Campus n°138

Il faut prendre soin de son microbiote

138DO3.PNG

Les microbes nous habitent. Ils nous protègent, nous aident à survivre mais nous rendent parfois aussi malades ou modifient l’effet des médicaments. Une vraie médecine de précision doit tenir compte de ce microbiote qui vit en symbiose avec l’être humain.

Pour Jacques Schrenzel, professeur associé à la Faculté de médecine, cela ne fait aucun doute : le microbiote, cet ensemble de microbes qui tapissent l’extérieur et l’intérieur de notre organisme (lire encadré), représente une cible essentielle dans la mise en place d’une médecine de précision digne de ce nom. « Chacun possède un microbiote dont la composition lui est propre, explique le chercheur qui est aussi médecin responsable des Laboratoires de recherche génomique et de bactériologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Ces micro-organismes sont indispensables au bon fonctionnement de l’organisme et à sa protection. Ils jouent cependant aussi un rôle parfois totalement inattendu dans le développement de certaines maladies et sont capables de modifier l’efficacité et la toxicité des médicaments. Le problème, c’est que cette vaste population qui vit en symbiose avec nous est pour le moins complexe et son fonctionnement demeure largement méconnu. Mais nous avons déjà obtenu des résultats encourageants.»
Parmi la série de bienfaits assurés par le microbiote, Jacques Schrenzel cite le cas du butyrate. Des chercheurs ont en effet récemment découvert que plusieurs espèces de bactéries peuplant le tube digestif humain produisent cet acide gras à chaîne courte qui est un élément essentiel au bon fonctionnement des colonocytes. Sans lui, les cellules épithéliales du côlon ne pourraient pas effectuer correctement leur travail de douanier et empêcher que des composés inadéquats pénètrent dans le sang.


Mémoire des entrailles

À l’inverse, les micro-organismes du tube digestif sont aussi associés à des dérèglements du métabolisme tels que l’obésité. Il y a une dizaine d’années, des chercheurs ont ainsi démontré que le microbiote à lui seul permet de rendre des souris obèses, alors même que l’on maintient constants l’alimentation et l’exercice physique. L’hypothèse qui émerge, c’est qu’il existerait certaines compositions microbiennes qui sont plus efficaces que d’autres pour extraire l’énergie des aliments et la transmettre à l’organisme qui va alors la stocker sous forme de graisse. Mais quant à savoir quelle composition, ou plutôt quels éléments précis dans cette composition sont responsables de ce processus, les chercheurs l’ignorent encore.
« On a observé que chez une personne obèse qui suit un régime, le microbiote change, poursuit Jacques Schrenzel. Mais quand elle arrête sa diète, elle reprend souvent du poids et le microbiote retourne à son état initial. Ces deux éléments se suivent sans que l’on sache lequel en est la cause et lequel l’effet. Cela dit, il existe comme une sorte de « mémoire des entrailles ». Un état d’équilibre vers lequel le microbiote cherche sans arrêt à revenir. Cette mémoire pourrait expliquer les échecs fréquents des régimes, suivis d’une reprise pondérale.»


Chacun son profil

Cette permanence du microbiote est telle que chaque individu possède son propre profil bactériologique et que celui-ci change très peu avec le temps. En tout cas, sa composition varie nettement moins au sein d’une même personne qu’entre deux personnes différentes. En théorie, on pourrait découvrir l’identité d’une personne rien qu’en analysant la composition de ses selles, à l’image des empreintes digitales. Les vrais jumeaux vivant ensemble et partageant le même mode de vie sont ceux qui ont les microbiotes les plus semblables. La génétique joue probablement un rôle dans le degré d’hospitalité réservée à chaque espèce de virus, bactérie ou levure. Il semblerait que le mode de naissance (par voie naturelle ou par césarienne) définisse aussi en partie la composition initiale du microbiote pendant les toutes premières années de vie.
Cet état d’équilibre peut tout de même être perturbé temporairement. Changer d’habitudes alimentaires est la façon la plus simple pour y parvenir mais c’est en réalité aussi la plus difficile à maintenir sur le long terme.


