Campus n°96

Dossier/La révolution verte

Desertec: des miroirs pour éclairer l’Europe

Des entreprises allemandes se sont engagées à construire, d’ici à quarante ans, un gigantesque réseau de centrales thermiques solaires dans le Sahara pour alimenter l’Europe en électricité propre

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Serait-ce le coup de pouce qui permettra d’enclencher la vitesse supérieure? En juillet dernier, 12 entreprises allemandes – et pas des moindres – ont signé un accord lançant officiellement le projet Desertec. L’objectif est de construire, le plus rapidement possible, un gigantesque réseau de centrales thermiques solaires réparties dans le désert d’Afrique du Nord ainsi que dans la péninsule Arabique. Des lignes à haute tension sont censées acheminer de l’électricité propre jusqu’en Europe du Nord – tout en assurant, en passant, l’approvisionnement des pays producteurs. En d’autres termes, il s’agit d’aller chercher l’énergie solaire là où elle se trouve et de l’acheminer là où on en a besoin. Selon le Centre aérospatial allemand, en moins de quarante ans, ces miroirs du désert pourraient assurer 15% de la consommation d’électricité du Vieux Continent. Et ce sans émissions de gaz carbonique.

Trois jours après le lancement de l’initiative, le Maroc a déjà annoncé sa volonté de jouer un rôle de premier plan dans l’aventure.

Production de masse

La technologie, même si elle peut encore profiter d’un certain nombre de perfectionnements, est existante et éprouvée depuis plus de vingt ans. Une centrale thermique solaire à concentration existe en effet dans le désert de Californie depuis 1985 et produit aujourd’hui, après plusieurs agrandissements, plus de 350 MW – le tiers de la puissance de la centrale nucléaire de Gösgen. Il existe aujourd’hui de nombreuses installations comparables, surtout en Espagne. Le pays le plus ensoleillé d’Europe projette d’installer plusieurs centaines de MW de centrales thermiques solaires supplémentaires dans les prochaines années. Le prix du kilowattheure ainsi produit varie actuellement entre 0,20 et 0,30 franc (trois ou quatre fois plus cher que les centrales habituelles au gaz ou au charbon), mais tendra à baisser, surtout si une production de masse se met en marche.

La surface nécessaire au captage de l’énergie solaire permettant de couvrir la totalité des besoins en électricité des pays européens, africains et asiatiques concernés est pour le moins modeste, au regard de l’étendue du désert. Vingt mètres carrés de miroirs par personne suffisent, soit une quinzaine de milliers de kilomètres carrés. Le Sahara à lui seul couvre 9 millions de kilomètres carrés.

Stocker l’énergie

Le concept de ces centrales est de concentrer à l’aide de miroirs – disposés selon différentes géométries – les rayons solaires en un point (ou sur une ligne dans le cas de miroirs cylindriques) et d’y chauffer à haute température un liquide caloporteur. Ce dernier actionne alors directement ou indirectement une turbine génératrice d’électricité. Les centrales fonctionnent avec un rayonnement direct (un ciel nuageux ne fait pas l’affaire), c’est pourquoi elles doivent être construites dans des régions présentant un ensoleillement maximum.

Le hic, c’est que le soleil éclaire le jour, tandis que l’Europe consomme également beaucoup d’électricité la nuit. L’avantage des centrales thermiques solaires, c’est qu’elles peuvent stocker une partie de l’énergie au cours de la journée sous forme de chaleur (grâce à du sel fondu, par exemple) qui peut être exploitée ensuite durant près d’une dizaine d’heures en cas de temps couvert ou la nuit. Les centrales sont donc capables de produire de l’électricité en fonction des besoins, ce qui est indispensable à la stabilité des réseaux.

Pour parcourir les longues distances qui séparent le désert des villes européennes, les concepteurs de Desertec proposent d’utiliser des lignes de courant continu – et non alternatif – à haute tension, qui permettent de transporter le courant avec des pertes inférieures à 3% tous les 1000 kilomètres. Il s’agit là d’un chantier indispensable au succès de l’entreprise. Quarante-cinq milliards d’euros seraient nécessaires pour la construction de 20 lignes de 5 GW chacune.

