Campus n°88

Dossier/Etudiants

Le e-learning est utile, mais mal compris

La majorité des étudiants estime que l’enseignement à distance ne mérite pas d’être développé. Pourtant, les nouvelles technologies peuvent enrichir l’apprentissage et toucher des populations jusqu’ici exclues de la formation

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Parmi les promesses nées de l’essor récent des technologies de l’information, l’enseignement à distance, et plus généralement le e-learning, est particulièrement à la mode. Pourtant, les étudiants de Genève ne semblent pas partager cette vision. En effet, selon les résultats de l’enquête «Etudiants 2006» menée par l’Observatoire de la vie estudiantine (OVE), plus d’un sondé sur trois pense que le développement des cours à distance n’est pas souhaitable et plus d’un sur quatre considère que ce n’est pas utile. C’est, parmi les propositions évoquées dans le sondage pour améliorer la formation universitaire, la plus décriée.

Pour Emmanuel Josserand, professeur au sein des Hautes Etudes commerciales et délégué auprès du Rectorat pour le e-learning, cette défiance n’est pas étonnante. «Les étudiants, surtout ceux qui sont dans les premières années, cherchent le contact avec les professeurs et avec leurs camarades, analyse-t-il. Cela fait partie de leur intégration sociale. Il n’est donc pas surprenant qu’ils ne s’intéressent pas à l’enseignement à distance. En revanche, si l’on affine l’analyse des réponses obtenues par l’OVE, on remarque que parmi les personnes de plus de 30 ans, la proportion des avis favorables au développement de cours à distance se monte à 55% (contre 35% pour l’ensemble de la population étudiante). Le résultat est similaire auprès des étudiants qui ont dû interrompre ou réadapter leur cursus en cours de route. L’enseignement à distance a donc un sens pour certains types de populations. Et elle en a aussi pour des cours spécialisés et ponctuels, comme une présentation donnée par un professeur de référence au niveau mondial, ou encore pour la formation continue. L’Université de Genève a ainsi proposé avec succès en 2007 quatre certificats en partie ou totalement enseignés à distance.»

L’enseignement à distance a toujours existé. Auparavant, on s’échangeait des documents par la poste. Aujourd’hui, cela se passe par Internet. L’avantage de la Toile est qu’en plus du texte, on peut mettre en ligne les transparents qui accompagnent le cours, des enregistrements audio ou vidéo, des forums de discussion, bref toute la panoplie des outils multimédias. Les interactions directes avec les professeurs et les autres étudiants sont donc possibles, même si elles se font par l’intermédiaire de la machine.

«On sait, par les expériences menées dans ce domaine, que l’on ne doit pas supprimer l’encadrement des étudiants, même dans le cas d’un enseignement à distance, poursuit Emmanuel Josserand. Il faut des tuteurs qui animent les forums, répondent aux questions, etc. Habituellement, dans ce type de cours, les taux d’abandon sont importants. On parvient néanmoins à les réduire en assurant un bon accompagnement.» Ce qui fonctionne encore mieux est un enseignement mixte: des séances de rencontre sont organisées pour que les étudiants et les professeurs puissent entrer en contact et tisser ce lien de confiance qui permet de faciliter par la suite le déroulement du cours à distance.

Un dose de virtuel
Un autre cas de figure, moins radical, consiste à rajouter une dose de virtuel dans un cours présentiel. Nombreux sont aujourd’hui les professeurs qui mettent en ligne le contenu de leurs cours, ouvrent des forums, tiennent des blogs, etc. Ces initiatives enrichissent le contenu des enseignements et, comme tout est publié sur Internet, elles sont susceptibles de profiter à tous les étudiants et pas uniquement à ceux qui osent poser des questions. «Des séances de questions sur Internet peuvent également répondre à un besoin révélé par l’enquête, à savoir un contact accru avec l’enseignant, explique Emmanuel Josserand. Dans le cas d’un cours avec 400 auditeurs, il est illusoire d’imaginer que le professeur pourra consacrer du temps à chacun. Et comme de toute façon le contact demandé par les étudiants est dans l’immense majorité des cas d’ordre utilitaire, un forum sur Internet peut faire l’affaire, de moment qu’il est correctement organisé et animé.»

