Campus n°83

Dossier/Climat

Le centime climatique, une fausse bonne idée?

En vigueur depuis octobre 2005, la mesure imaginée par l’Union pétrolière suisse est ingénieuse, mais n’a pas l’efficacité que pourrait revêtir une taxe CO2 sur les carburants

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Introduit à l’automne 2005, le centime climatique a deux ans pour faire ses preuves. A mi-parcours, David Syz, ancien secrétaire d’Etat à l’économie chargé de la gestion du projet, se dit confiant. Grâce au 1,5 centime prélevé sur chaque litre d’essence vendu dans le pays depuis un an, différentes mesures ont d’ores et déjà pu être prises. Elles devraient permettre de réduire de 3,6 millions de tonnes les émissions de CO2, sur les 9 millions de tonnes qui devront être économisées entre 2008 et 2012, selon les objectifs fixés par la Confédération en matière de carburants. De l’avis de nombreux scientifiques, le centime climatique n’est pourtant qu’un pis-aller. Une opinion que partage Karin Ingold, assistante de recherche au Centre universitaire d’écologie humaine sur le point de terminer une thèse de doctorat analysant l’attitude de l’élite politique nationale face à la problématique du changement climatique.

Faible coût, maigres bénéfices

«Le centime climatique n’est pas une mauvaise idée en soi, explique la chercheuse. Si cette mesure permet d’atteindre le but fixé par la loi en termes de réduction d’émission de CO2, c’est naturellement tant mieux. Le problème, c’est que cette façon de faire ne permettra pas de changer la conscience de nos concitoyens ni de nous rapprocher d’une économie durable. Le système de la taxe – qui pourrait aller jusqu’à 30 centimes par litre – est beaucoup plus incitatif et il comportait des mécanismes de redistribution qui auraient pu profiter aux familles les plus économes.»

Autre défaut majeur, l’argument de rentabilité économique, constamment mis en avant par les milieux économiques pour défendre le bienfondé du centime climatique, ne résiste pas à l’épreuve des faits. «Il est vrai que le centime climatique est une mesure peu coûteuse à mettre en oeuvre, mais ses bénéfices à long terme sont également minimes, explique Karin Ingold. Pratiquement tous les spécialistes de l’économie politique s’accordent à dire que l’instrument le plus efficace pour le marché est celui de la taxe et des permis. Sur le plan scientifique, prétendre le contraire est tout simplement faux.»

En effet, le système actuel pèse moins sur la consommation que les fluctuations du cours du brut. Des contraintes plus lourdes sur le plan financier pourraient par exemple pousser les industriels du pays à innover davantage en matière de nouvelles technologies et à mieux se profiler sur ce marché.

«Beaucoup de gens pensent encore que la Suisse est un bon élève en matière de protection de l’environnement et de dépollution, ajoute Karin Ingold. Mais depuis quelques années, les statistiques de l’Union européenne montrent clairement qu’elle a perdu du terrain dans ce domaine par rapport à nombre de ses voisins, Allemagne en tête.» Dès lors, comment expliquer qu’une telle idée soit parvenue à s’imposer? Parmi les éléments de réponse identifiés par Karin Ingold au cours de sa thèse, il faut relever à la fois le poids considérable dont jouit aujourd’hui le secteur privé sur l’échiquier politique et la très grande faiblesse de l’administration fédérale. En position de force, puisqu’il existait une base légale pour justifier l’introduction d’une taxe qui se serait trouvée en cohérence avec la politique menée depuis une décennie, cette dernière n’est pas parvenue à imposer ses vues faute d’une analyse correcte de la situation.

«L’administration fédérale a mal fait son compte, explique Karin Ingold. A Berne, on s’est convaincu que le centime climatique ne serait jamais accepté. Les fonctionnaires fédéraux s’attendaient pour la plupart à ce que les entreprises déjà engagées dans les accords volontaires rejettent le centime climatique pour conserver leur avantage comparatif en cas d’introduction d’une taxe. Mais ce n’est malheureusement pas le raisonnement qui a été suivi.» La principale motivation des entreprises pour adhérer aux accords volontaires étant d’ordre économique plutôt qu’environnementale, les milieux économiques n’ont en effet guère eu de peine à se laisser convaincre par les arguments de l’Union pétrolière. Et, sentant le vent tourner, les autorités fédérales ont préféré suivre le mouvement plutôt que de faire preuve de volontarisme sur un sujet qui ne fait pas figure de priorité.

La science en mal d’influence

Quant à l’opinion des scientifiques, dans leur immense majorité favorables à un système de taxe, elle ne pèse pour l’instant pas très lourd dans le débat. Même si les chercheurs ont entamé un impressionnant travail d’explication depuis une dizaine d’années (à l’image de ce qui s’est fait à propos des cellules souches), leur point de vue est généralement perçu comme une opinion parmi d’autres et non comme une source d’information dénuée d’arrière-pensées partisanes. Conçu pour offrir une expertise scientifique neutre au Parlement sur le changement climatique, l’OcCC* n’échappe pas à la règle. «Lorsque des séances d’information ou des séminaires sont organisés pour les parlementaires, les seuls qui répondent présent sont des membres de la gauche, voire du PDC, commente Karin Ingold. Les radicaux ou les membres de l’UDC, en revanche, n’y mettent jamais les pieds puisqu’ils sont convaincus que cette problématique ne peut être dissociée d’une politique marquée à gauche. Dans ce domaine, la Suisse manque cruellement de leader d’opinion ou de personnalités suffisamment charismatiques pour inverser la tendance.»

* Créé à fin 1996 par le Département fédéral de l’interieur et le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication, l’Organe consultatif sur le changement climatique (OcCC) a pour mandat de formuler des recommandations sur les questions relatives aux changements climatiques à l’attention du monde politique et de l’administration fédérale. L’OcCC regroupe une trentaine de personnalités issues de la recherche, de l’économie et de l’administration fédérale qui ont été désignées par l’Académie suisse des sciences naturelles.