Campus n°96

A lire

Tout sur les sciences affectives

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C’est une bible. Fruit d’une aventure éditoriale qui s’est étirée sur cinq ans et qui a mobilisé près de 300 auteurs, The Oxford Companion to Emotion and the Affective Sciences est une sorte de concentré encyclopédique dressant l’état des connaissances dans cette discipline encore jeune que sont les sciences affectives. Une science dont le postulat principal repose sur l’idée que l’ensemble des comportements humains ne peuvent résulter uniquement de prises de décisions rationnelles et qui mobilise aujourd’hui des scientifiques venus d’horizons aussi divers que la psychologie, les neurosciences, la philosophie, l’histoire, l’anthropologie, l’économie, le droit ou l’informatique. De A comme achievement motivation à Z comme zygomatic muscle, cette somme de près de 500 pages fait le point, dans la langue de Shakespeare, sur les théories, concepts, méthodes et résultats de recherche accumulés par les chercheurs au cours de ces dernières années. Structuré à la manière d’un dictionnaire, avec plusieurs centaines d’entrées à la clé, rédigé dans un style se voulant concis et accessible, ce volume aborde aussi bien la définition de termes techniques que les sujets qui font actuellement débat dans le monde de la recherche. Il décrit également le rôle des émotions tant dans les comportements sociaux que dans les processus cognitifs impliqués dans la perception, l’attention, la mémoire, le jugement ou encore la prise de décision. Edité par Klaus Scherrer et David Sander, respectivement directeur et coordinateur scientifique du Centre interfacultaire en sciences affectives de l’UNIGE, cet ouvrage fait figure de référence incontournable pour tous ceux qui, de près ou de loin, s’intéressent à ce qu’il convient désormais d’appeler la «révolution affective». VM

«The Oxford Companion to Emotion and the Affective Sciences», par David Sander et Klaus R. Scherer (ed), Oxford University Press, 499 p.

«Péril rouge»: la grande illusion

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Erigé en doctrine d’Etat tout au long du XXe siècle, l’anticommunisme a joué un rôle essentiel dans l’histoire contemporaine de la Suisse. Rassemblant les élites politiques et économiques de la droite, soutenu par une partie de la presse et des organisations patriotiques citoyennes ainsi que par une majorité de la population, cet épouvantail idéologique a offert un ennemi commun à une nation qui doutait de son identité et craignait l’éclatement de son unité. Il a également contribué à préserver l’ordre social existant. Comme le montrent les travaux de la vingtaine d’historiens rassemblés dans ce qui constitue le premier ouvrage de synthèse sur le sujet, cette phobie du rouge s’est davantage construite sur des fantasmes que sur une menace réelle. Dans les faits, aucun dirigeant bolchevique ne semble en effet avoir réellement cru à la possibilité d’une révolution en Suisse, un pays où le parti est toujours resté relativement faible, sauf dans certaines villes comme Genève, Bâle ou Zurich. Cela n’a pas empêché une véritable «chasse aux sorcières» qui s’est notamment traduite par l’interdiction d’engager des communistes dans l’administration fédérale, l’enfermement des militants étrangers dans des camps d’internement, l’expulsion d’ouvriers étrangers soupçonnés de diffuser des idées communistes ou le fichage de près de 10% de la population au nom de la sûreté de l’Etat. Cette posture a également permis de légitimer le rapprochement avec certaines dictatures particulièrement brutales, ainsi qu’avec le sinistre régime de l’apartheid. VM

«Histoire(s) de l’anticommunisme en Suisse», par Michel Caillat, Mauro Cerutti, Jean-François Fayet, Stéphanie Roulin, éd. Chronos, 372 p.

Résister contre le capitalisme total libéral

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Ce n’est plus contre un envahisseur étranger et ses projets criminels et racistes que l’on estappelé à résister, mais contre l’«apartheid» mondialisé, fruit du capitalisme total libéral qui s’est imposé au monde. C’est en tout cas à une telle résistance, comprise comme une création politique et philosophique, que nous invite à penser Marie-Claire Caloz-Tschopp, private-docent à la Section des sciences de l’éducation de l’Université de Genève et membre de l’association Solidarité sans frontières. Dans cet ouvrage très érudit, la chercheuse genevoise en appelle à trois figures de la pensée philosophique et politique pour étayer son propos. La première est la philosophe allemande Hannah Arendt, qui permet à l’auteure de traiter de l’invention du totalitarisme du XXe siècle et du poids des révolutions. La deuxième est le philosophe français d’origine grecque Cornelius Castoriadis, chantre de la démocratie radicale et défenseur du concept d’«autonomie politique». Et la troisième est la philosophe yougoslave Rada Ivekovic, connue notamment pour sa réflexion sur le danger des guerres de fondation (partitions nationalistes, ethniques, sexistes).

«Résister en politique, résister en philosophie avec Arendt, Castoriadis et Ivekovic», Par Marie-Claire Caloz-Tschopp, La Dispute, 400 p.