Campus n°139

« HD 114762 AB » ne détrônera pas « 51 Peg B »

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Une étude basée sur des données fournies par le satellite GAIA permet
de confirmer la nature stellaire d’un objet qui aurait pu détrôner
« 51 Peg b » de son statut de première planète extrasolaire.

Le statut de première exoplanète jamais découverte revient officiellement à 51 Peg b. Mais certains, parmi lesquels des scientifiques, ont longtemps eu des doutes. En effet, en 1989, soit six ans avant la fameuse détection qui a valu le prix Nobel de physique aux astrophysiciens de l’Université de Genève Michel Mayor et Didier Queloz, une équipe de l’Université Harvard menée par David Latham découvrait, autour de l’étoile HD 114762 A, un compagnon d’une masse minimale de 11 fois celle de Jupiter. En raison d’une limitation inhérente à la méthode de détection (dite de la vitesse radiale), il n’est pas possible de préciser davantage cette valeur, la nature de l’objet est donc longtemps restée indéterminée. Planète géante ? Étoile naine ? Ce flou a ouvert la voie aux spéculations, ce qui, aujourd’hui encore et malgré le prix Nobel, pousse certaines voix à remettre en cause l’antériorité de la découverte de 51 Peg b.
Cependant, dans un article à paraître dans la revue Astronomy & Astrophysics et disponible depuis le 18 octobre sur le site arxiv.org, Flavien Kiefer, chercheur à l’Institut d’astrophysique de Paris, semble disperser les derniers doutes. En analysant la première série de données fournies en 2016 par le satellite européen GAIA, qui effectue actuellement la caractérisation de plus d’un milliard d’astres, il a réussi à montrer que HD 114762 Ab possède en réalité une masse équivalente à 107 fois celle de Jupiter, ce qui en fait une naine rouge ou, éventuellement, en tenant compte de la marge d’erreur entachant les mesures, une naine brune. En d’autres termes, l’auteur conclut que HD 114762 Ab est bel et bien une étoile et que l’hypo­thèse d’une exoplanète peut être définitivement balayée.
Le paradoxe de l’histoire, c’est que Michel Mayor est lui-même impliqué dans la découverte de 1989. En effet, quand David Latham pense détecter un compagnon autour de l’étoile HD 114762 A, c’est vers le professeur de l’Observatoire de l’Université de Genève qu’il se tourne pour demander une confirmation. Et pour cause : l’astro­physicien genevois dispose d’un spectrographe de très haute précision pour l’époque, Coravel, qu’il a lui-même conçu et qui est installé sur un télescope de l’Observatoire de Haute Provence. Les mesures de l’appareil révèlent ainsi la présence d’un objet qui tourne en 84 jours autour de l’étoile. Cela vaut à Michel Mayor d’apparaître comme coauteur de l’article qui annonce la découverte dans la revue Nature en 1989.

Probable naine brune

Le titre de l’article mentionne toutefois la présence d’une probable « naine brune » et non d’une exoplanète. Ce choix des mots est le résultat d’une discussion entre les trois principaux auteurs. Deux d’entre eux, dont Michel Mayor, préfèrent rester prudents.
David Latham aurait voulu plus d’audace mais se range à l’avis de la majorité. Cela n’a pas empêché la rumeur de courir.

