Campus n°85

Dossier/spin-off

Quatre portraits de «jeunes pousses»

Les «spin off» issues de l’Université sont actives dans des domaines très divers. Elles ont également des moyens très différents. Sélection non exhaustive

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Epithelix, pour une ingénierie cellulaire éthique

Epithelix n’a pas mis longtemps à se faire un nom. Fondée en mars 2006 par trois biologistes et un chimiste issus de la Faculté des sciences (Ludovic Wiszniewski, Jean-Paul Derouette, Song Huang, Samuel Constant), cette société de biotechnologie spécialisée dans la reconstitution in vitro de tissus humains a été récompensée en juin de la même année par un prix lors de la 4e édition du concours national Venture, organisé conjointement par l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich et McKinsey.

Cette rapide notoriété, Epithelix la doit au développement d’un modèle cellulaire d’épithélium respiratoire (un tissu protégeant l’organisme face à l’environnement extérieur) possédant des caractéristiques exceptionnelles. Hormis le fait qu’il imite parfaitement le comportement des cellules humaines in vivo sur le plan physiologique, le principal atout du «MucilAir» réside dans sa longévité. Alors que la plupart des modèles cellulaires existant ont une durée de vie qui n’excède pas une semaine, celui-ci peut survivre plus d’une année. Cette particularité autorise des études à long terme, ce qui devrait notamment permettre de réduire le recours à l’expérimentation animale dans la phase de tests visant à vérifier l’innocuité des nouvelles pharmaceutiques et chimiques. Le «Mucil Air» est également un outil performant pour l’étude des infections bactériennes et virales (comme la grippe aviaire ou le SRAS), de l’asthme et autres inflammations du système respiratoire.

«Contrairement à beaucoup de “spin off”, qui doivent investir largement dans la recherche et le développement, nous disposions d’emblée d’un produit pouvant être rapidement commercialisé, explique Samuel Constant, CEO* de l’entreprise. Et nous savions également que la demande était très forte. Les résultats qui sont obtenus sur des souris de laboratoire sont en effet difficilement transposables à l’homme. Nos modèles sont par ailleurs beaucoup plus faciles à manipuler et moins coûteux à entretenir qu’une animalerie.»

Le procédé qui est à la base du «MucilAir», ne concerne pour l’instant que les cellules des voies respiratoires (cavité nasale, trachée, bronches, poumons). Deux programmes de recherche ont cependant été lancés afin de parvenir au même résultat pour les tissus intestinaux et ceux qui forment la barrière hémato-encéphalique protégeant le cerveau. Ces deux nouveaux produits devraient apparaître sur le marché dans les deux prochaines années.

«Epithelix est actuellement autofinancée, complète Samuel Constant. L’entreprise bénéficie également du soutien logistique d’Eclosion. Cela correspond à la philosophie de notre société, basée sur des valeurs éthiques, et qui vise notamment à réduire les expérimentations sur les animaux grâce à des outils plus pertinents. Nous désirons également soutenir la recherche universitaire en fournissant les laboratoires aux plus bas prix possibles. Et notre croissance ne se fera pas au détriment de ce genre de convictions.»

Id Quantique, vers le secret absolu

En matière de protection des données informatiques, c’est le nec le plus ultra. Technologie explorée depuis le milieu des années 1990 par l’équipe de Nicolas Gisin, directeur du Groupe de physique appliquée, la cryptographie quantique permet d’augmenter de façon drastique la confidentialité des communications sur réseaux optiques en résolvant les problèmes liés à la création et à l’échange inhérents aux clés mathématiques.

«Les méthodes de codage conventionnelles sont sûres mais pas infaillibles, explique Grégoire Ribordy, directeur d’Id Quantique et ancien de l’équipe de Nicolas Gisin. Les procédés que nous avons mis au point offrent en revanche une sécurité garantie par les lois de la physique.»

