Campus n°93

Recherche/Biologie

Dans les rouages des métastases

Quand certaines cellules de l’organisme n’adhèrent pas correctement entre elles, les tumeurs peuvent plus facilement se répandre dans le corps. D’où l’importance de comprendre le fonctionnement des jonctions cellulaires

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L’une des choses que l’on attend des cellules épithéliales est qu’elles établissent des jonctions entre elles. Ces cellules couvrent toutes les surfaces de notre corps (peau, estomac, intestins, vaisseaux sanguins, voies aériennes…) et constituent nos glandes (foie, seins, reins, pancréas…). De ce fait, elles doivent assurer un minimum d’imperméabilité et d’adhésion. Dans le cas contraire, elles risquent de laisser diffuser dans l’organisme des éléments indésirables et de permettre aux cellules tumorales d’envahir les tissus voisins. Autrement dit, elles risquent de favoriser les métastases. C’est dans ce contexte que Sandra Citi, chargée d’enseignement au Département de biologie moléculaire, Laurent Guillemot, assistant, et leurs collègues ont réalisé une avancée. Dans un article paru dans la revue Molecular Biology of the Cell du mois d’octobre, les chercheurs genevois identifient en effet un maillon supplémentaire dans la chaîne de réactions qui permet aux cellules épithéliales d’adhérer les unes aux autres.

Cancers malins

Le maillon en question s’appelle la paracinguline. Cette protéine a été découverte il y a quatre ans, sans que l’on sache à quoi elle pouvait bien servir. Grâce aux travaux du groupe de Sandra Citi, on sait désormais qu’elle agit juste sous la membrane des cellules épithéliales. Son rôle est de mobiliser au bon endroit une autre protéine, mieux connue des chercheurs, baptisée Tiam1 (pour T-lymphoma Invasion and Metastasis 1). Cette dernière a été identifiée, en 1994 déjà, comme étant un élément clé dans le phénomène de diffusion des cellules tumorales.

«On a appris beaucoup de choses sur Tiam1 au cours de la dernière décennie, explique Sandra Citi. On a notamment remarqué que les souris transgéniques qui ne possèdent pas cette protéine développent moins de tumeurs que les souris normales. En revanche, les cancers qui se forment tout de même sont particulièrement malins et se propagent plus rapidement.»

Grâce aux travaux d’une équipe néerlandaise, on connaît également le mode opératoire de Tiam1. Son rôle principal est d’activer, dans des zones proches de la membrane cellulaire, une petite protéine appelée Rac1. Cette dernière agit comme un turbo. La jonction entre deux cellules épithéliales est possible sans elle, mais elle se construirait alors trop lentement.

Au bon endroit, au bon moment

En reprenant les choses dans l’autre sens, lorsque deux cellules épithéliales se rencontrent, elles commencent immédiatement à construire une jonction entre elles. A ce moment, la protéine Rac1 (et d’autres) entre massivement en action juste sous la membrane et accélère le processus d’adhésion.

«On sait que Rac1 est activé par Tiam1, précise Sandra Citi. Mais ce qui a longtemps troublé les chercheurs, c’est de savoir comment Tiam1 est recruté et activé au bon endroit et au bon moment.»

Tout le défi a donc consisté à découvrir le mécanisme qui contrôle l’activité et la localisation de Tiam1. Selon les chercheurs, comprendre ce processus reviendrait à comprendre comment cette chaîne de réactions peut être modifiée dans des maladies comme le cancer. Et, partant, à découvrir éventuellement comment remédier à un tel dysfonctionnement.

Les chercheurs genevois ont franchi une première étape dans cette direction en identifiant la paracinguline comme étant la protéine qui recrute Tiam1, ce qui permet l’activation de Rac1. «Notre article montre aussi que l’activation de Rac1 se fait par poussées, précise Sandra Citi. La première quinze minutes après le début de la formation de la jonction cellulaire et une seconde environ trois heures après.»

La question suivante est bien sûr de savoir comment il se fait que la paracinguline se trouve elle-même au bon endroit et au bon moment pour recruter Tiam1. Pour l’heure, l’objectif de l’équipe de Sandra Citi est d’obtenir des souris transgéniques dont le gène de la paracinguline a été enlevé. Les chercheurs genevois pourront ainsi étudier leurs tissus épithéliaux pour voir s’ils présentent des anomalies ou développent davantage de tumeurs que ceux des souris «normales».

Anton Vos