Campus n°93

Recherche/océanographie

Une carte pour mieux comprendre les océans

Deux chercheurs genevois ont développé un logiciel contenant la base de données océanographiques la plus complète qui existe. En un clic de souris, il permet de connaître tous les paramètres physico-chimiques de n’importe quel endroit sur les mers

C’est une simple carte du monde qui s’affiche sur l’écran d’ordinateur. Mais elle cache une quantité phénoménale d’informations. Pour n’importe quel point faisant partie des océans, le logiciel calcule immédiatement une dizaine de valeurs physicochimiques correspondant aux coordonnées géographiques sélectionnées: la température de l’eau, sa salinité, les taux de nitrate, de phosphate, de silicate, de chlorophylle et bien d’autres. «C’est la première fois que l’on réunit autant de données océanographiques dans un seul outil informatique, explique Gregory Giuliani, collaborateur scientifique au Département de géologie et paléontologie. Ce logiciel, dont la dernière version vient de sortir, s’appelle Genomes Mapserver. Il devrait – on l’espère – jouer un rôle essentiel dans une discipline naissante: la métagénomique marine.»

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Les océans dominent la biosphère, mais demeurent encore largement méconnus. Acteurs principaux dans les phénomènes climatologiques globaux, ils contiennent aussi une proportion importante de la diversité génétique de la planète. Mieux connaître ces étendues marines s’avère désormais indispensable lorsqu’il s’agit de faire face à l’épuisement de ses ressources, la pollution, les changements climatiques, etc. Entre autres, les micro-organismes marins représentent un intérêt considérable en raison du rôle qu’ils jouent dans l’écologie planétaire, notamment à cause des échanges gazeux (méthane, gaz carbonique) qu’ils opèrent avec l’atmosphère.

Micro-Organismes inconnus

Afin d’avancer dans ce domaine, des biologistes et généticiens sillonnent les mers du globe depuis quelques années et prélèvent un peu partout des échantillons d’eau. Ils en extraient tout le matériel génétique qui appartient à des micro-organismes (bactéries, virus, unicellulaires, etc.) souvent inconnus et les décryptent en vrac, grâce à la rapidité des techniques actuelles de séquençage. Leur objectif est de lier ces profils génétiques aux conditions environnementales qui leur sont associées. A l’aide d’outils bio-informatiques complexes, les chercheurs espèrent ensuite pouvoir déterminer les fonctions des très nombreux gènes inconnus ainsi découverts.Le grand promoteur de cette aventure est le biologiste et homme d’affaires américain Craig Venter, connu pour avoir défié un consortium international dans la course au décryptage du génome humain en 2001. Après une expédition pilote dans la mer des Sargasses en 2003, une équipe de son centre de recherche, le J. Craig Venter Institute, s’est lancée en 2004 dans un tour du monde au cours duquel elle a rassemblé 7,7 millions de séquences, représentant plus de 6 milliards de paires de base (c’est-à-dire les nucléotides baptisés A, G, T ou C formant l’ADN).

D’autres missions du même type – généralement plus modestes – sont en cours ou programmées. Les bases de données génomiques et protéomiques marines augmentent ainsi d’année en année. «Le problème, c’est que la plupart de ces échantillons sont prélevés sans tenir compte correctement des conditions environnementales locales, précise Gregory Giuliani. Mis à part la température, la profondeur, la salinité et le taux d’oxygène dissous dans l’eau, on ne dispose généralement d’aucune autre information. Notre travail, qui s’inscrit dans le projet de recherche européen appelé Metafunctions, visait à combler ces lacunes.»

Leur mission a consisté à développer une base de données océanographique globale et complète ainsi que des outils informatiques susceptibles de visualiser et d’analyser ces informations. Bien qu’affiliés à l’Université de Genève, Gregory Giuliani et son collègue Andrea De Bono travaillent dans la structure du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), et plus particulièrement pour son réseau mondial de centres d’informations environnementales (GRID pour Global Resource Information Database). Le bureau genevois du GRID bénéficie d’ailleurs d’un accord de partenariat entre le PNUE, l’Office fédéral de l’environnement et l’Université de Genève depuis 1998.

Les deux chercheurs genevois ont donc commencé à récolter toutes les données océanographiques existantes. Les deux sources principales ont été le World Ocean Atlas (WOA) et le World Ocean Database (WOD), deux bases de données produites par des agences de recherche des Etats-Unis. Elles contiennent des millions de valeurs mesurées in situ entre 1960 et aujourd’hui: la température, la salinité, l’utilisation apparente d’oxygène, les taux d’oxygène dissous, d’oxygène à saturation, de phosphate, de silicate et de nitrate. L’ensemble de ces grandeurs peut être obtenu pour n’importe quel point de la surface des océans, selon un maillage de 110 kilomètres de côté, et pour chacune des 33 profondeurs standards de l’océanographie, échelonnées entre 0 et le plancher océanique situé à 5500 mètres. On peut également en extraire des moyennes mensuelles, saisonnières ou annuelles. Gregory Giuliani et Andrea De Bono ont complété ce catalogue avec les bases de données propres au GRID qui ont été obtenues par satellite, à savoir les taux de chlorophylle, la turbidité et la quantité de radiations solaires. «Nous avons réussi à uniformiser toutes ces données afin qu’elles soient utilisables par tout le monde, précise Gregory Giuliani. Et nous les avons intégrées dans le logiciel Genomes Mapserver* qui est un logiciel ouvert. Son utilisation sur Internet est donc gratuite.»

Aide à la décision

Le résultat est un programme informatique qui met en rapport des conditions environnementales précises avec le contenu génétique des différents échantillons analysés par les généticiens. A l’aide de différentes fonctionnalités, l’utilisateur peut notamment cliquer sur un point de prélèvement et obtenir les paramètres physico-chimiques de l’endroit tout en visualisant les séquences découvertes en ce lieu. Il peut également, à partir d’une séquence donnée, trouver les endroits où elle a été identifiée.

«Au-delà de la recherche fondamentale, le logiciel Genomes Mapserver pourrait aussi être utilisé comme une aide à la décision politique, précise Gregory Giuliani. En jouant judicieusement sur les paramètres qu’il contient, on peut en effet diviser les océans du globe en différentes classes écologiques, comme on l’a déjà fait pour les terres émergées (désert, forêt tropicale, taïga, prairie, montagne, etc). Cela peut contribuer à la préservation de l’écosystème marin, à l’établissement de réserves marines, etc.»

Anton Vos