Campus n°88

Dossier/Etudiants

Demain, l’avis des étudiants sera capital

La future loi sur la formation et la recherche en Suisse poussera les universités à évaluer la qualité de leur enseignement et de leur recherche auprès des étudiants

Dès 2012, l’Université de Genève, comme toutes les autres hautes écoles de Suisse, devra, selon toute vraisemblance, démontrer la haute tenue de son enseignement et de sa recherche si elle veut toucher une subvention fédérale. Et dans l’évaluation de la qualité de l’établissement, l’avis des étudiants jouera un rôle non négligeable. C’est ce qu’exigera probablement la nouvelle loi sur l’espace national de la formation et de la recherche dont l’entrée en vigueur est prévue dans quatre ans et qui est actuellement en consultation. C’est donc aussi le temps qu’il reste à l’Université de Genève pour développer une procédure d’évaluation complète et cohérente.

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«Nous avançons lentement, estime Nicole Rege Colet, responsable du Secteur formation et évaluation (FormEv). Nous pratiquons depuis longtemps l’évaluation par les étudiants des enseignements, c’est-à-dire des cours, travaux pratiques et séminaires délivrés par les professeurs. En revanche, rien de tel n’est fait pour les programmes d’enseignement dans leur ensemble et très peu pour les unités (Facultés, Départements, etc.). Si nous voulons évaluer la qualité de notre université, comme l’exigera la nouvelle loi, nous n’avons pourtant pas le choix. Nous devons nous doter d’outils pour remplir ces tâches. Et cela va demander pas mal de travail.»

Une méthode éprouvée
L’évaluation des enseignements auprès des étudiants est maintenant une méthode éprouvée par trente ans de littérature scientifique. L’Université de Genève a elle-même bientôt dix ans d’expérience en la matière. Pour la seule année académique 2006-2007, FormEv a pris en charge 1542 enquêtes menées dans des classes d’étudiants de toutes les facultés et instituts. «Nous disposons d’un outil standard qui a fait ses preuves depuis les années 1990, note Nicole Rege Colet. Seulement, les résultats que l’on peut tirer de ces sondages ne doivent pas être mal interprétés. En demandant l’avis des étudiants, on ne mesure pas objectivement la qualité de l’enseignement. On recueille la perception des auditeurs d’un cours, une perception qui peut être influencée par des facteurs aussi divers qu’un horaire mal choisi ou l’absence de matériel de projection moderne. L’évaluation d’un cours n’est pas non plus l’évaluation du professeur, même s’il n’est pas toujours facile de faire la distinction. Il s’agit avant tout d’instaurer un dialogue entre l’enseignant et l’apprenant. A l’Université de Genève, on a opté pour une évaluation formative, c’est-à-dire qu’elle fournit une information utilisable par le professeur, lui permettant par exemple d’améliorer son cours ou de favoriser l’entrée des étudiants dans une dynamique qu’ils n’ont pas immédiatement comprise.»

81% des cours satisfaisants
Autre idée fausse démasquée depuis longtemps et dans tous les pays qui ont réalisé de telles enquêtes: il n’existe aucune corrélation entre la sévérité d’un enseignant et le résultat d’une évaluation. Dans leurs réponses, les étudiants ne cherchent pas, dans leur écrasante majorité, à se venger de quoi que ce soit. Au contraire, ils se distinguent par leur honnêteté et leur tendance à relever davantage les points positifs que négatifs. Et lorsqu’une critique est formulée, elle est entourée de précautions linguistiques, surtout lorsqu’elle est susceptible de toucher des assistants. Résultat: de manière générale, les appréciations sont excellentes. C’est le cas à l’Université de Genève (81% des cours sondés en 2006-2007 se situent au-dessus du seuil de satisfaction) ainsi que dans d’autres écoles comparables, que ce soit l’Université de Lausanne ou de Montréal. Parmi les critiques les plus souvent exprimées, il faut toutefois noter la demande récurrente des étudiants pour plus d’encadrement et une meilleure interaction avec le corps enseignant. Ce qui est cohérent avec l’observation que généralement, plus les effectifs des classes sont réduits, meilleurs sont les notes données par les étudiants.

Un des avantages de la multiplication de ces évaluations est la valeur croissante accordée par les professeurs à la parole des étudiants. Ces procédures atténuent, sans l’éliminer, la distance hiérarchique parfois vertigineuse qui existe entre l’enseignant et ses élèves. Elles impliquent les étudiants dans le processus de l’acquisition du savoir. En bref, ces évaluations représentent un puissant levier pédagogique. Encore faut-il que le professeur prenne en considération les résultats de l’évaluation et que les sondés aient un retour. «Pour le professeur, la prise de connaissance des résultats peut être très délicate, très émotionnelle, précise Nicole Rege Colet. La plupart d’entre eux nous assurent qu’ils en tiennent compte et qu’ils en informent leurs étudiants. Nous ne pouvons pas le vérifier. Il existe des mesures d’accompagnement pour les enseignants qui désirent modifier leur cours, mais pas de mesures incitatives.»

Aujourd’hui, à Genève, les professeurs sont toujours nommés davantage en raison de la quantité et de la qualité de leurs publications que de leurs aptitudes pédagogiques. La Faculté de droit, cependant, fait figure d’exception puisque tout candidat à un poste de professeur doit donner une leçon d’essai en conditions réelles (il remplace un collègue) et se soumettre à l’opinion des étudiants.

«L’évaluation de l’enseignement telle que nous la pratiquons depuis huit ans est essentiellement une démarche individuelle, utilisée par chaque enseignant qui souhaite avoir un retour de la part de ses étudiants, souligne Nicole Rege Colet. Elle est toutefois appelée à évoluer vers une logique collective. Ces évaluations auprès des étudiants doivent en effet être intégrées dans un processus global et devenir un outil institutionnel de gestion et de pilotage de la qualité de l’enseignement et de la formation universitaire. Et ce processus doit notamment contenir l’évaluation des programmes d’enseignement.»

En d’autres termes, ce sont des filières entières qui devront être jugées, le baccalauréat et la maîtrise universitaire ainsi que le doctorat. Il convient encore de se mettre d’accord sur la méthode (d’autres universités dans le monde qui pratiquent de telles évaluations, comme celle d’Oxford, peuvent servir de référence) mais elle intégrera de toute façon l’opinion des étudiants, au même titre que celles des enseignants, des concepteurs de programmes, d’experts indépendants et d’autres acteurs de la formation et du marché du travail. A cela devra s’ajouter finalement l’évaluation des unités. Dans ce domaine, la Faculté de médecine se démarque nettement des autres. Fin octobre 2006, sa filière d’études en médecine humaine a été accréditée par la Conférence universitaire suisse, un label qui atteste qu’elle est soumise à des contrôles de qualité périodiques. C’est une première dans notre pays et le fruit de plus de dix ans d’efforts. Cette accréditation est en effet le résultat de l’évaluation par les membres de la Faculté (dont les étudiants) ainsi que par des experts internationaux de l’ensemble de ses enseignements, filières et unités. Un travail que le reste de l’Université doit encore entreprendre.