Créée en octobre 2001 par Nicolas Gisin, Hugo Zbinden, Olivier Guinnard et Grégoire Ribordy, qui sont tous issus du Groupe de physique appliquée, Id Quantique emploie aujourd’hui une douzaine d’employés. L’entreprise a développé le premier système commercial de cryptographie quantique (qui se présente sous la forme de deux boîtiers électroniques), ainsi que le premier générateur quantique de nombres aléatoires. L’entreprise a également d’emblée mis sur le marché des appareils permettant la détection de photons qui lui ont permis de financer ses premiers mois d’existence.

Ces travaux ont notamment valu à l’entreprise une distinction lors des European Innovation Awards décernées par le Wall Street Journal Europe en 2001, le Prix 2002 de la Fondation W.A. de Vigier (doté de 100 000 francs), le Swiss Technology Award en 2004. Fin 2003, Id Quantique est par ailleurs parvenue à lever un million d’euros auprès du fond de capital risque «i2i», basé au Luxembourg. «Lorsque nous avons décidé de nous lancer dans l’aventure, l’Université a montré une grande souplesse, précise le jeune directeur. Nous avons pu demeurer quelque temps dans les locaux de l’Université, ce qui a permis de ne pas couper les ponts tout de suite et de décoller en douceur.»

Seule restriction pour le moment, le système mis au point par Id Quantique est limité en portée. «Sur une longue distance, les photons peuvent être absorbés dans la fibre optique, ce qui rends le signal illisible, précise Grégoire Ribordy. A l’heure actuelle notre appareil fonctionne donc dans un rayon maximum de 60 à 100 kilomètres.» Même à cette distance, les possibilités d’applications restent nombreuses, puisqu’elles sont susceptibles d’intéresser toutes les entreprises qui ont des informations critiques à protéger, à commencer par le monde bancaire. «Nous sommes aujourd’hui sur le point de passer à la commercialisation de notre système de cryptographie quantique, qui est disponible depuis la fin 2006, complète Grégoire Ribordy. Notre objectif pour cette année est de réaliser les premiers tests avec des clients potentiels et d’obtenir nos premières commandes fermes.»

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NovImmune, le pari de la biotechnologie

Quarante-cinq employés de seize nationalités différentes, quatre produits en phase de développement, dont deux en phase d’essais cliniques, 58 millions de fonds levés en 2006, une entrée en bourse possible à la fin 2009: NovImmune a les moyens de ses ambitions.

Fondée en 1999 par le professeur Bernard Mach, alors chef du Département de microbiologie de la Faculté de médecine, cette société phare dans le domaine des biotechnologies est spécialisée dans le développement d’anticorps monoclonaux thérapeutiques pour les maladies autoimmunes, l’inflammation et la transplantation.

«Dans le cas des maladies autoimmunes, explique Jack Barbut, CEO de NovImmune, des maladies différentes ont le même type de mécanisme. Un seul anticorps monoclonal peut donc être efficace dans le traitement de plusieurs maladies comme le diabète de type I, la maladie de Crohn ou la sclérose en plaque.»

NovImmune dispose aujourd’hui d’une gamme de plusieurs produits. Le premier, NI-0401, est actuellement testé sur des patients atteints par la maladie de Crohn. Le second, NI-0501, suivra le même chemin au cours de l’année, mais pour le psoriasis. Les autres sont à divers stades de développement.

Sur le plan économique, le potentiel est énorme puisque le marché des anticorps monoclonaux, qui représentait 4 milliards en 2000, est estimé à 18 milliards pour 2007, chiffre qui devrait doubler dans 5 à 7 ans. Pour s’y attaquer, il faut cependant avoir les reins solides et être prêt à prendre des risques. «Au stade des essais cliniques, où nous sommes arrivés avec le NI-0401, il y a encore 80% de chances que la molécule échoue, explique Jack Barbut. Pour être en mesure d’arriver aux premiers tests chez l’homme, il faut compter 15 millions de dollars. Et pour amener un produit sur le marché, il faut être capable d’investir entre 400 et 800 millions de dollars. Une fois que le produit est commercialisé, vous avez dans le meilleur des cas une petite dizaine d’années pour rentabiliser l’opération. Dans ce domaine, les échecs se paient donc très chers. C’est pourquoi il est essentiel pour nous de pouvoir compter sur une équipe aux compétences très pointues.» Spécialisés en immunologie, en biologie moléculaire, en biologie cellulaire, en médecine ou en pharmacologie, les collaborateurs de NovImmune sont triés sur le volet. La très grande majorité des employés de l’entreprise sont au minimum titulaires d’une maîtrise universitaire.

