Campus n°92

Dossier/Bio-informatique

Le profil du protéome

Les maladies ou les intoxications peuvent entraîner des différences dans le contenu en protéines de nos cellules ou liquides biologiques. L’équipe de Frédérique Lisacek, active dans la protéomique, contribue à étudier et comprendre ces variations parfois très fines

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Une cellule malade et une cellule saine ne possèdent pas le même contenu en protéines. Le dysfonctionnement dont souffre la première va engendrer un déséquilibre dans sa production de molécules par rapport à la seconde. C’est dans l’étude de ces différences qu’est impliqué le Groupe informatique protéomique (PIG), une des quatre équipes de l’Institut suisse de bioinformatique (ISB) basées à Genève. Toute la difficulté de ce qu’on appelle l’étude du protéome (contenu en protéines d’une cellule, d’un liquide biologique…) est de séparer les molécules les unes des autres, de les identifier, d’en déterminer la quantité relative et de réaliser des comparaisons de la façon la plus précise possible. L’objectif est à la mesure de l’effort: en identifiant ces petites variations entre les situations saines et pathologiques, il est possible de trouver des protéines impliquées dans des maladies, dans la réponse à une intoxication ou à un médicament, etc. Autant d’indications pavant la voie à une médecine du futur offrant un traitement personnalisé pour chaque patient.

Bien que les protéines représentent leur fonds de commerce, les chercheurs du PIG, dirigé par Frédérique Lisacek, n’en voient passer aucune dans leur laboratoire. Leur travail consiste en effet principalement à offrir (et utiliser) les outils informatiques nécessaires aux différentes étapes d’une étude en protéomique, surtout celles d’identification et de caractérisation des protéines.

Melanie au top 10

«Un de nos logiciels les plus utilisés par la communauté scientifique est Melanie, explique Frédérique Lisacek. Il a été créé par mon prédécesseur à la tête de ce groupe, le professeur Ron Appel, actuellement directeur de l’ISB. Il permet de comparer des images d’électrophorèse bidimensionnelle (une technique qui sépare les protéines, prises dans un gel visqueux, selon leur charge électrique et leur masse moléculaire). Il est commercialisé depuis les années 1990 et nous continuons à l’actualiser et l’améliorer.»

En plus de fournir et développer ce genre de logiciels, le PIG se charge de la consultation et de l’extraction d’informations de la multitude de bases de données relatives aux protéines et aux peptides. Car il est crucial, mais de loin pas aisé, de se frayer efficacement un chemin parmi les millions de fiches techniques répertoriant toutes les molécules du monde vivant connues à ce jour. Cela demande de la méthode.

C’est d’ailleurs le sujet d’un article récent publié par Frédérique Lisacek et ses collègues dans la revue Proteomics Clinical Applications du mois d’août 2007. Les auteurs y répertorient les principales bases de données et outils de recherche dédiés à la protéomique appliquée aux fluides biologiques (sang, urine…). Le tout accompagné de conseils sur l’utilisation des uns et des autres afin d’obtenir des interprétations fiables de résultats expérimentaux.

En bref, le PIG dispose d’une boîte à outils bien garnie pour une bonne recherche en protéomique. Une boîte à outils consultable sur le site ExPASy.org, que l’équipe de Frédérique Lisacek cogère avec le groupe Swiss-Prot de l’ISB. On y trouve l’accès à de nombreuses bases de données présentes sur Internet et une liste spectaculaire de logiciels d’analyse de données biologiques.

Position charnière

«Nous participons à de nombreux projets de recherche suisses et européens, note Frédérique Lisacek. Nous jouons généralement le rôle d’interface entre, d’une part, les biologistes, qui souhaitent accroître leurs connaissances des mécanismes de la vie et, de l’autre, les mathématiciens, physiciens et informaticiens qui leur fournissent les outils pour y parvenir. J’adore cette position charnière. Même si, par expérience, je sais que les personnes venant de ces différentes disciplines peuvent mettre une année avant de se comprendre.»

La toxico-protéomique est un sujet phare du PIG, traité en collaboration avec l’équipe de Denis Hochstrasser professeur au Département de biologie structurale et bioinformatique. L’idée consiste à mesurer de quelle manière un produit toxique ou un médicament agit sur le contenu en protéines des cellules ou fluides biologiques.

«Nous cherchons de très petites variations dans la structure des protéines, précise Frédérique Lisacek. Comme la phosphorylation ou la glycosylation de certaines protéines, c’est-à-dire l’ajout d’un groupe phosphate ou d’un sucre sur la molécule. Ce sont là des processus normaux et courants. Mais ces variations peuvent parfois traduire une situation toxique ou pathologique sans que l’on sache ni comment ni pourquoi. Par exemple, il a déjà été observé que certaines protéines subissent de telles modifications chez les patients atteints d’un cancer et subissant une chimiothérapie, un traitement qui sauve des vies, mais dont la composante toxique demeure importante. Pour mieux comprendre l’effet toxique sur les protéines, il faut pousser l’investigation plus loin en cherchant notamment des combinaisons de modifications caractéristiques de la toxicité.»

L’équipe genevoise s’intéresse également à l’influence spécifique des sucres dans l’apparition de certaines maladies, notamment l’arthrose (dans le cadre d’un projet européen), et le diabète en collaboration avec le Groupe de recherche de protéomique biomédicale, dirigé par Jean-Charles Sanchez maître d’enseignement et de recherche à la Faculté de médecine.

Grâce à ces recherches, on espère parvenir un jour à identifier quels profils protéomiques sont associés à des maladies ou à des sensibilités particulières face à l’administration de substances toxiques et/ou médicamenteuses. «Il serait intéressant de déterminer si un patient fait partie d’une proportion de la population qui ne tolère pas tel ou tel traitement, par exemple, explique Frédérique Lisacek. Cela permettrait de lui proposer un médicament alternatif. En d’autres termes, l’idée est de participer au développement d’une médecine personnalisée, dans laquelle on pourrait prescrire le bon dosage du bon médicament à chaque patient.»