Campus n°88

Dossier/Etudiants

Genève attire les étudiants étrangers. Les lois les freinent

Les barrières législatives suisses ne favorisent pas la venue d’étudiants étrangers. L’Université de Genève continue toutefois de bénéficier de l’aura de la Ville international

image3

On ne peut pas dire que la Suisse ouvre grandes ses portes aux étudiants étrangers. En tout cas pas à ceux venus de pays extérieurs à l’Union européenne (UE) et à l’Association européenne de libre-échange (AELE), ce qui représente autour de 1500 personnes à l’Université de Genève. Le Conseil fédéral a en effet approuvé le 24 octobre les ordonnances d’exécution relatives à la nouvelle loi sur les étrangers et à la loi révisée sur l’asile. Et ces textes, qui entrent en vigueur au 1er janvier 2008, sont pour le moins restrictifs. Deux dispositions, en particulier, sont déplorées par l’ensemble des patrons des hautes écoles suisses. La première fixe à huit le nombre maximal d’années durant lesquelles un étudiant étranger peut espérer demeurer en Suisse («Des dérogations ne sont possibles que dans des cas dûment motivés»). La seconde impose un délai de six mois minimum entre la date d’arrivée et l’autorisation de commencer une activité lucrative.

Durée du séjour insuffisant
Six mois sans ressources, pour un étudiant étranger avec peu d’argent, venu d’un pays au niveau de vie très inférieur à celui de la Suisse, peut facilement représenter une barrière infranchissable. La critique apparaît sous forme de question: veut-on attirer les meilleurs étudiants ou les plus riches?

Quant à la durée de huit ans maximum d’autorisation de séjour sur le territoire, elle posera un problème à tous les étudiants étrangers qui prennent un peu de retard dans leur cursus et, surtout, à ceux qui voudraient – ou seraient encouragés à – réaliser un doctorat après leur maîtrise universitaire. Dans ce dernier cas, la durée risque de s’avérer insuffisante.

Du côté de l’Officé fédéral de la migration, ces deux dispositions sont justifiées par le soucis d’éviter les abus de certains étrangers qui pourraient prendre prétexte des études soit pour rester définitivement en Suisse, soit pour travailler et non étudier.

Il n’en reste pas moins qu’il n’existe aucune disposition légale qui favorise l’étudiant étranger en fin de cursus à trouver un emploi en Suisse. Dès la fin de ses études, s’il n’a pas immédiatement décroché un contrat de travail, il est invité à partir. Les maigres possibilités d’emploi à l’Université ne changent rien à la donne.

Se tirer une balle dans le pied
«Pour l’Université de Genève, qui paye, grâce aux impôts, la formation de tous ses étudiants, étrangers compris, laisser partir ces derniers revient littéralement à se tirer une balle dans le pied, estime Pierre Willa, responsable du Service des relations internationales (RI). Ils sont en effet obligés de quitter la Suisse au moment de leur vie où ils sont le plus créatifs et le plus productifs. L’argument qui consiste à affirmer qu’en retournant chez eux, ils aideront au développement économique de leur pays ne tient pas. Les meilleurs d’entre eux reçoivent des offres d’autres universités, européennes ou américaines, que peu refusent. En d’autres termes, nous payons pour former des étudiants (et parfois cher), mais ce sont d’autres pays industrialisés qui en profitent. J’ai rencontré plusieurs anciens étudiants étrangers de l’Université de Genève, et tous déploraient le fait que rien ni personne ne les retient dès qu’ils ont obtenu leur diplôme. A titre de comparaison, le Royaume-Uni a assoupli sa loi en la matière, consciente de l’investissement financier réalisé pour ces étudiants. La situation suisse est le fruit de notre politique de fermeture et d’un système éducatif qui voit la thèse comme une fin en soi.»

Malgré ces barrières légales visant à contenir l’immigration en Suisse, l’Université de Genève bénéficie toujours d’un fort attrait à l’étranger. Bon an, mal an, plus d’un tiers des étudiants viennent de l’extérieur des frontières (en comptant les ressortissants de l’UE et de l’AELE). C’est un indéniable succès qui doit beaucoup au renom international de la Ville du bout du lac autant qu’à la qualité de l’enseignement et d ela recherche de son université. «La célébrité de Genève nous donne une longueur d’avance sur les autres hautes écoles suisses, concède Pierre Willa. Néanmoins, si l’étudiant considère la Suisse (et non pas Genève) comme une destination en soi et compare les universités entre elles, il percevra des images assez différentes. Celle des Ecoles polytechniques fédérales est précise, leur formation essentiellement technique le permet. L’Université de Genève, qui est généraliste, renvoie forcément une image plus floue, même si son enseignement est de qualité et sa recherche de pointe. On s’en sort bien également si l’étudiant se tourne vers les «rankings» internationaux pour arrêter son choix – ce qu’il font très souvent, malgré les méthodes souvent discutables utilisées pour réaliser ces classements. Les plus légitimes d’entre eux nous placent en effet parmi les 50 premières universités du monde. Ce qui est un excellent score.»

Genève peut toutefois améliorer plusieurs points pour séduire les étudiants étrangers. L’un d’eux est la langue d’enseignement. Selon Pierre Willa, le développement de cours en anglais, surtout pour la maîtrise universitaire, pourrait augmenter le pouvoir de séduction de l’Université. Un autre est l’accueil proprement dit, que ce soit pour aider à surmonter les difficultés administratives des nouveaux venus que pour trouver un logement dans une situation pour le moins tendue. Même si les choses évoluent plutôt favorablement, quelques couacs ont été enregistrés. «Parmi les étudiants participant l’année passée à un échange Erasmus, une vingtaine ont commencé sans avoir de logement attribué, note Pierre Willa. Et deux ou trois ont carrément dû rentrer chez eux, perdant ainsi une année académique. Ce genre d’histoires, même ponctuelles, se colportent de bouche à oreille et peuvent, à force, faire du tort à l’image de l’Université.»