Campus n°87

A lire

Le goût des autres

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En matière d’aide au développement, la Suisse peut se targuer d’une activité intense et largement reconnue. Rentable, chaque franc investi rapporte entre 1,4 et 1,6 franc, l’aide suisse peine cependant à atteindre les objectifs fixés par l’ONU au tournant du siècle (0.7% du PIB pour chaque pays donateur). Motivée au moins autant par le souci de défendre les intérêts de l’économie nationale, que par des préoccupations morales, la lutte contre la pauvreté à l’extérieur de nos frontières s’incarne dans deux agences fédérales: le SECO (Secrétariat d’Etat à l’économie) et la DDC (Direction de la coopération et du développement). Les ONG complètent le dispositif. Partenaires de l’Etat, elles constituent un puissant lobbying et effectuent un important travail de sensibilisation. L’aide bilatérale, qui mobilise 80% des sommes allouées au développement, vise une série de pays «prioritaires». Elle a longtemps consisté en un support technique et des programmes d’aide à la formation. Depuis peu, la Confédération porte toutefois une attention accrue aux questions de genre, à la gouvernance et au désendettement. Malgré une adhésion tardive, la Suisse est par ailleurs bien intégrée aux structures multilatérales (ONU, Banque mondiale, FMI). Dans ce contexte, les représentants de la Confédération ont eu l’occasion de montrer leurs capacités à innover lors de la création du Conseil des droits de l’homme en 2005. Reste un manque de cohérence globale qui pousse parfois à reprendre d’une main ce qu’on donne de l’autre: participation à la construction du barrage des Trois-Gorges (Chine), vente de matériel de guerre à l’Inde, au Pakistan et à l’Arabie saoudite…
VM

«La politique suisse de solidarité internationale. De la coopération au développement global», par Catherine Schümperli, collection Le Savoir suisse, PPUR, 142 p.

Les mots du nombril (ou J’écris, donc je suis)

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Sous la Révolution, on manifestait publiquement ses émotions. Au siècle suivant, on assiste au contraire à un certain repli sur soi. Dans Etre et se connaître au XIXe siècle, des spécialistes en psychologie, en histoire ou en littérature française examinent les textes issus de ce processus d’intériorisation. Celui-ci donne lieu à des formes renouvelées d’un classique du genre dans l’Antiquité: l’examen de conscience. Sous l’influence de l’Eglise et dès le XVIIIe siècle, l’introspection s’approfondit, tandis que les sentiments de contrition, d’anxiété relative au salut de l’âme ou de culpabilité actionnent l’exploration de soi que pratiquent les écrivains du sacré (le curé d’Ars), comme ceux du profane. A l’ère moderne, cet exercice, envisagé par les anciens comme un «art de l’existence», devient donc une «confession». Mais la physiologie s’en mêle et influence les conceptions religieuses, liant le physique et le moral, encourageant le désir de se scruter autant que la scrutation du désir. Dits en français, les contours de l’appétit, de la sexualité, des plaisirs du goût, des rêves, de la mémoire ou de la croyance en une destinée de l’artiste, se précisent, grâce aux mots de Stendhal, de Vigny, d’Amiel ou de Brillat-Savarin. Cet ouvrage fort bien documenté nous rappelle que l’histoire du moi, oscillant comme un pendule, est née avec la littérature.
S.D.

«Être et se connaître au XIX e siècle», Littérature et sciences humaines, John E. Jackson, Juan Rigoli et Daniel Sangsue, préface d’A. Corbin, éd. Métropolis, Genève 2006, 253 p.

Terrorisme: le mal du siècle.

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Il faudra apprendre à vivre avec. «Consubstantiel à toute société», comme l’écrit Rémi Baudouï, historien, urbaniste et directeur ad intérim de l’Institut d’architecture, le terrorisme a pris une nouvelle dimension depuis les attentats du 11 septembre 2001. Concept «fourre-tout», utilisé depuis deux siècles pour désigner indistinctement tous ceux qui recourent, à tort ou à raison, à la violence pour changer l’ordre politique, il a été érigé par l’administration Bush au rang d’acte de guerre. Un glissement coupable, selon Rémi Baudouï, dont nous n’avons pas fini de mesurer les conséquences. En frappant les tours du World Trade Center, objectif hautement symbolique, al-Qaida a fait voler en éclats le système de sécurité international hérité de la Guerre froide. Espaces longtemps considérés comme sûrs, les villes occidentales sont désormais des cibles potentielles et chacun de ses habitants une victime en sursis. Face à cette situation, explique Rémi Baudouï, la voie choisie par l’administration Bush est une impasse. Assimiler guerre et terrorisme, annihile en effet toute perspective de dialogue entre les parties. En réduisant les enjeux du conflit à une lutte entre le Bien et le Mal, cette interprétation renforce également la légitimité du camp adverse. Corollaire de cette politique, l’idée de mener des guerres préventives contre les «Etats voyous» plonge en outre le monde dans un état de guerre permanent où le recours à la violence n’est plus qu’un «risque ordinaire de la modernité».
VM

« Les défis du terrorisme », par Rémi Baudouï, éd Ellipses, 176 p