Campus n°94

Perspectives

Climat et Guantanamo: Obama ne dissipe pas tous les doutes

Alexandre Hedjazi, chercheur au Département de sciences politiques et au Pôle en sciences de l’environnement, commente les premières déclarations du nouveau président américain

Campus: Barack Obama a décidé, dans un décret présidentiel du 22 janvier, de fermer la prison de Guantanamo. Qu’en pensez-vous
Alexandre B. Hedjazi: Le président américain a répété le 24 février au cours de son discours devant les chambres du Congrès qu’il avait ordonné la fermeture de la prison de Guantanamo car, selon ses termes, «s’il est essentiel de combattre l’extrémisme, il faudra le faire dans le respect des valeurs américaines». Barack Obama est donc toujours aussi décidé à fermer ce camp qui, avec Abu Ghraib en Irak et les prisons secrètes de la CIA dans le reste du monde, ont dégradé de manière dramatique l’image de son pays à l’étranger. Il a également promis une justice «rapide et certaine» aux terroristes capturés. Cela signifie qu’il n’a, à première vue, pas peur que la justice américaine soit un frein à la lutte contre l’extrémisme, ce qui a été la principale motivation de George W. Bush pour créer ces prisons soumises à une juridiction d’exception.

Tout va donc pour le mieux?
Pas exactement. Parmi les défenseurs des droits de l’homme, un doute commence à poindre, voire un certain désenchantement. Tout d’abord, son décret du 22 janvier laisse des ambiguïtés quant au sort des prisonniers encore incarcérés à Guantanamo. Le texte ordonne en effet la création d’une commission destinée à produire dans un délai de six mois un rapport sur la dangerosité des détenus, la manière dont ils pourraient être traités ainsi que l’applicabilité de certaines règles d’interrogation de l’armée américaine aux prisonniers à haut risque. Des ambiguïtés portent aussi sur l’extradition de ces prisonniers. Seront- ils transférés vers leur pays d’origine ou vers un pays tiers? Ou faut-il, pour certains, prolonger leur statut de prisonnier d’exception? C’est cette dernière possibilité, laissée ouverte par l’administration Obama, qui inquiète. Certains craignent que le nouveau président n’arrive pas à démêler l’imbroglio politico-juridique créé par son prédécesseur. D’un autre côté, le président est soumis à de telles contraintes (lobbies politiques, manque de temps, opérations militaires en cours), que l’on peut comprendre qu’il se ménage pour l’instant une petite marge de manoeuvre.

Une fois sortis de Guantanamo, que vont devenir les prisonniers?
La plupart des détenus déjà sortis (779 individus sont passés par le camp cubain depuis 2002, il en reste moins de 250 aujourd’hui) sont aujourd’hui libres. Par exemple, quelques centaines d’Afghans ont bénéficié d’une amnistie, la France a récemment jugé la relaxe de cinq de ses citoyens ex-détenus et un Ethiopien, ex-résident britannique, a été libéré immédiatement après son arrivée à Londres. L’organisation Human Rights Watch a pour sa part demandé aux pays européens et au Canada d’accueillir une soixantaine de prisonniers originaires de pays comme l’Algérie, la Libye ou la Chine et qui subiraient les mêmes pratiques d’interrogation qu’à Guantanamo, et probablement pire, s’il étaient renvoyés chez eux, coupables de terrorisme ou non. Certains pays européens se sont déclarés prêts à en recevoir. Les prochains mois seront décisifs à cet égard.

Pourquoi les Etats-Unis ne gardent-ils pas ces détenus sur leur territoire?
Parce que les détenus ne veulent pas rester dans le pays qui, selon leurs récits, leur a fait subir des interrogatoires que l’on peut assimiler à de la torture. Je peux le comprendre.

Un autre sujet dans lequel les Etats-Unis opèrent une volte-face spectaculaire est la lutte contre le changement climatique…
En effet. Depuis que l’administration Obama est en place, les Etats-Unis se sont engagés à jouer un rôle de premier plan en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement. Dans ses premières déclarations, Barack Obama a montré une claire volonté de rupture avec les années Bush. Un de ses premiers décrets a ainsi demandé la mise en place d’une réglementation concrète visant à baisser la consommation des voitures à l’horizon 2011. Il a aussi autorisé les Etats de l’Union à adopter des normes d’émission de gaz à effet de serre plus contraignantes que celles de l’Etat fédéral – ce que demandait la Californie et que George Bush a toujours refusé. Le nouveau président s’est également entouré d’experts qui ne contourneront pas la réalité scientifique comme ont pu le faire leurs prédécesseurs. Cela dit, la quinzième conférence sur le climat qui se tiendra en décembre 2009 à Copenhague et qui doit définir l’après-Kyoto sera un moment de vérité. Les discussions préparatoires montrent déjà la difficulté d’arriver à un consensus, notamment en raison du contexte économique mondial. On le voit notamment dans l’introduction d’un délai accordé à la création du marché d’émission de CO2 aux Etats-Unis tel qu’il a été proposé par le président américain lors de son discours du 24 février. L’impératif de sauvetage de l’économie américaine, notamment de l’industrie d’automobile, risque donc de renforcer certaines craintes quant à la capacité de Barack Obama de traduire sa volonté de rupture en véritables actes politiques. ❚

Propos recueillis par Anton Vos