De quoi rassurer les investisseurs, qui n’ont d’ailleurs pas tardé à manifester leur intérêt pour l’entreprise. Dès 2000, Bernard Mach, aujourd’hui président du conseil d’administration et du conseil scientifique de la société, parvient ainsi à lever une quinzaine de millions de francs. En 2005, l’entreprise lève 12 millions de francs supplémentaires et, en 2006, ce sont 58 millions de francs qui sont injectés dans la compagnie, soit «l’une des plus importantes opérations de ce genre en Europe ces dernières années», selon le quotidien Le Temps. Signe de cette belle santé économique, NovImmune pourrait être cotée en bourse dès 2009.

Anteleon, du droit d’auteur à la publicité

La spécialité d’Anteleon, c’est le tatouage numérique. Développée par le groupe dirigé par Thierry Pun et Svyatoslav Voloshynovsky, tous deux professeurs au sein du Département d’informatique de la Faculté des sciences, cette technologie permet d’ajouter des informations invisibles et infalsifiables sur des textes ou des images numériques.

«Lors de la lecture d’un document et plus encore lors de l’observation d’une image, notre œil ne perçoit que 80% de l’information, explique Svyatoslav Voloshynovsky. Il est possible de manipuler les 20% restants pour introduire des éléments permettant d’authentifier le document sans altérer son contenu et de manière invisible à l’œil nu. Très performant en termes de qualité visuelle, de fiabilité et de capacité de stockage d’information (quelques dizaines de caractères par image), le procédé que nous avons développé est actuellement, selon nos clients, le meilleur sur le marché.»

Fondée en 2003, Anteleon a connu ses premiers succès sur le terrain du droit d’auteur. Après un codage préalable, le système proposé permet par exemple de suivre à la trace le chemin d’une image stockée dans une banque de données, d’identifier son acheteur ou son éventuelle date de publication. Selon une logique similaire, Anteleon a également développé ce type de service pour des supports textes. «L’avantage du procédé tient au fait qu’il est possible à tout moment de repérer et de localiser une éventuelle modification», complète Sergei Startchik, directeur de l’entreprise et ancien doctorant du groupe de Thierry Pun. Applicable à toutes sortes de documents officiels – contrats de courtage, certificats d’action, actes notariés ou bancaires – le produit n’a pas tardé à trouver preneur, trois entreprises financières genevoises l’ayant d’ores et déjà adopté.

Forte de ces succès, Anteleon s’attaque aujourd’hui au gigantesque marché du commerce à distance. En s’appuyant toujours sur le tatouage numérique, l’idée est de mettre à profit les appareils photographiques dont sont équipés la plupart des téléphones portables pour créer un nouveau type d’interaction entre le vendeur et l’acheteur.

Après le marquage préalable des différents supports visuels d’une campagne publicitaire, le consommateur pourrait ainsi commander un produit ou obtenir un rabais en prenant un simple cliché de celui-ci. Envoyée sur un serveur par MMS, la demande pourrait être traitée très rapidement. «De la même façon, plutôt que de remplir un formulaire ou de naviguer sur Internet, on pourrait tout à fait utiliser notre méthode pour passer des commandes à partir de n’importe quel catalogue, complète Sergei Startchik. Pour éviter d’intervenir sur le visuel des campagnes, comme ce serait le cas avec des codes barres, par exemple, Anteleon a développé une solution innovante se basant sur la reconnaissance directe par le téléphone portable d’éléments insérés dans l’image.»

A l’autre bout de la chaîne, cette technologie apporterait également de précieuses informations aux publicitaires. En analysant le nombre de photographies prises pour un produit donné, il deviendrait notamment très facile d’évaluer l’impact de tel message ou la pertinence de tel emplacement. Dans l’intervalle, reste à trouver un accord avec les opérateurs de téléphonie mobile. A en croire les fondateurs d’Anteleon, les premiers contacts seraient très prometteurs...