 2017 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Cette catastrophe sanitaire, Jean-Luc Veuthey et Serge Rudaz, respectivement professeur et professeur associé à la Section des sciences pharmaceutiques (Faculté des sciences), ne la découvrent pas. Cela fait dix ans, en effet, que les deux chercheurs sont impliqués dans le développement d’un instrument capable de mesurer la qualité d’un médicament de manière simple, rapide et, surtout, bon marché. Autrement dit, un appareil adapté aux pays les plus démunis qui sont aussi les plus touchés par le fléau de la contrefaçon.
Démarré en 2006, le projet, à l’origine duquel se trouve également l’École d’ingénieurs et d’architectes de Fribourg (EIA) et auquel participent désormais les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), en est actuellement à son troisième prototype, l’ECB 3.0. De taille modeste, ce dernier offre des performances remarquables et son prix défie toute concurrence (environ 10 000 francs contre plus de 60 000 pour les machines disponibles sur le marché). Au cours de la dernière décennie, dix exemplaires de ce modèle ont été fabriqués et sont actuellement déployés dans une demi-douzaine de pays d’Afrique et d’Asie.
Mais ce n’est pas fini. Grâce à un financement (une centaine de milliers de francs) octroyé en mars dernier par le « Programme de recherche appliquée et développement en coopération avec les pays émergents de la Francophonie » de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO), les chercheurs vont pouvoir développer l’ECB 4.0. En plus d’être totalement open source, ce nouveau modèle devrait surpasser tous ses prédécesseurs en matière d’autonomie, d’écologie et, bien sûr, de coût de fabrication.

Capillarité et migration

« Notre instrument fonctionne sur le principe de l’électrophorèse, explique Jean-Luc Veuthey. Il s’agit d’une des principales techniques utilisées pour différentier les composés d’un mélange. Dans notre cas, les échantillons sont injectés dans un capillaire, c’est-à-dire un tuyau très fin. L’application d’un champ électrique provoque la migration et la séparation des molécules. Ces dernières se déplacent en effet plus ou moins vite en fonction de leur charge électrique et de leur taille. Une mesure à un certain endroit du capillaire où l’on a aménagé une fenêtre permet de détecter les passages successifs des composés. »
Concrètement, un appareil d’électrophorèse capillaire mesure le temps de passage et l’intensité de pics correspondant à des composés distincts. Le temps de passage donne, par comparaison avec une solution de contrôle, une indication sur l’identité de la molécule. L’intensité du signal fournit, quant à elle, une information sur la quantité du produit. Ce procédé, qui ne nécessite pas de préparation importante, suffit à détecter 70 % des
200 médicaments considérés comme essentiels par l’OMS, c’est-à-dire ceux que chaque pays devrait posséder en toutes circonstances.

Robuste et rapide

Le concept de l’ECB consiste à fabriquer un appareil similaire à ce qui existait déjà sur le marché mais en enlevant toutes les options inutiles. De prototype en prototype et avec l’aide des chercheurs de l’Université de Genève concentrés sur la mise au point des méthodes, les étudiants de l’EIA-FR, cheville ouvrière du projet, ont porté une attention particulière à la robustesse de l’instrument, développé les logiciels, perfectionné l’électronique, introduit la technologie LED, etc. La Haute école d’art et de design (HEAD) a elle aussi apporté sa contribution pour améliorer l’ergonomie et l’apparence de l’appareil en y ajoutant notamment le logo « SwissQuality ».
Une étudiante mexicaine, Maria de Lourdes Aja Montes, a effectué son travail de diplôme en 2009 sur l’ECB sous la supervision de Serge Rudaz et de Claude Rohrbasser, professeur à l’EIA-FR. Son approche de non-spécialiste a permis d’évaluer la facilité d’utilisation de l’appareil.
Ce travail a été suivi par la validation du concept, publiée dans le Journal of Pharmaceutical and Biomedical Analysis du 15 décembre 2010. À cette occasion, l’appareil a été testé pour huit substances actives (amoxicilline, cotrimoxazole, furosémide, lamivudine, zidovudine, névirapine, quinidine, rifampicine), sélectionnées par Pascal Bonnabry, professeur associé à la Section de pharmacie (Faculté des sciences) et pharmacien-chef aux HUG. Il en ressort notamment que les résultats de l’ECB sont comparables à ceux obtenus par un appareil commercialisé.
L’instrument a finalement été mis à l’épreuve en conditions réelles au Laboratoire national de la santé à Bamako au Mali.

