Recherche/médecine
Notre corps a des armes contre le VIH Affûtons-les!
Les premières cellules qui entrent en contact avec le virus du sida possèdent des défenses naturelles contre l’envahisseur. Elles ne sont malheureusement pas parfaitement étanches
Dans la majorité des cas, le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) se transmet lors de rapports sexuels en traversant les muqueuses génitales ou rectales. Ces tissus possèdent cependant plusieurs rangées de défenses naturelles qui contrecarrent les assauts du virus du sida. Une des stratégies de lutte contre la maladie consiste d’ailleurs à améliorer cette protection (une trentaine de produits, appelés microbicides, sont actuellement en phase de développement clinique). Deux études récentes vont peut-être offrir de nouvelles munitions dans ce champ de recherches. L’équipe de Vincent Piguet, professeur adjoint à la Faculté de médecine et aux Hôpitaux universitaires de Genève, a en effet identifié deux nouveaux boucliers naturels du corps humain sur lesquels on pourrait agir afin d’augmenter leur efficacité.
Lors d’un rapport sexuel à risque, le virus du sida, véhiculé par le sperme, se heurte à une première barrière: les cellules épithéliales des muqueuses. Celles qui tapissent le vagin possèdent plusieurs couches de cellules, offrant une meilleure protection que celles de l’utérus et du rectum qui n’en comptent qu’une seule. Chez la femme, ce premier bastion est renforcé par le milieu acide du vagin et les sécrétions de radicaux libres néfastes à tous les agents pathogènes. Juste en dessous de l’épithélium est organisée une seconde ligne de défense, formée essentiellement de macrophages, de cellules dendritiques et de cellules dites de Langerhans.
L’étude de patients atteints par le VIH a montré que le virus peut franchir toutes ces barrières – même en l’absence de lésions – et atteindre son ultime objectif que sont les lymphocytes T (des globules blancs aussi appelés CD4+), et attaquer ainsi le système immunitaire.
«On pensait que les cellules dendritiques et celles dites de Langerhans servaient de médiateurs à l’infection en captant les virus et en les transmettant plus loin aux CD4+, explique Vincent Piguet. En réalité, le corps humain est mieux conçu que cela. Nous avons découvert que ces cellules, bien qu’elles soient le passage obligé du VIH, possèdent des défenses naturelles d’une efficacité inattendue.»
Deux types de défense
La première de ces défenses est une enzyme appelée APOBEC3G/3F (A3G/3F). Découverte en 2002, cette molécule a déjà fait parler d’elle. Une autre équipe genevoise (dirigée par le professeur Didier Trono) a en effet décrit le mécanisme qui lui permet d’arrêter la réplication du VIH dans les CD4+. Cette prouesse n’est toutefois possible qu’à la condition – irréaliste – qu’il manque au virus un de ses neuf gènes, celui appelé vif (lire Campus n°66, octobre 2003). Les chercheurs n’ayant aucun moyen pour l’instant de s’attaquer à ce gène, l’intérêt pour A3G/3F est demeuré de l’ordre de la recherche fondamentale.
Les choses ont changé avec la publication de l’étude réalisée par l’équipe de Vincent Piguet dans The Journal of Experimental Medicine du 25 décembre 2006. Dans leur article, les chercheurs genevois montrent que A3G/3F ne se trouve pas seulement dans les CD4+, mais aussi dans les cellules dendritiques. Mieux: dans ces dernières, l’enzyme bloque carrément le virus du sida, sans qu’il soit nécessaire d’éliminer vif.
«La sensibilité des cellules dendritiques face à l’infection par le VIH dépend en fait de leur concentration en A3G/3F, explique Vincent Piguet. Plus elle est élevée, moins le virus a de chances d’entrer. Malheureusement, une partie des cellules dendritiques immatures, contenant moins d’enzymes, se font tout de même infecter. Toutefois, il est possible de moduler l’activité du gène responsable de la synthèse d’A3G/3F. Les moyens que l’on connaît pour l’instant ne sont pas les plus adéquats (les interférons, par exemple), mais il est raisonnable d’imaginer le développement d’un traitement plus spécifique (oral ou en application locale) capable d’arriver au même résultat sans autant d’effets secondaires.»
La langerin
La deuxième arme naturelle est une protéine située à la surface des cellules de Langerhans qui, en raison de leur implantation très proche de la surface de la muqueuse, rencontrent le VIH encore plus tôt que les cellules dendritiques. Dans un article paru le 4 mars 2007 dans la version électronique de la revue Nature Medicine, une équipe néerlandaise avec laquelle Vincent Piguet a collaboré décrit le rôle de cette molécule appelée langerin. Elle capte le VIH et l’entraîne à l’intérieur de la cellule pour y être dégradé dans des vésicules prévues à cet effet. L’opération semble très efficace puisqu’il faut, en conditions de laboratoire, une concentration de virus élevée et une longue exposition pour que certaines cellules de Langerhans finissent par être infectées. Le revers de la médaille est que les chercheurs ont découvert qu’au moins un des microbicides actuellement en développement, le mannan soluble, diminue l’efficacité de la langerin.
«Si l’on arrive par un moyen ou un autre à rendre les cellules dendritiques et celles de Langerhans parfaitement hermétiques au virus du sida, la protection contre l’infection via les muqueuses est pratiquement de 100%, estime Vincent Piguet. Cette perspective est encourageante. Dans la lutte contre le sida, on compte beaucoup sur le développement d’un vaccin. Mais, pour l’instant, il n’en existe pas. La stratégie des microbicides est également apparue comme porteuse d’espoirs, mais les premiers, à large spectre, n’ont pas fonctionné. Et ceux de deuxième génération, plus prometteurs, sont pour l’instant beaucoup trop chers. Nous proposons désormais deux cibles supplémentaires. Toutefois, la fabrication d’un médicament pouvant agir sur elles nécessitera au moins cinq à dix ans de recherches supplémentaires.»
Le problème restera néanmoins inchangé: développer un médicament bon marché. Car, pour l’Organisation mondiale de la santé, ce dont le monde a le plus besoin face au sida, c’est une technique de prévention dont les femmes, en particulier les plus pauvres, auraient la maîtrise. Elles sont les premières victimes de l’épidémie, ignorent souvent les mécanismes de propagation de la maladie et ne contrôlent pas toujours le moment où, ni avec quelle protection elles auront des rapports sexuels. Dans l’idéal, cette technique pourrait être un microbicide sous forme de crème, de gel ou de suppositoire qui pourrait être inséré discrètement dans le vagin avant les rapports sexuels. Il protégerait non seulement contre le VIH, mais aussi contre les autres microbes sexuellement transmissibles. Les travaux de développement dans ce domaine sont toutefois rarement menés par de grands groupes pharmaceutiques, seuls à disposer des moyens pour mener à bien les essais cliniques. En plus, les microbicides ne sont pas vus comme très rentables puisque le marché visé est essentiellement constitué de femmes pauvres.
Anton Vos
Le sida ne recule pas> 39,5 millions de personnes vivaient avec le VIH en 2006 (2,6 millions de plus qu’en 2004). |