Transplantation de microbes

Une manière plus radicale de procéder consiste à réaliser une transplantation du microbiote. On élimine ce que l’on peut par des antibiotiques et on repeuple avec un mélange réputé plus sain. Cette technique fonctionne bien pour les maladies à Clostridium difficile (des diarrhées contractées à l’hôpital consécutives justement à la prise d’antibiotiques). Mais pas pour l’obésité. En effet, même après ce traitement de choc, le microbiote revient une fois de plus à son état d’équilibre. À cela s’ajoute le fait qu’il est peu recommandable de prescrire de fortes doses d’antibiotiques alors que l’on essaie péniblement de restreindre les résistances à ces médicaments qui apparaissent un peu partout dans le monde.
« Il existe cependant d’autres stratégies, relève Jacques Schrenzel. On peut administrer au patient des probiotiques (des bactéries ou des levures qui agissent contre d’autres bactéries présentes dans le microbiote), des prébiotiques (des substances favorisant la croissance de certaines bactéries plutôt que d’autres) ou encore des postbiotiques (des molécules produites par des bactéries et qui ont des effets sur notre organisme). Mais ce genre d’approches demande encore beaucoup de recherches. Il n’est pas anodin de changer le microbiote de manière chronique. Cela pourrait entraîner des effets secondaires. Les données dans ce domaine ne sont pour l’instant que très parcellaires.»
En plus de l’obésité, des associations ont pu être établies entre le microbiote et des affections telles que la maladie du soda (ou maladie du foie gras) ou encore le diabète de type I. Mais la liste des maladies qui ont un lien avec les micro-organismes du tube digestif contient des noms plus surprenants encore. Ainsi, quel pourrait être le lien entre le microbiote et la polyarthrite rhumatoïde, une maladie auto-immune qui touche les articulations ? Des chercheurs ont pourtant montré en 2013 que la présence de la bactérie Prevotella copri dans le tube digestif était fortement associée à un risque plus élevé de développer cette maladie, du moins chez les personnes prédisposées. Les auteurs supposent que cette bactérie possède à sa surface des molécules capables d’interagir avec le système immunitaire particulièrement « chatouilleux » chez ces patients et de provoquer une réaction croisée qui se manifeste au niveau de leurs articulations.


Sclérose en plaques et autisme

D’autres études ont montré que certaines bactéries du microbiote étaient associées à l’apparition de la sclérose en plaques. Ces bactéries stimulent, à proximité du tube digestif, l’activation de globules blancs qui parviennent ensuite jusqu’au cerveau où ils causent les lésions caractéristiques de la maladie. « On n’en sait pas beaucoup plus, admet Jacques Schrenzel. En collaboration avec des collègues lausannois, nous travaillons actuellement sur un modèle de souris reproduisant cette maladie afin de poursuivre les investigations notamment via des modifications du microbiote, par exemple avec des probiotiques. Cela nous permettrait d’éviter de devoir traiter des milliers de patients, ce qui est possible mais coûteux et qui présente des effets indésirables. Aucune compagnie pharmaceutique n’est actuellement prête à financer ce genre de recherches.»
Et puis il y a encore le cas de l’autisme. Des articles scientifiques montrent en effet qu’il existe des associations fortes entre la présence de certaines bactéries, en particulier Bacteroides fragilis, et certains traits autistiques chez les enfants (on parle en réalité de troubles du spectre de l’autisme qui regroupe des entités cliniques parfois très différentes). Des études sur des groupes importants de jeunes patients sont en cours en Californie afin de vérifier si ces associations sont réelles et de comprendre par quels mécanismes elles se matérialisent. Cela dit, le lien entre le système digestif et l’autisme est suspecté depuis les années 1980, alors que le mot de microbiote n’existait pas encore. Certains parents ont, notamment, depuis longtemps remarqué que lorsque leur enfant atteint du trouble prend des antibiotiques, son état s’améliore temporairement.
« Aussi bien pour l’autisme que pour la sclérose en plaques, il existe plusieurs formes de la maladie, note Jacques Schrenzel. Il se pourrait bien que le microbiote joue un rôle dans cette diversité de maladies. D’où l’importance d’un traitement le plus personnalisé possible.»


