Campus n°89

Perspectives

Produire de l’hydrogène avec des algues, c’est possible

Jean-David Rochaix, professeur aux Départements de biologie moléculaire et de biologie végétale, travaille sur des algues vertes génétiquement modifiées, capables de fabriquer le combustible du futur

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Campus: Vous étudiez des organismes qui produisent de l’hydrogène. Quel mécanisme utilisent-ils?

Jean-David Rochaix: Nous travaillons sur  des algues vertes qui s’appellent Chlamydomonas reinhardtii. Ces unicellulaires partagent avec certaines cyanobactéries la faculté de produire de l’hydrogène dans des conditions précises. Cela arrive en anaérobie, c’est-à-dire en l’absence d’oxygène, et en présence de lumière afin que le processus de photosynthèse soit actif. Pour entrer un tout petit peu dans les détails, la photosynthèse a comme résultat de produire des électrons libres qui, par des processus biochimiques complexes, alimentent le métabolisme cellulaire. Mais ce mécanisme fournit parfois des électrons en excès, qui deviennent alors toxiques. Il convient donc de les neutraliser et de s’en débarrasser. L’une des stratégies de Chlamydomonas reinhardtii passe par une enzyme qui s’appelle l’hydrogénase. Celle-ci permet de combiner ces électrons avec des protons et de former ainsi des molécules d’hydrogène. Ce gaz est alors relâché dans l’environnement. Le hic, c’est que cette enzyme est extrêmement sensible à l’oxygène. C’est pourquoi elle n’apparaît qu’en conditions anaérobiques.

Quel est l’intérêt de produire de l’hydrogène ?

Ce gaz est considéré comme le combustible du futur. Seulement, on ne le trouve pas sous forme libre sur Terre. Aujourd’hui, on l’extrait à partir du gaz naturel, qui est une source d’énergie fossile, ou par électrolyse de l’eau, ce qui demande beaucoup d’énergie électrique. Dans ce contexte, les algues vertes représentent une alternative intéressante.

Comment peut-on exploiter cette propriété?

Le problème auquel nous faisons face est que la production d’hydrogène par les algues est impossible en présence d’oxygène, alors que la photosynthèse, dont nous avons besoin pour entraîner le processus, en fabrique justement. Par conséquent, nous avons manipulé le système génétique de l’algue de manière à pouvoir découpler la production d’hydrogène en deux phases distinctes. Au cours de la première, la photosynthèse a lieu et l’algue produit de l’énergie, stockée sous forme d’amidon. Dans la seconde, on bloque artificiellement la photosynthèse ce qui entraîne une réduction rapide du taux d’oxygène ambiant. Les conditions deviennent anaérobiques et les algues commencent à produire de l’hydrogène. Ensuite, le cycle recommence. La particularité de notre dispositif est qu’une fois en route, il fonctionne tout seul.

Est-il possible d’imaginer une application industrielle à court terme?

Non, mais notre expérience a en revanche apporté la preuve qu’il est possible de concevoir un système capable de produire de l’hydrogène en quantités significatives avec des algues vertes, de l’eau et du soleil. Il faudra toutefois encore beaucoup de travail pour améliorer le rendement des cellules. Nos tentatives d’apprivoiser ces algues pour les forcer à produire de l’hydrogène se heurtent à plusieurs obstacles techniques. Nous pourrons les résoudre, notamment à l’aide de la génétique, mais cela demande du temps. Nous travaillons sur des mécanismes biochimiques extrêmement complexes que nous ne maîtrisons pas encore très bien. D’ailleurs, d’autres voies pourraient être explorées, comme celle consistant à rendre l’hydrogénase moins sensible à l’oxygène. Il existe en effet chez certaines bactéries une enzyme similaire, mais plus tolérante à l’oxygène, dont on pourrait greffer le gène sur l’ADN de l’algue. On ne peut pas dire aujourd’hui quelle stratégie ira le plus loin dans l’application finale qui nous intéresse: la production d’hydrogène à l’aide d’un bioréacteur.

Quand se construira le premier de ces bioréacteurs?

Impossible à dire, mais ce ne sera en tout cas pas avant cinq ans. Nous travaillons en collaboration avec une équipe française de Cadarache et nous nous inscrivons dans un projet européen plus large qui s’appelle Solar-H. Ce dernier regroupe actuellement une petite dizaine d’équipes de chercheurs de plusieurs pays qui s’intéressent à toutes les facettes du problème, dont les bioréacteurs. Solar-H. Ce dernier regroupe actuellement une petite dizaine d’équipes de chercheurs de plusieurs pays qui s’intéressent à toutes les facettes du problème, dont les bioréacteurs.

Propos recueillis par Anton Vos

Site du groupe du prof. Rochaix
SOLAR-H