Dossier/Etudiants
Les alumni, innombrables oubliés de l’Université
L’alma mater forme des légions d’étudiants dont elle perd la trace dès la fin de leurs études. Garder le contact avec les anciens peut toutefois comporter plusieurs avantages
Si l’Université de Genève n’a jamais réussi à conserver la trace de ses anciens étudiants, quelques-unes de ses subdivisions ou instituts ont pris des initiatives à leur échelle. La plus aboutie est sans doute celle de l’Institut universitaire des hautes études internationales (IUHEI). Une association des anciens étudiants y existe depuis longtemps, mais son activité a beaucoup varié au gré de ses dirigeants, tous volontaires. Depuis deux ans, toutefois, sous l’impulsion de Philippe Burrin, directeur de l’IUHEI, un Bureau des alumni a été créé ainsi qu’un poste à 40% pour le diriger. C’est Laurence Algarra qui l’occupe: «La création de ce poste permet de répondre à une attente et un intérêt indéniable à la fois de la part des anciens, qui désirent garder le contact entre eux et avec l’Institut, et de ce dernier, qui souhaite conserver et valoriser ce réseau qui a des antennes dans le monde entier, explique-t-elle. Nous avons en effet des chapitres (sections régionales) à Washington, à New York et en Equateur, bientôt à Paris et à Londres et peut-être un jour en Asie. Notre base de données comporte actuellement 10 000 noms de personnes ayant passé par l’IUHEI depuis 1927, date de sa création. Et pour environ 3000 d’entre eux, nous avons des informations exploitables.»
Modernisation et professionnalisation
Outre la mise à jour et la gestion de la base de données, qui représente pour l’instant le gros de son travail, le Bureau des alumni de l’IUHEI organise plusieurs événements, comme une conférence annuelle à Berne, un cocktail lors de la remise des diplômes et des licences, des tables rondes réunissant étudiants actuels et anciens, des visites d’entreprises, etc.
Chez le voisin le plus proche de l’Université de Genève, l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), les anciens étudiants se sont organisés depuis très longtemps: la base de données de l’A3, l’association des diplômés de l’EPFL, possède des traces d’étudiants qui remontent aux années 1880. La première structure officielle est créée dans les années 1970 sous la forme d’une amicale. Depuis quelques années, cependant, la tendance est clairement à la modernisation et à la professionnalisation. L’A3 est aujourd’hui devenue une association à but non lucratif, indépendante de l’EPFL bien qu’elle occupe des locaux dans ses murs. Elle emploie trois personnes et ses revenus viennent essentiellement des cotisations des membres, des publicités dans ses publications et de certains services proposés par l’association. «Nous voulons évoluer pour devenir une référence dans le monde polytechnique, explique Mark Miehlbradt, directeur de l’A3 depuis juin 2007 et également alumni de l’EPFL. Notre but est d’intensifier les contacts des alumni entre eux (qu’ils soient jeunes diplômés fraîchement lancés sur le marché du travail, installés dans une carrière en plein développement ou très expérimentés), et entre les ex-étudiants et l’école qui les a formés. Cela demande un travail important, car la distance entre les deux se crée rapidement.»
La gestion de la base de données (réalisée sous mandat de l’école qui peut en retour en disposer à la demande) est, là aussi, la première mission de l’A3. Le fichier comporte
20 000 noms, dont 5000 à 7000 possèdent une adresse utilisable. «Nous distribuons à tous nos membres une fois par mois une newsletter électronique et tous les trois mois un journal, précise Mark Miehlbradt. Cela nous permet de garder à jour notre fichier d’adresses. C’est également une façon de tenir les diplômés au courant des activités de l’EPFL et d’entretenir leur fierté d’avoir fait partie de notre école. Cultiver ce sentiment d’appartenance est très important pour nous. C’est aussi dans ce but que nous suivons et mettons en valeur, notamment grâce aux «Alumni Awards», les parcours de certains de nos anciens qui se sont distingués par des succès dans l’industrie, la politique, la culture, le sport ou tout autre domaine.»
Service précieux
Une autre tâche importante de l’A3 est l’organisation sur son site Internet d’une bourse à l’emploi. Cette dernière comporte en permanence une vingtaine d’offres spécifiquement destinées à un public d’ingénieurs. En plus d’un service précieux pour les étudiants en passe de sortir de l’école, c’est une manière d’observer les décalages qui pourraient survenir entre la demande du marché en matière d’ingénieurs et l’offre que produit l’EPFL.
En revanche, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des universités anglo-saxonnes, les alumni de l’A3 ne sont pas considérés comme autant de donateurs que l’on vient solliciter une fois par année. «L’EPFL dispose d’un service qui s’occupe de trouver et gérer les financements privés, explique Mark Miehlbradt. Nous ne serons donc jamais une machine financière à lever des fonds comme aux Etats-Unis.»
«De toute façon, le financement public des universités en Suisse, et de manière générale en Europe, est élevé, précise Jean-Jacques Jaquier, vice-président de l’A3 et responsable de la communication. Chaque citoyen, en payant ses impôts, est déjà un sponsor important des hautes écoles. Il n’en reste pas moins que certains projets ponctuels sont financés par des alumni qui ont réussi.»
Conserver 90% des anciens
Aux Etats-Unis, le rôle des alumni est beaucoup plus important dans le fonctionnement des universités. Dans les plus grandes d’entre elles, les associations d’anciens étudiants engagent plusieurs dizaines de personnes pour animer les activités et gérer la base de données. Il n’est pas rare qu’elles parviennent à garder le contact avec 90% des ex-étudiants. La mission la plus importante est la récolte de fonds, en général une fois par année. Un courrier est envoyé à tous les membres et leur laisse le choix, non pas de verser ou non de l’argent, mais de le faire en leur nom, celui de leur conjoint ou de leur entreprise. En 2007, cette source de financement a fourni au Massachusetts Institute of Technology (MIT) une somme de 42 millions de dollars (le budget de l’école étant de plus de 2 milliards de dollars). A l’Université de Harvard, les dons venus des alumni ou des amis de l’institution se sont montés à près de 600 millions de dollars en 2006.
Les conditions de vie des universités outre-atlantique sont très différentes de celles d’Europe continentale. Il existe des subventions fédérales, mais elles sont nettement insuffisantes pour conserver le niveau d’excellence que certaines écoles affichent depuis des décennies. L’argent doit donc venir d’ailleurs. En plus des financements de la recherche par les industries, ce sont les étudiants, par leur taxe d’inscription très élevée, et les anciens, par leurs dons, qui permettent d’assurer les fins de mois. Un fonctionnement favorisé par des lois qui permettent de déduire l’intégralité des dons dans sa déclaration de revenus. Ce qui n’est pas le cas en Suisse.