Campus n°83

Dossier/Climat

Une politique qui se hâte lentement

Quelle est la position de l’économie face à la politique climatique fédérale? Une étude menée au CUEH montre un net rejet de toute mesure réellement contraignante

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Depuis 1999, la Constitution fédérale stipule que «la Confédération et les cantons oeuvrent à l’établissement d’un équilibre durable entre la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et son utilisation par l’être humain» (art. 73). Dans les faits, cette déclaration d’intention s’est depuis traduite par le développement d’un vaste éventail de mesures dans des domaines aussi divers que l’agriculture, les finances, les transports ou l’énergie. En matière de changement climatique, c’est la loi sur le CO2, entrée en vigueur en 2000, qui est la tête de pont du dispositif fédéral. Une mesure dont l’acceptabilité par les milieux économiques a été testée par une équipe de doctorants du Centre universitaire d’écologie humaine (CUEH), dans le cadre du Pôle de recherche national sur le climat. Résultat: une adhésion plus que timide qui démontre que le débat sur les moyens à mettre en oeuvre pour faire face au défi que représente le changement climatique est encore loin d’être clos.

Conduite entre 2003 et 2006, l’enquête du CUEH a été menée par questionnaire auprès des 240 associations économiques (chambres de commerce et associations faîtières) que compte le pays. Les destinataires avaient à se prononcer sur les mesures volontaires, la taxe sur le CO2 et les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto (systèmes nationaux et internationaux d’échange des permis de polluer). L’introduction de contrôles directs par les autorités a également été envisagée, bien que cet outil ne soit pas prévu stricto sensu dans la loi sur le CO2. Enfin, les mesures d’information et d’éducation ont également été prises en compte dans l’enquête.

Oui à l’éducation, non aux sanctions

«Malgré un taux de retour relativement faible (22%), l’interprétation des résultats permet de dire que les associations économiques nourrissent un net penchant pour les accords volontaires et les mesures d’éducation ou d’information, résume Sylvain Perret, assistant doctorant au CUEH. Elles acceptent également assez volontiers le système d’échange de permis de polluer. En revanche, la résistance est très nette dès que l’on passe aux formules plus contraignantes et notamment à l’éventualité d’un contrôle direct, avec sanctions – financières ou autres – à la clé.» A défaut d’être surprenant, ce manque d’enthousiasme n’est sans doute pas étranger à la relative prudence avec laquelle les dossiers politiques progressent dans ce domaine. En 1994, lorsque le Conseil fédéral tente d’imposer frontalement l’introduction d’une première taxe sur les émissions de dioxyde de carbone, le projet ne parvient pas à dépasser le stade de la consultation, faute d’adhésion. Lors de la seconde tentative, en 1999, c’est une tout autre stratégie qui est adoptée. Dans le sillage du Protocole de Kyoto, signé par 180 pays en décembre 1997, le texte proposé par les autorités prévoit un mécanisme en deux temps.

Les accords volontaires constituent le premier étage de la fusée. Par ce biais, les entreprises qui le souhaitent peuvent passer un contrat avec la Confédération dans lequel elles s’engagent à optimiser leur rendement énergétique ou à atteindre un objectif chiffré de réduction des émissions de CO2. L’idée étant de permettre au secteur privé de mettre progressivement en place un certain nombre de mesures volontaires qui autoriseraient les bons élèves à être exemptés d’une future taxe.

Une mise en place délicate

Second élément du dispositif, l’introduction de cet impôt subsidiaire sur le CO2 est possible depuis 2004. Cette mesure destinée à pallier les insuffisances éventuelles de la politique des accords volontaires s’est cependant avérée relativement délicate à mettre en place. Dans le domaine des carburants, l’idée d’un «impôt écologique», fortement combattu par différents lobbies des transports, a été repoussé au profit d’un centime climatique nettement moins contraignant et dont l’effet incitatif est nul (lire également en pages 18- 19). Et pour ce qui est des combustibles, l’éventualité d’une taxe vient d’être débattue au Parlement et doit encore être soumise au Conseil des Etats lors d’une prochaine session parlementaire. «Il y a un décalage assez net entre le discours et la pratique, commente Sylvain Perret. Les associations économiques qui nous ont répondu se disent tout à fait conscientes du réchauffement climatique, du rôle joué par l’activité humaine et de la nécessité d’agir de manière contraignante. Pourtant, lorsqu’on examine les faits, on constate que les moyens les plus efficaces sont systématiquement combattus et que l’intérêt collectif reste largement subordonné à des intérêts particuliers, ainsi qu’à une vision à court terme.»

Dans un tel contexte, inutile de songer à une augmentation spectaculaire du prix de l’essence à la pompe ou à une surtaxe significative des véhicules les plus polluants, gros 4x4 en tête. La seule voie réaliste semble donc être celle du pragmatisme. «La problématique du changement climatique questionne le fonctionnement même de notre société dans ses rapports entre environnement, économie et politique, complète le chercheur. Difficile à appréhender de manière globale par les scientifiques, le phénomène paraît également très complexe pour le citoyen lambda, plus préoccupé (et c’est dans une certaine mesure légitime) par ses soucis quotidiens. Il est donc très délicat d’introduire des mesures “radicales” dans ce domaine, a fortiori lorsque celles-ci supposent que la population et l’économie de manière générale subissent une certaine contrainte. Pour le politique, le défi réside donc dans la stratégie à adopter afin d’articuler les moyens à mettre en oeuvre de façon à remplir un double objectif d’efficacité politique et environnementale. En d’autres termes, il s’agit de parvenir à un consensus suffisamment large pour être soutenu, tout en parvenant à conserver une réelle pertinence au niveau de l’efficacité environnementale. En la matière, force est de reconnaître que la Suisse est plutôt innovante. La législation sur le CO2 est sans aucun doute insuffisante en termes de réduction absolue d’émissions polluantes, mais elle est très proche de la combinaison instrumentale optimale, compte tenu des forces en présence et de leur poids respectif dans le processus décisionnel.»