Campus n°94

Dossier/Calvin

La ponctualité, fille de la Réforme

Jusqu’au milieu du XVIe siècle, rares sont ceux qui se soucient d’être à l’heure. Les mesures mises en place à Genève sous la Réforme vont changer cet état de fait en faisant de la ponctualité une valeur de premier plan

Les Suisses n’ont pas leurs pareils pour être à l’heure. Mais d’où vient cette ponctualité devenue proverbiale? Selon Max Engammare, chercheur à l’Institut d’histoire de la Réformation, c’est du côté de la Réforme, et en particulier de la doctrine calviniste, qu’il faut chercher les sources de ce penchant.

«L’organisation rationnelle du temps ecclésial n’est pas une invention de la Réforme, explique Max Engammare. Une forme de ponctualité religieuse existait dans les couvents européens avant le XVIe siècle, mais elle était circonscrite à un petit groupe vivant dans un espace clos. Calvin est le premier à mettre sur pied des structures disciplinaires destinées à organiser la vie de l’ensemble de la cité. La manière de vivre le temps qu’il impose à Genève est unique à l’époque.»

Un acte de foi
C’est que, pour le prédicateur, bien gérer son temps relève d’un acte de foi. Selon lui, chaque instant de notre vie terrestre appartient à Dieu. Et il est du devoir de tout bon croyant de faire fructifier ce don du ciel pour parfaire l’oeuvre du Tout-Puissant. Pas question donc de gaspiller ce précieux crédit en se laissant aller à la paresse et à l’oisiveté. «Il ne se passe pas un jour sans que ses sermons n’évoquent le rapport du temps du chrétien à Dieu, confirme Max Engammare. Calvin utilise le mot minute avec une fréquence qui n’a pas d’équivalent chez ses contemporains.»

Amende de trois sous
Rompant avec la tradition catholique, dans laquelle il s’agit surtout de ne pas manquer le moment de l’élévation, le réformateur édicte en 1541 une première ordonnance ecclésiastique prévoyant une amende de 3 sous pour ceux qui manquent le culte, arrivent en retard à l’église ou quittent le culte avant la fin. En 1561, ces mesures sont durcies, tandis qu’on installe ou répare des horloges à différents points stratégiques de la ville comme la cathédrale Saint-Pierre, le pont de l’île, Saint- Gervais et la place du Molard.

Les enfants sont également concernés. Même si le collège ne possède pas de cloche, les retardataires sont désormais punis. Et en hiver les écoliers – qui arrivent en classe à 7 heures, au lieu de 6 heures à la belle saison – doivent sauter un repas pour rattraper le temps perdu.

Sermons abrégés
«Moins de vingt ans après la mort de Calvin, les autorités politiques vont reprendre à leur compte cette manière d’organiser le temps», explique Max Engammare. Ironie du sort, on voit ainsi apparaître dès 1570 les premières plaintes contre la longueur des homélies. La décennie suivante, les sabliers qui limitent la durée du sermon à une heure sont remplacés par des sabliers de 3/4 d’heure. Le jour de prière est également déplacé pour ne pas faire concurrence au marché. Cette nouvelle économie du temps ne va pas tarder à passer les remparts de la ville. Elle se répand rapidement parmi les villes réformées de la Confédération avant de se propager à la France au cours du XVIe siècle, puis de gagner le Nouveau Monde dans les bagages des pères fondateurs de la démocratie américaine. ❚

*Max Engammare, «L’Ordre du temps. L’invention de la ponctualité au XVIe siècle», Droz, 2004, 264 p.