Masse minimale

Le doute vient du fait que la méthode de détection dite de la vitesse radiale (mouvement de rapprochement et d’éloignement de l’étoile causé par la présence d’un objet en orbite) ne peut, dans le meilleur des cas, que fournir une masse minimale pour le compagnon. Selon la manière dont le système planétaire se présente vu depuis la Terre (une information totalement inconnue), cette masse pourrait en réalité être beaucoup plus importante. Pour la connaître avec précision, il est nécessaire d’appliquer une autre méthode, comme celle dite du transit (c’est-à-dire la mesure de la mini-éclipse causée par l’objet passant devant l’étoile). Mais, vue depuis la Terre, HD 114762 b ne provoque pas d’éclipse.
La masse minimale calculée pour HD 114762 Ab, soit 11 fois celle de Jupiter (MJ), en fait certes une planète mais la limite avec les étoiles, fixée à environ 13,5 MJ, n’est pas loin. Aucune étude n’a permis de lever le doute jusqu’à ce qu’un chercheur français ne se penche sur les données préliminaires du satellite GAIA.
Lancée en 2013 et développée par l’Agence spatiale européenne, cette mission a pour objectif de mesurer les caractéristiques de plus d’un milliard d’objets célestes, (étoiles, astéroïdes, galaxies, etc.). La méthode utilisée est l’astrométrie (lire l'article). Celle-ci permet de mesurer la position – et donc le déplacement – des astres dans le ciel, une information qui permettrait de connaître exactement la masse de HD 114762 Ab.
Flavien Kiefer n’a toutefois pas eu accès aux données astrométriques de GAIA qui ne seront rendues publiques qu’à la fin de la mission, en 2020. Il a en revanche pu utiliser des données indirectes, publiées en 2016 déjà, à partir desquelles le chercheur français a réussi à extraire des informations sur l’orbite du compagnon de HD 114762. Une prouesse réalisée grâce à une méthode de simulation assez sophistiquée mise au point précisément à cette fin.
Il en ressort que la masse la plus probable de HD 114762 Ab est de 107 MJ, avec un intervalle d’erreur allant de 80 à 137 MJ. De telles valeurs font de HD 114762 Ab au mieux une naine brune, c’est-à-dire un astre qui se forme comme une étoile mais qui est trop peu massif pour entretenir la fusion de l’hydrogène lui permettant de briller. Mais l’objet appartient plus probablement à la catégorie des naines rouges, c’est-à-dire les moins massives et les moins chaudes de toutes les étoiles alimentées par des réactions thermonucléaires stables.
« Le travail de Flavien Kiefer est très subtil et très convaincant, estime Michel Mayor. Ses résultats sont conformes à ce que nous avons toujours pensé en nous basant sur d’autres arguments. L’un d’eux est la rotation de l’étoile qui, vue depuis la Terre, est très lente, comme si l’astre nous montrait son pôle. Une telle configuration milite en faveur d’un compagnon très massif. Par ailleurs, la composition de l’astre est déficiente en métaux, ce qui, selon la théorie, rend très improbable, voire impossible, le fait que le disque d’accrétion originel ait pu donner naissance à une géante gazeuse. » (lire article)

 

Trois compagnons de pulsar


Plusieurs autres annonces de planètes extrasolaires ont précédé celle de 51 Peg b. Quelques mois après la publication de HD 114762 b en 1989 (lire l’article ci-dessus), les astronomes polonais Aleksander Wolszczan et canadien Dale Frail, travaillant sur le radiotélescope d’Arecibo à Porto Rico, découvrent deux planètes autour du pulsar PSR B1257+12 qu’ils annoncent en 1992 et une troisième en 1994.
Les trois planètes sont très petites (l’une d’elles a même une masse d’un cinquième de celle de la Terre) et suivent une orbite parfaitement circulaire. Elles ont été détectées par chronométrie, c’est-à-dire en détectant une irrégularité très faible dans la pulsation métronomique qui caractérise l’émission lumineuse des pulsars.
Le problème, c’est que les pulsars sont les restes d’une étoile plus grosse qui a explosé sous la forme d’une supernova. Au cours d’un tel événement catastrophique, les deux tiers ou les trois quarts de la masse de l’astre sont éjectés et le cœur s’effondre sous la forme d’une étoile à neutrons ultra-dense. Il n’y a aucune chance que des planètes aient pu survivre et rester gentiment sur leur orbite circulaire après un tel cataclysme.
Une des hypothèses expliquant la présence des exoplanètes détectées, c’est qu’une partie du matériel éjecté durant l’explosion n’a pas quitté l’influence gravitationnelle du pulsar et s’est regroupée dans un nouveau disque d’accrétion à partir duquel des planètes de seconde génération se sont formées.
Parce qu’elles n’orbitent pas autour d’une étoile de type solaire et qu’elles n’ont pas été formées en même temps que l’astre originel (celui d’avant la supernova), les trois planètes (certaines mesures semblent indiquer la présence d’une quatrième) sont considérées comme hors jeu dans la course à la découverte de la première exoplanète.