Campus n°92

Dossier/Bio-informatique

L’évolution des génomes’évolution des génomes

Le séquençage du génome de plusieurs espèces ouvre la porte à l’étude comparative de l’ADN et à une meilleure compréhension des mécanismes de l’évolution

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Comparer les génomes afin de comprendre l’évolution des espèces, tel est le travail du Groupe évolution des génomes, membre de l’Institut suisse de bioinformatique et dirigé par Evgeny Zdobnov, professeur adjoint au Département de médecine génétique et développement. Dans cette optique, le biologiste genevois a déjà participé à l’analyse de presque tous les génomes d’insectes publiés à ce jour (plusieurs mouches et moustiques, un scarabée, l’abeille à miel, etc.) ainsi que de plusieurs vertébrés comme la souris, le rat et le poulet. Et son tableau de chasse continue à s’étoffer d’année en année: son groupe travaille actuellement sur le génome de la vache. Entretien.

Campus: Un génome, c’est-à-dire l’ensemble des gènes d’un organisme, peut-il évoluer?

Evgeny Zdobnov: Notre ADN est constamment sujet à toutes sortes de mutations, que ce soit des délétions, des transpositions, des duplications, etc. Ces modifications, lorsqu’elles se produisent, par exemple, dans une cellule de notre foie, conduisent souvent à la mort de la cellule. En revanche, si elles ont lieu dans la lignée germinale, ces altérations peuvent être transmises à la descendance. La plupart du temps, ce genre d’événements n’entraîne aucune conséquence. Mais il arrive parfois que cela aboutisse à quelque chose d’utile. Comme un gène qui se duplique par accident et dont la nouvelle copie peut évoluer pour exercer une fonction adaptée aux besoins de l’organisme ou lui conférerait un avantage. Du coup, une telle mutation pourrait être transmise à la génération suivante et se propager ainsi petit à petit dans toute une population. Il ne s’agit pas toujours d’un avantage flagrant. Parfois un nouveau gène (ou une mutation) est conservé parce qu’il n’a pas entraîné la mort de l’organisme. Il se peut alors qu’il occupe une «niche» ou reprenne une partie de la fonction d’un ancien gène et se transmette ainsi aux générations futures. C’est notamment la raison pour laquelle le génome humain, comme celui des autres espèces, est truffé de redondances. Nos gènes sont en général impliqués dans un certain nombre de fonctions différentes et une même fonction peut être exercée par plusieurs gènes distincts.

Le génome humain est-il le plus évolué?

On ne peut pas dire cela. On peut estimer que le cerveau humain est le plus complexe de tous les systèmes nerveux centraux du règne animal actuel. Mais notre génome n’est pas plus complet, ni plus complexe que celui des autres. Entre autres, nous ne possédons pas le plus grand nombre de gènes, ni les meilleurs. Nos gènes fonctionnent exactement de la même manière que ceux d’une poule. D’ailleurs, il existe plus de différences entre les génomes de deux espèces de mouches (Drosophila melanogaster et Drosophila pseudoobscura) qu’entre ceux d’une souris et d’un être humain.

Les différences génétiques ne se traduisent donc pas forcément par des différences morphologiques…

Non. L’analyse moléculaire peut révéler beaucoup plus de différences que celles que l’on peut déduire de la forme des organismes. D’un autre côté, une minime variation génétique peut parfois entraîner un important changement morphologique.

En comparant des espèces différentes, certaines parties du génome sont plus conservées que d’autres. Pourquoi?

On constate en effet que la nature conserve, d’une espèce à l’autre et de manière assez fidèle, les gènes qui produisent des protéines, les séquences d’ADN qui produisent ce qu’on appelle les «micro-ARN» ainsi que de nombreuses zones dont on ignore encore la fonction. Cela signifie simplement que ces régions-là ne supportent pas facilement des mutations et qu’elles sont indispensables à la survie et à la reproduction des individus. Des différences apparaissent bien entendu avec le temps, mais on retrouve des gènes très semblables chez la levure et l’être humain. En revanche, tout le reste du génome accumule régulièrement des mutations aléatoires qui n’ont pas de conséquences sur sa survie et se différencie ainsi très rapidement d’une espèce à l’autre.

Que sont les micro-ARN et ces portions d’ADN mystérieuses qui ne codent pour rien?

Il existe, chez l’être humain, quelques centaines de gènes codant pour des morceaux très courts d’ARN. Ces derniers jouent un rôle important dans la régulation cellulaire et notamment dans la production de protéines. Quant aux segments d’ADN qui ne correspondent à aucune protéine, ni ARN, on ne connaît par leur rôle. Mais le fait qu’ils soient conservés est un indice fort qu’ils en possèdent un. On aurait pu penser qu’il s’agit de régions placées (pour une raison ou une autre) à l’abri des mutations. Mais il a été démontré que ce n’était pas le cas; ces segments sont conservés par la sélection naturelle. Il a été démontré que certains d’entre eux sont impliqués dans la régulation de l’expression des gènes.

En analysant les différences entre les génomes, pouvez-vous calculer le temps qui sépare deux espèces de leur ancêtre commun?

Jusqu’à un certain point. Nous pouvons estimer les taux de mutation auxquels sont soumis les gènes. Puis grâce à un modèle d’évolution, nous pouvons avoir une idée du temps qu’il a fallu pour obtenir les différences que nous observons entre deux génomes. Ces modèles d’évolution nécessitent toutefois des points de repère paléontologiques, à savoir des fossiles bien datés, afin d’établir une relation entre le temps et le nombre de mutations que l’on observe entre deux génomes. Et cette relation dépend aussi de facteurs comme la durée d’une génération, du nombre de descendants à chacune de ces générations, etc.

Le génome humain varie-t-il beaucoup d’un individu à l’autre?

Oui. Les chercheurs ont comparé les génomes de deux individus qui sont aujourd’hui entièrement séquencés, celui de Craig Venter, le patron de la firme Celera Genomics, et celui de James Watson, codécouvreur de la structure en double hélice de l’ADN en 1953. On a ainsi pu dénombrer entre 3 et 4 millions de petites différences. La plupart de ces variations sont neutres. Mais certaines d’entre elles expliquent les différences morphologiques ou les prédispositions à des maladies. C’est d’ailleurs pour cela que les scientifiques s’intéressent à ce champ de recherche. A tel point qu’un projet international vise à décrypter le génome entier de 1000 individus, d’origines différentes, afin d’en savoir plus sur ces petites mutations. Il faut préciser que les techniques de séquençage ont beaucoup progressé. Elles prennent de moins en moins de temps et coûtent de moins en moins cher. Rien qu’entre Genève et Lausanne, on dénombrera bientôt trois ou quatre appareils de séquençage dernier cri. Cela va nous permettre d’obtenir une quantité colossale de données. Notre frein ne sera plus le nombre de génomes, mais bien plus notre capacité à analyser ces données ainsi que la puissance informatique dont nous disposons. Nous sommes déjà les plus gourmands en la matière dans le Centre médical universitaire.