Campus n°83

Dossier/Climat

Nos convictions ne dictent pas nos actes

Le comportement de l’être humain est étudié depuis longtemps. Mais les recherches sur sa conduite vis-à-vis de problèmes à long terme comme le réchauffement climatique sont très récentes. Eléments de réflexion

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La plupart des gens nourrissent des sentiments positifs vis-à-vis de l’environnement. Peu, très peu d’entre eux agissent concrètement pour réduire leur impact polluant sur la planète. L’étude de cette «discrépance» entre l’attitude (à comprendre dans le sens d’une prédisposition, positive ou négative, par rapport à un sujet) et le comportement proprement dit relève de la psychologie sociale. Dans le cadre d’un mandat externe, Vahan Garibian, étudiant de 4e année en Section de psychologie, a parcouru la littérature scientifique pour faire le point concernant les recherches sur le comportement des individus confrontés aux problèmes écologiques. «Il existe depuis longtemps des théories sur le comportement, note Vahan Garibian, qui en est à la moitié de son travail. Mais cela fait à peine dix ou quinze ans qu’on les applique à l’environnement.» Petite visite guidée dans les arcanes de la psychologie humaine.

Premier constat: le fait d’avoir une disposition (attitude) favorable à l’environnement ne suffit pas, et de loin, pour dicter un comportement adapté. Une connaissance plus spécifique de la problématique (production des gaz à effet de serre et mécanismes du réchauffement climatique, par exemple) non plus, bien qu’il s’agisse là, selon la plupart des études, d’une condition nécessaire à un changement de comportement. «En fait, les chercheurs se sont rendu compte que les gens ne mesurent pas l’importance relative des différents gestes polluants, précise Vahan Garibian. L’individu se sent si perdu face à la multitude d’efforts qu’il devrait consentir un peu partout qu’il finit par abandonner.» Cela dit, parmi la nuée d’informations diffusées dans le public, certaines s’avèrent plus efficaces que d’autres. Notamment celles qui précisent de manière pragmatique les gestes concrets que l’on peut adopter.

Le comportement est aussi lié aux données socioéconomiques. Ce sont en effet les individus les plus aisés financièrement et les plus éduqués qui ont le plus tendance à modifier leurs habitudes pour réduire leur impact sur la nature. La corrélation est également très forte avec le sens des responsabilités. Ce trait de caractère est en effet particulièrement aiguisé chez les défenseurs de l’environnement. Malheureusement, éduquer, enrichir et responsabiliser les gens sont des variables pour le moins difficiles à modifier sur le court terme et à grande échelle.

Réduire l’effort à fournir

Plus malléables sont les variables «situationnelles », comme les outils utilisés par la publicité. Les campagnes d’affichage, si elles sont bien conçues, s’avèrent en effet efficaces. D’autant plus si elles véhiculent l’idée que tout le monde (y compris et surtout son voisin le plus proche) a une conscience environnementale et agit en conséquence. Il est plus facile de se conformer à une norme, fût-elle factice, que de jouer les pionniers. Mais le mieux est encore de réduire au minimum l’effort à accomplir pour devenir «écocompatible». Cela implique de concevoir des transports publics très efficients, des centres de recyclage très proches, des maisons bien isolées, etc.

«Si l’effort demandé est trop grand, on trouve toujours une bonne raison pour ne rien faire, explique Vahan Garibian. Et quand l’attitude et le comportement ne sont plus en accord, on modifie sa perception des choses pour les réconcilier: on justifie par tous les moyens sa conduite, on en diminue les effets négatifs, on attribue la faute à quelqu’un d’autre (les autorités, les circonstances), etc. La psychologie humaine a des ressources insoupçonnées pour ce genre d’exercices lui permettant de tranquilliser sa conscience.»

Encore plus pragmatique, le système de la récompense et de la punition fonctionne bien aussi, mais il comporte une limitation très importante. Ramener le verre consigné ou écoper d’une amende pour avoir jeté des déchets par terre rend le comportement inconsistant avec l’attitude. Ce n’est en effet plus pour le bien de l’environnement que la personne adopte certains gestes, mais pour obtenir une récompense ou éviter une punition. Son attitude devient en réalité moins écologique qu’avant. Pour Vahan Garibian, il est nettement plus efficace d’inciter doucement les gens à adopter certains gestes, de telle manière qu’ils aient l’impression d’y être arrivés tout seul. Mais il faudra réaliser cette prouesse dans tous les secteurs car le fait d’être parvenu à une attitude positive à l’égard du recyclage des déchets, par exemple, influence le comportement dans ce domaine exclusivement. Cela ne poussera pas forcément les gens à diminuer leur consommation ou l’utilisation de leur voiture. On ne devient pas aussi facilement un «écolo global». De leur côté, certains modèles économiques tentent d’expliquer le comportement des gens vis-à-vis de l’environnement comme une optimisation du rapport coût-bénéfice. Une stratégie que l’être humain aurait acquise et perfectionnée au cours de l’évolution pour des raisons de survie de l’espèce (c’est-à-dire de lui-même et de ses proches). Une telle approche explique facilement pourquoi l’on observe autant de comportements égoïstes tels que l’achat d’une grosse voiture prestigieuse, mais gourmande en essence. Le bénéfice est évident, puisqu’un tel véhicule agit comme signe extérieur de richesse et de puissance. En revanche, se priver d’un tel achat ne changerait rien à l’environnement, car la plupart des gens ont l’impression de n’être qu’une goutte dans l’océan. Dans ces conditions, on imagine que le système de taxes sur la consommation de certains biens «sensibles» (essence, emballage, matières plastiques, etc), pourrait faire son office.

Conduite altruiste

D’autres psychologues, finalement, estiment que le comportement respectueux de l’environnement relève d’une conduite altruiste. Et, selon eux, un tel comportement n’est possible que si les besoins de base sont satisfaits en premier lieu (en tout cas les besoins physiologiques et de sécurité). On peut dès lors arguer qu’aujourd’hui, en ces temps de profonds changements, une partie de la population ressent une réelle insécurité physique et économique (à tort ou à raison), rendant du coup impossible l’adoption de ce comportement altruiste. Une autre manière de dire que l’on a déjà assez de problèmes pour ne pas en plus se soucier d’une menace qui ne se manifestera pleinement que dans un siècle.