L’Université s’est dotée de deux plateformes informatiques de e-learning: Dokeos et Moodle. Elles sont pour l’instant surtout utilisées pour le dépôt de documents électroniques. Ce qui provoque parfois des problèmes chez les étudiants (queues interminables devant les imprimantes, utilisation abusive de papier, incompatibilité de certains formats…). «Il s’agit d’une première étape vers un usage plus intéressant des potentialités d’Internet, note Emmanuel Josserand. L’enquête «Etudiants 2006» fournit un autre résultat selon lequel plus de 55% des sondés souhaitent que l’on utilise davantage Internet pour compléter les cours. Dokeos et Moodle répondent à cette demande. Ces plateformes (en libre accès) sont adaptables aux besoins spécifiques des professeurs. Mon rôle est justement de guider ces derniers vers les interlocuteurs qui sont les mieux à même de les aider à exploiter ces technologies (pour enrichir leur enseignement ou pour toucher de nouveaux publics) par exemple en imaginant des cours qui intègrent une part plus ou moins importante d’enseignement distant. Les principaux acteurs du e-learning à l’Université sont la Division informatique, le Secteur de formation et évaluation et la formation continue qui possède une forte expertise dans le domaine. L’Université n’a pas du tout vocation à devenir totalement virtuelle. L’objectif est de ne pas manquer l’occasion de repenser notre pédagogie grâce aux nouvelles technologies. Le e-learning nous oblige à réfléchir sur notre manière d’enseigner. Il représente un formidable levier pédagogique.»

Dimension stratégique
Une directive du Rectorat exige pour l’instant que soient au minimum publiés en ligne le titre et une brève présentation de chaque cours. Dans une année environ, les professeurs devraient pouvoir choisir de rendre public l’accès au contenu de Dokeos et de Moodle, actuellement réservé à la communauté universitaire. Du coup, les plateformes acquerront une dimension stratégique en contribuant à étoffer la vitrine de l’école et à séduire de nouveaux publics.

«L’enseignement à distance œuvre pour l’égalité des chances, estime Emmanuel Josserand. Il offre la possibilité de se former même à ceux qui ne peuvent pas assister physiquement aux cours.» Codirigé par Antoine Geissbuhler, professeur au Département de radiologie, le RAFT, un réseau de télé-enseignement et de télémédecine en Afrique francophone, illustre bien ce propos. Fondé en 2000, il relie le Mali, la Mauritanie, le Maroc, la Tunisie, le Burkina Faso, le Sénégal, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, Madagascar, le Bénin et le Niger. L’objectif est «de placer en réseau les hôpitaux universitaires, les hôpitaux régionaux et les centres de santé ruraux, ainsi que de créer un contenu médical de qualité, adapté aux besoins du terrain, et intégrant les connaissances locales». Des «e-cours» sont dispensés tout au long de l’année. Leur diffusion est adaptée à des bandes passantes faibles (moins de 25 kbits par seconde), ce qui rend possible la participation de professionnels connectés par de simples lignes téléphoniques.

L’avance de la théologie
A Genève, c’est la Faculté de théologie qui est le plus en avance dans ce domaine. En effet, depuis octobre 1998, elle offre la possibilité de suivre des études entièrement à distance par Internet jusqu’au baccalauréat universitaire. Cette formation peut s’effectuer en trois ans, mais peut aussi être étendue sur 6 ans.

En Suisse, le développement du e-learning a reçu un sérieux coup de pouce grâce au programme fédéral du Campus virtuel suisse. Lancé en 2000, il est passé par une phase d’encouragement au développement de modules d’enseignement basé sur Internet, suivie par quatre ans de consolidation (La Confédération a alloué un budget de 30 millions de francs pour la période 2004-2007). Le financement de cette initiative touche toutefois à sa fin. C’est donc le moment pour les universités de reprendre le flambeau. «L’Université de Genève est bien avancée dans le e-learning, mais elle n’est pas non plus à la pointe en Europe, juge Emmanuel Josserand. L’Université Louis Pasteur de Strasbourg ou les universités Finlandaises sont en avance sur nous.»

E-learning à l'Unige
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