Campus n°134

Le RAFT, présent sur quatre continents

DO6.JPG

Le réseau de télémédecine développé à l’Université de Genève a installé des antennes sur plus de 250 sites répartis en EUrope, En AMérique du Sud, en Afrique et en Asie.

Lancé en 2000 par Antoine Geissbühler, professeur au Département de radiologie et informatique (Faculté de médecine), RAFT a pour objectif de rompre l’isolement et la précarité des centres de soins éparpillés dans la campagne grâce à la télémédecine. En plus de promouvoir la formation, la consultation et l’expertise médicales à distance, le RAFT déploie dans ces dispensaires reculés des outils diagnostiques tels que des échographes, des électrocardiogrammes ou encore des appareils de spirométrie (pour les tests pulmonaires). Les instruments sont achetés directement par le RAFT ou par des donateurs désireux de sponsoriser un projet de télémédecine. Cela dit, leur prix est modique et c’est souvent le transport qui coûte cher. Du coup, afin d’offrir un service de qualité maximale pour un coût minimal, les techniciens du RAFT vérifient, avant de les envoyer, qu’ils sont suffisamment robustes (ils doivent résister à des conditions environnementales rudes), de conception modulaire (pour pouvoir réparer des pièces détachées) et connectables à des ordinateurs.

Cette infrastructure somme toute très légère permet aux professionnels de santé installés dans un village de brousse de continuer à se former et de solliciter des avis de spécialistes résidant en ville. Ils peuvent poser des questions, envoyer des images, suivre des cours de formation continue, faire partie de cercles d’expertise spécialisés dans différentes disciplines et ce, sans devoir quitter le village.

Afrique

La région pionnière du RAFT est l’Afrique francophone. Aujourd’hui, ce sont les étudiants d’Antoine Geissbühler, retournés au pays, qui gèrent de plus en plus les activités locales. Au Mali, il s’agit de Cheick Oumar Bagayoko, qui a passé dix ans à l’Université de Genève. Devenu professeur en informatique médicale à l’Université de Bamako, il dirige une équipe d’une douzaine de personnes. De là, il déploie ses activités, notamment en santé maternelle et en dermatologie, dans la partie sud du Mali, le nord étant pour l’heure hors d’atteinte en raison de la guerre. Il supervise également des projets en Mauritanie, au Burkina Faso ou encore au Niger et est même chargé de mettre en place l’informatisation du système de santé du Gabon. « Il est devenu Monsieur Télémédecine pour toute l’Afrique francophone », note Antoine Geissbühler.

Au Cameroun, c’est également un ancien de l’UNIGE qui a pris en main les activités locales du RAFT: le docteur Georges Bédiang, maître-assistant à l’Université de Yaoundé. Son équipe vient aussi en soutien à des projets en cours au Tchad.

« Le système bourgeonne, il croît de manière organique, sans plus forcément passer par nous, explique Antoine Geissbühler. C’est une bonne chose puisque cela augmente la résilience du système, surtout face à l’instabilité politique et économique qui est fréquente en Afrique subsaharienne. Le partenariat avec Genève se poursuit néanmoins. Entre autres choses, nos collègues africains nous envoient des personnes à former et, de notre côté, nous mettons toujours à disposition des serveurs informatiques permettant d’héberger les activités du RAFT sans craindre les coupures de courant. »

Hors d’Afrique

Le premier pays hors d’Afrique à recevoir la visite du RAFT est la Bolivie en 2011. Le projet, visant des hôpitaux de l’Altiplano, a depuis été totalement repris par le gouvernement de ce pays sud-américain.

Il y a quelques années, le RAFT s’est également installé en Asie. Au Népal d’abord, où l’Université de Genève et les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) sont présents depuis bientôt vingt ans, notamment au travers des activités de François Chappuis, professeur à la Faculté de médecine. Le projet s’articule autour d’un hôpital de référence, le B.P. Koirala Institute of Health Sciences, à Dharan, dans la plaine du Teraï à l’est du pays. Il comprend des modules de téléenseignement ainsi qu’une demi-journée par semaine consacrée à la consultation à distance. Au cours de ces séances, un ou plusieurs médecins de l’hôpital central donnent leur avis sur des cas présentés par une dizaine de centres de soin éparpillés dans les collines, souvent situés à plusieurs jours de marche de là. Certaines de ces cliniques périphériques ont également été équipées d’ECG et de spiromètres (pour les mesures pulmonaires). Résultat : plus de la moitié des malades de ces régions reculées ont pu être traités sur place, évitant ainsi un transfert long et difficile vers l’hôpital central.

Le second projet asiatique concerne la refonte de l’enseignement médical du Kirghizistan. Dans le cadre de ce vaste programme, auquel participe la Faculté de médecine, un volet est consacré à la promotion des carrières en périphérie pour les médecins nouvellement formés. Et pour rendre attractifs ces centres de soins souvent très isolés, la télémédecine représente une carte essentielle.

Le RAFT a déjà mis sur pied un programme de téléenseignement en russe et des séances de consultation à distance depuis ses locaux à Genève. « Une fois par mois, un certain nombre de médecins des HUG et de la ville se prêtent au jeu, explique Antoine Geissbühler. Ces spécialistes de rhumatologie, d’angiologie, de pneumologie ou encore de cardiologie commentent six ou sept cas présentés par des médecins kirghizes depuis des endroits perdus dans la montagne mais pourvus d’écrans, d’ordinateurs, etc. Le tout est traité par vidéoconférence et via le programme Bogou (lire ci-contre), et les conversations sont traduites en anglais par une interprète basée à Bichkek, la capitale. Pour l’instant, cette opération est organisée depuis Genève par une de mes doctorantes. On aimerait bien qu’à terme, la téléconsultation soit reprise par des experts locaux. »

 

 

Mesurer l’Impact est difficile mais indispensable


En dix-huit ans d’existence, le RAFT a accumulé une solide expérience en télémédecine : des milliers de consultations et de cours de formation continue ainsi qu’une cinquantaine de cercles d’experts dans différentes spécialités.
Malgré cela, l’impact de la télémédecine sur la morbidité et la mortalité des populations concernées n’a pas encore pu être scientifiquement évalué.
De nombreuses études ont montré que grâce à des initiatives telles que le RAFT, les professionnels de soins isolés restent plus longtemps en poste et prennent plus de bonnes décisions. Il semblerait également que le nombre de femmes et de personnes âgées qui viennent consulter augmente dans certaines régions, puisque le risque de devoir quitter le village plusieurs jours pour recevoir des soins diminue. Mais tout cela ne représente que des indices – convaincants certes mais indirects – en faveur d’éventuels bénéfices sanitaires.
Pour combler cette lacune, une partie de l’équipe d’Antoine Geissbühler, professeur au Département de radiologie et informatique, se consacre exclusivement à la mesure de cet impact. Le chercheur genevois estime même qu’il est de son devoir de montrer que les outils que son équipe et lui mettent en place n’ont pas seulement l’apparence de l’utilité mais contribuent concrètement à sauver des vies.
Une des doctorantes consacre ainsi sa thèse à identifier les outils qui pourraient être utilisés pour évaluer l’aspect fonctionnel et l’acceptabilité par la population de la télémédecine ainsi que le nombre de morts ou de malades que celle-ci permettrait d’éviter. Pour ce faire, elle travaille en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé qui, dans un rapport sur la santé numérique publié en 2013, a rappelé l’absolue nécessité de réaliser de telles évaluations.