Campus n°138

Une jeunesse en perte de souffle

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Le goût des jeunes pour la pratique sportive s’érode plus tôt qu’on ne le pensait jusque-là. C’est ce que démontre une étude menée sur près de 1200 élèves du canton de Genève.

La jeunesse manque de souffle. Selon une vaste étude menée en Australie avant d’être reprise en France, les 9-17 ans auraient perdu un quart de leur capacité cardio-respiratoire au cours des vingt-cinq dernières années. En cause : la pollution atmosphérique, la malbouffe mais aussi et surtout le recul des activités physiques qui semble se généraliser vers l’âge de 11 ans. Et les petits Suisses ne sont pas épargnés par le phénomène. Le pays affiche en effet un taux de surpoids de 16% parmi les 6-12 ans. Il se classe par ailleurs à l’avant-dernière position (38e sur 39) en termes d’activité physique dans l’enquête sur les écoliers de 11 à 15 ans menée tous les 4 ans depuis 1986 dans la plupart des pays européens sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Afin de mieux comprendre les mécanismes à l’origine de ce désamour progressif de la pratique sportive, une équipe de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FPSE) a mené l’enquête durant deux ans auprès de 1200 élèves genevois âgés de 8 à 12 ans. Les résultats obtenus, dont une partie a été récemment présentée dans la revue Psychology of Sport and Exercice, montrent, d’une part, que le système scolaire peine à remplir les recommandations fixées par l’OMS et, d’autre part, que la motivation des élèves pour l’exercice physique se péjore plus tôt qu’on ne le pensait jusque-là.
« La baisse de l’activité physique qui a été constatée par de nombreuses études chez les adolescents (11-16 ans) est une source de préoccupation majeure en termes de santé publique, précise Julien Chanal, maître d’enseignement et de recherche à la FPSE et premier auteur de l’article. La pratique sportive régulière joue en effet un rôle central dans la préservation de la santé puisqu’elle réduit les risques d’embonpoint, de diabète, de maladies cardio-vasculaires mais aussi de mal-être psychologique à l’âge adulte. Notre objectif était d’éclairer le rôle joué par l’école dans cette problématique en nous concentrant non pas sur le cycle secondaire, comme cela a souvent été fait, mais sur ce qui se passe dans les dernières années du primaire.»
Pour y parvenir, les chercheurs ont pu s’appuyer sur les classes d’une quinzaine d’enseignants du canton de Genève recrutés avec la collaboration du Département de l’instruction publique. Afin de comparer le comportement réel de l’enseignant avec la perception qu’en ont leurs élèves, certaines séances sélectionnées de façon aléatoire ont été filmées. Les informations portant sur la motivation ont été obtenues par le biais d’un questionnaire standardisé qui a été soumis à quatre reprises aux participants tandis que les éléments relevant de l’effort physique à proprement parler ont été fournis par la pose d’accéléromètres sur un certain nombre d’élèves volontaires.
L’analyse de cette immense masse de données confirme tout d’abord que, sur le plan strictement quantitatif, la Suisse est loin de satisfaire aux critères fixés par l’OMS en matière d’exercice physique. Alors que cette dernière préconise 150 minutes d’éducation physique par semaine, le canton en propose 135, tandis que le laps de temps dévolu à une activité « d’intensité modérée à soutenue » pendant les cours d’éducation physique plafonne à 38% au lieu des 50% recommandés.
Sur le plan qualitatif, l’étude genevoise a permis de mettre pour la première fois en évidence une évolution des motivations des élèves dès l’âge de 9 ans.
La théorie qui sous-tend le travail des chercheurs distingue les motivations de type « intrinsèque » de celles dites « externes.» Les premières sont en lien direct avec l’activité en tant que telle et renvoient à des notions comme le désir d’apprendre, l’envie de se surpasser ou le plaisir sensoriel. Elles sont considérées comme positives dans la mesure où elles facilitent l’adaptation à de nouvelles situations tout en ayant des incidences favorables sur la pratique sportive durant les périodes de loisirs.
Les secondes visent soit à atteindre des objectifs particuliers, soit à éviter des inconvénients ou des conséquences négatives. On est là dans le registre de la punition et de la récompense, de la culpabilité et de la honte ou encore de la volonté de se conformer aux exigences d’un tiers.
« Nos résultats montrent une baisse des motivations positives au profit des motivations négatives à partir de l’âge de 9 ans, détaille Julien Chanal. C’est intéressant en soi puisque ce déclin n’avait jamais été constaté à un âge aussi précoce. Mais c’est aussi assez inquiétant dans la mesure où les motivations qui reposent sur l’idée d’obtenir une bonne note ou de renvoyer une image positive de soi, même si elles peuvent s’avérer efficaces sur le moment, ne valent qu’à court terme et sont donc potentiellement contre-productives pour le développement de l’enfant.»
Partant de là, la question qui se pose est de savoir comment briser cette spirale négative en limitant autant que faire se peut l’érosion des bonnes raisons qui poussent à soumettre son organisme à l’exercice du sport.
« L’école constitue un terrain d’action tout à fait unique à cet égard, poursuit le chercheur. D’une part, parce qu’elle permet de toucher tous les enfants, quels que soient leur environnement familial ou leur niveau socioculturel. De l’autre, parce que, pour certains d’entre eux, c’est le seul moment de la semaine qui offre la possibilité de se dépenser et de découvrir tant les limites que les capacités de son corps.»
Aux yeux des chercheurs, il est donc essentiel d’agir auprès des professeurs d’éducation physique afin de les sensibiliser à l’importance des questions motivationnelles et de leur fournir des outils utilisables dans leur pratique quotidienne.
Le premier axe visé touche à l’organisation des séances de gymnastique. Depuis la réforme du plan d’étude romand, les cours d’éducation physique laissent en effet une place assez large à l’apprentissage du vivre ensemble et de la citoyenneté ainsi qu’à la connaissance du corps. « En soi, cette évolution est naturellement bienvenue, commente Julien Chanal, mais il devrait être possible de trouver un juste milieu pour que les consignes données par l’enseignant ne dépassent pas une certaine durée et n’empiètent pas outre mesure sur le temps réservé à l’exercice physique proprement dit. Il ne devrait pas être impossible de sensibiliser les maîtres d’éducation physique du canton, qui sont généralement très motivés et en demande de solutions, à ce type de problèmes.»
Une autre piste explorée par l’équipe de Julien Chanal consiste à faire évoluer les pratiques pédagogiques vers une meilleure prise en compte de l’autonomie des élèves et une plus grande participation de ces derniers au déroulement des leçons. C’est précisément l’objectif du projet « Jigsaw », mené actuellement en collaboration avec la HEP Vaud, où sont aujourd’hui formés l’ensemble des enseignants en éducation physique genevois.
« Les résultats obtenus jusqu’ici sont très encourageants, note Julien Chanal. Ils montrent qu’en cherchant à récompenser l’effort fourni plutôt que la performance réalisée, qu’en privilégiant l’intérêt qu’il y a à effectuer une tâche à la contrainte, on peut ralentir de façon significative le recul des bonnes motivations. Tout le défi actuel consiste à généraliser ces bonnes pratiques à l’ensemble du corps enseignant afin que les bénéfices que les enfants pourraient tirer de cette nouvelle approche ne s’envolent pas en fumée dès la rentrée suivante


Vincent Monnet