Étape importante

« Notre dernier prototype, l’ECB 3.0, a été achevé en 2009, note Serge Rudaz. Il a marqué une étape importante. L’introduction de la technologie à base de diodes électroluminescentes, beaucoup moins chères et plus sensible que la solution précédente, a notamment permis de baisser encore le coût de l’appareil et d’améliorer ses performances. En une mesure et avec une préparation qui demande un minimum de matériel – seulement 10 microlitres d’eau salée sont nécessaires à son fonctionnement contre généralement mille fois plus pour les appareils commerciaux – on peut contrôler la qualité d’un médicament suspect. »
L’ECB 3.0, précise le chercheur, n’est pas un instrument portable et n’est pas destiné à être utilisé dans des dispensaires de brousse. Il faut au minimum pouvoir préparer les échantillons, ce qui revient souvent à peser les médicaments, les dissoudre, etc. Sa place est donc dans un laboratoire bénéficiant d’un minimum d’équipement.
En dix ans, Pharmelp, l’association à but non lucratif qui a été créée pour promouvoir l’utilisation de l’appareil et pour combattre les contrefaçons médicamenteuses, a fabriqué une dizaine d’exemplaires de l’ECB 3.0. Chaque fois qu’elle rassemblait assez d’argent (par des dons, des prix et autres récompenses), elle lançait la fabrication d’un instrument et organisait une mission. Serge Rudaz, Jean-Luc Veuthey et leurs collègues de Fribourg se sont ainsi partagé les voyages qui les ont amenés au Mali (2009), au Cambodge (2011), au Sénégal (2012 et 2016), en République démocratique du Congo (2012), à Madagascar (2015), au Rwanda (2015) et au Soudan (2017). Pharmelp conserve la propriété de l’appareil mais le prête à ses partenaires. Son installation est toujours accompagnée d’une formation de quelques jours du personnel local.
« Jean-Luc Veuthey et moi sommes retournés au Cambodge en novembre dernier, raconte Serge Rudaz. L’appareil était toujours au National Health Product Quality Control Center de Phnom Penh. Un peu sous-utilisé, certes, mais encore en parfait état de marche. Nous avons organisé une formation d’une semaine pour familiariser les participants locaux avec l’analyse des médicaments et l’utilisation de l’instrument. Il faut dire que le savoir-faire se perd au bout d’un certain temps. Les personnes que nous instruisons ne restent pas forcément longtemps en place et ne transmettent pas toujours leurs connaissances avant de partir. »


Open source

L’ECB 4.0, dont le développement est désormais assuré, devrait être encore moins cher que son prédécesseur. Entre autres, il devrait devenir autonome du point de vue énergétique grâce à des batteries chargées à l’énergie solaire. Il est également question de produire certaines pièces à l’aide de l’imprimerie 3D dont les progrès sont considérables. Les performances toujours plus importantes et les prix toujours moins élevés de l’électronique et des LED devraient permettre des économies supplémentaires. L’utilisation des smartphones pour piloter l’appareil et traiter les données pourrait aussi faciliter son usage et ouvrir de nouvelles perspectives. Finalement, l’ensemble du projet sera libre d’accès au public (open source). En d’autres termes, aucun brevet ne pourra être déposé.
« Nous rêvons de produire un ECB en kit qui permette à n’importe quel laboratoire désireux de se lancer dans la lutte contre les médicaments de mauvaise qualité d’assembler son propre appareil à très bas coût, précise Serge Rudaz. Nous avons une année pour réaliser ce projet, en collaboration avec Olivier Vorlet, professeur au l’EIA-FR. La contribution de l’Université de Genève portera sur la mise au point des méthodes analytiques utiles. Nous participerons bien sûr également au déploiement du nouveau prototype d’abord au Sénégal puis dans le Centre de recherche suisse en Côte d’Ivoire. En parallèle, nous allons développer un programme de formation dédié spécifiquement à cette technique et qui pourra être suivi à distance. »

Anton Vos



http://pharmelp.ch

Le fléau des médicaments de contrefaçon


Un médicament sur dix en circulation dans les pays à revenu faible ou intermédiaire est soit de qualité inférieure, soit falsifié. C’est ce qui ressort d’un rapport publié par l’Organisation mondiale de la santé sur « l’impact en matière de santé publique et socio-économique de produits de qualité inférieure ou falsifiés » en novembre 2017.
Selon cette étude, les communautés les plus vulnérables sont les premières touchées par ce fléau.
Depuis 2013 et la mise en place d’un système mondial de surveillance, l’OMS a reçu 1500 signalements de cas de produits de qualité inférieure ou falsifiée, le plus souvent des antipaludiques et des antibiotiques.
Près de 42% des signalements viennent d’Afrique subsaharienne, 21% des Amériques et 21% de la Région européenne.
Une modélisation réalisée par l’Université d’Édimbourg au Royaume-Uni estime entre 72 000 et 169 000 le nombre d’enfants qui décèdent chaque année d’une pneumonie traitée avec ces antibiotiques de qualité inférieure ou falsifiés.
Selon un travail similaire réalisé par la London School of Hygiene and Tropical Medecine, 116 000 décès supplémentaires dus au paludisme peuvent être imputés à des médicaments antipaludiques de mauvaise qualité.
AVs