Campus n°84

Perspectives

Une caisse unique pour plus d’équité

La profonde modification de l’assurance maladie soumise en votation le 11 mars peut constituer un pas dans la bonne direction selon Alex Mauron, directeur de l’Institut d’éthique biomédicale

Campus: Le 11 mars, le peuple suisse est appelé à voter sur l’instauration d’une caisse maladie unique. D’un point de vue éthique, ce projet va-t-il selon vous dans le bon sens?

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> Alex Mauron: La caisse unique n’est pas la panacée. Elle ne résoudra pas tout d’un coup de baguette magique et n’aura probablement pas d’incidence majeure sur les coûts de la santé en général. Mais c’est une solution qui peut permettre de réduire un certain nombre d’inéquités présentes dans le système actuel. Par exemple, la prétendue concurrence qui prévaut actuellement entre les caisses s’exerce principalement sur le dos des assurés, qui font les frais de la chasse aux «bons risques» et de la publicité des caisses.

C’est-à-dire?

> Assurer l’accès universel à des soins de santé de qualité est fondamentalement une tâche de politique publique. Confier cette mission à des acteurs économiques privés, comme c’est le cas en Suisse, provoque toutes sortes d’effets pervers. Cela génère notamment une pression politique majeure sur le catalogue des prestations. Les assureurs ont en effet un intérêt massif à transférer les prestations de l’assurance de base, qui est largement réglementée, aux assurances complémentaires, qui peuvent officiellement faire des bénéfices et offrent explicitement la possibilité d’exclure les mauvais risques. A chaque fois qu’une prestation qui a une certaine utilité médicale passe du catalogue LaMal à l’assurance complémentaire, les inégalités sociales face à la maladie augmentent. En effet, on désavantage à la fois les malades et les couches sociales inférieures, celles-ci étant de toute manière plus vulnérables en termes de morbidité et de mortalité.

En quoi l’instauration d’un système unifié modifierait-elle cet état de fait?

> Les caisses maladie sont plus puissantes en étant des acteurs économiques privés. A l’heure actuelle, elles ont intérêt à augmenter leur poids politique, de façon à contrer les visées antagonistes des assurés et des malades. D’où l’existence d’un lobby aujourd’hui relativement fort. La caisse unique coupe l’herbe sous le pied à cette volonté de puissance politique. A cet égard, elle ouvre la porte à des décisions plus démocratiques en matière de politique de santé et donc d’assurance maladie.

En guise de contre-projet, le Conseil fédéral propose de maintenir la politique de réforme en vigueur aujourd’hui. Que pensez-vous de cette position?

> De façon assez cocasse, la plupart des critiques adressées à la caisse unique s’appliquent plus encore à la politique actuelle. Si on laisse le statu quo se développer dans la direction choisie, il est clair que l’on se dirige vers une médecine à plusieurs vitesses. De plus, on fait grief à la caisse unique de limiter le choix de l’assuré, or c’est exactement ce que cherchent à faire les caisses avec la suppression de l’obligation de contracter, mesure qui priverait l’assuré d’un élément de choix crucial, celui de son médecin.

N’est-il pas regrettable que l’essentiel du débat sur l’assurance maladie porte aujourd’hui sur la maîtrise des coûts?

> Il est vrai que le système actuel, un des plus chers du monde, n’est pas très performant dans ce domaine. Encore faut-il savoir sur qui pèsent les coûts. En fait, c’est essentiellement sur les assurés eux-mêmes: ceux-ci paient des primes par tête, antisociales par définition, mais finissent en plus par payer de leur poche une proportion croissante, et très élevée en comparaison internationale, des frais de santé. Le système présente par ailleurs beaucoup d’aspects irrationnels dans son organisation. De plus, l’idéologie de la concurrence vertueuse est une fiction puisque cette dernière vise davantage à faire pression sur l’accessibilité des soins qu’à augmenter leur efficience. Enfin, en se focalisant sur les primes et le coût de la santé, on néglige complètement la question de l’accès aux soins, de la qualité des soins et de l’adéquation entre l’offre de soins et les besoins de la population.

Propos recueillis par Vincent Monnet