Maladies sexuellement transmissibles

Le microbiote dont il est question jusqu’ici est presque toujours celui qui est obtenu à partir de l’analyse des selles. C’est le plus facile d’accès mais, pour le médecin genevois, il n’est pas sûr qu’il soit le plus important pour le métabolisme humain. Celui qui adhère à la muqueuse du côlon ou de l’intestin grêle pourrait jouer un rôle plus essentiel encore.
Plusieurs équipes se penchent aussi sur le microbiote génital. Le but consiste à déterminer s’il existe des liens avec un risque accru d’accouchement prématuré ou avec une susceptibilité plus élevée de contracter des maladies sexuellement transmissibles.
Les voies respiratoires sont, elles aussi, tapissées de bactéries, jusque dans les alvéoles. Contrairement à ce que l’on enseignait dans les anciens manuels de médecine, ces dernières ne sont donc pas stériles. On y trouve quelques espèces de bactéries peu abondantes. Mais personne ne sait ce qu’elles font là.
« Avec des collègues du Service des soins intensifs des HUG, nous avons publié un article dans la revue Intensive Care Medicine du 17 juin, explique Jacques Schrenzel. Ce travail analyse les changements du microbiote du pharynx chez les patients sous ventilation mécanique. Ces patients sont particulièrement à risque de développer des pneumonies. Nous avons réussi à prédire ceux qui allaient développer une pneumonie en mesurant les modifications dans leur microbiote.»
Enfin, un article paru dans la revue Nature du 3 juin a démontré que le microbiote digestif modulait les taux sanguins de plus de 250 composés médicamenteux. Cela signifie donc qu’en plus de l’acidité de l’estomac, des enzymes du foie et de l’efficacité des reins, il faut désormais également tenir compte du microbiote pour prédire l’effet d’un médicament.
Une analyse de la composition du microbiote pourrait ainsi s’avérer nécessaire (elle peut se faire en quarante-huit heures) avant de commencer certains traitements, contre des cancers par exemple. Il s’agit de savoir s’il faut augmenter la dose du médicament ou au contraire la diminuer selon que le mélange de microbes a tendance à faire chuter son efficacité ou au contraire à augmenter sa toxicité. Dans certains cas, il est même question de transplanter un autre microbiote pour faciliter un traitement médicamenteux.
« Le microbiote dans son ensemble compte 100 fois plus de gènes qui codent pour des activités métaboliques que l’organisme humain proprement dit, conclut Jacques Schrenzel. En d’autres termes, on ne peut faire autrement que de considérer cette immense usine biochimique comme faisant partie de nous. Et pour toute notre vie.»

 

 

Une galaxie dans nos tuyaux


Le microbiote désigne tous les virus, toutes les levures, les bactéries et autres protozoaires qui peuplent la peau ainsi que tous les tubes qui, bien qu’ils soient à l’intérieur de notre organisme, se trouvent fonctionnellement à l’extérieur : le tube digestif, surtout, mais aussi les systèmes urinaire, respiratoire et génital.
Au total, ces microbes se comptent en dizaines de milliers de milliards. On pense qu’il y en a autant, voire plus, que de cellules humaines. Ce n’est pourtant pas leur nombre qui est important mais bien leur diversité, c’est-à-dire la liste des espèces ainsi que leurs abondances relatives.
Chacune de ces espèces possède sa propre machinerie génétique et représente à elle seule une usine ayant parfois des propriétés que l’organisme humain ne possède pas. Elles peuvent détoxifier des substances, produire des composés aux effets favorables ou au contraire nocifs. Bref, le microbiote joue un rôle fondamental dans la physiologie humaine et entre également dans certains processus de régulation.