Finalement, l’énergie produite par le réseau Desertec pourrait également servir à la production d’eau potable grâce au dessalement de l’eau de mer. Le projet pourrait ainsi contribuer à résoudre le problème croissant de la pénurie en eau dans les pays du sud de la Méditerranée.

Des économies qui se chiffrent

Afin d’encourager les collectivités locales et les citoyens à dépasser les objectifs climatiques et énergétiques européens, l’UE a créé en 1990 l’association Energie-Cités, qui regroupe aujourd’hui plus de 1000 villes dans 26 pays. Elles se sont engagées à réduire leurs émissions de CO2 de plus de 20 % d’ici à 2020 grâce à des mesures visant à améliorer l’efficacité énergétique et à accroître l’utilisation des énergies renouvelables. Exposition itinérante, présentée à Genève l’été dernier, «Imagine» présente quelques-unes des solutions adoptées aux quatre coins du Vieux Continent dont sont tirés les chiffres ci-dessous.

Güssing (Autriche, 4000 habitants) est la seule ville d’Europe totalement autonome en énergie. Pour parvenir à ce résultat, la municipalité a développé la production de biogaz et de biodiesel. Elle a également investi dans des installations solaires et dans la production de chaleur et d’électricité par gazéification du bois. La production de chaleur, électricité et carburant est aujourd’hui supérieure aux besoins de la ville. Par ailleurs, plus de 1000 emplois ont été créés en vingt-cinq ans grâce à l’exploitation des énergies renouvelables locales.

Sur l’île de Samso (Danemark, 4200 habitants), 100% de l’électricité est produite à partir d’éoliennes locales et 75% de la chaleur grâce au solaire et à la biomasse. Mis à part la pollution engendrée par les véhicules, l’île est aujourd’hui neutre en émission de carbone.

À Lausanne (Suisse, 127 000 habitants), un réseau de chauffage urbain permet de produire plus de 50% de la chaleur à partir d’énergies locales: boues d’épuration, ordures ménagères et bois. La capitale vaudoise est par ailleurs la première ville européenne de plus de 100 000 habitants à avoir bénéficié du label European Energy Award Globe, qui récompense des mesures exemplaires en matière de politique énergétique durable.

À Bâle-Ville (Suisse, 186 000 habitants), la mise en place de toits végétaux sur une surface de 60 000 m2 (soit l’équivalent de huit terrains de football) permet d’économiser 4 millions de kWh par an, soit la consommation de chauffage de 260 foyers.

À Odense (Danemark, 185 000 habitants), entre 1998 et 2005, la consommation de chaleur a été réduite de 24%, celle d’électricité de 14% et celle de l’eau de 54%, ce qui représente une économie de 7,1 millions d’euros. Deux habitants sur trois ne possèdent par ailleurs pas de voiture.

À Nyiregyhaza (Hongrie, 119 000 habitants), grâce à un système de gestion «ouvert» pour le chauffage urbain, qui permet aux usagers de contrôler leur chauffage et de connaître les données de consommation énergétique de leur bâtiment, la consommation d’énergie a été réduite de 36% en dix ans.

À Eco-Viikki (Finlande, 2000 habitants), l’énergie solaire fournit plus d’un tiers des besoins énergétiques annuels en eau chaude sanitaire des habitants et la consommation de chauffage globale est inférieure de 25% à celle des logements traditionnels.

À Kronsberg (Allemagne, 6600 habitants): grâce à une isolation optimale, à la généralisation du solaire et à des systèmes de récupération de la chaleur innovants, les maisons «passives» de ce quartier de Hanovre ont une consommation de chauffage de 15 kWh/m2/an, soit environ 4 fois moins que la moyenne européenne. Kronsberg, où les solutions propres de transport sont également favorisées, rejette un volume de CO2 inférieur de 75% à celui d’un quartier classique et consomme 2 à 3 fois moins d’énergie que la plupart des quartiers des villes allemandes.

À Vaxjo (Suède, 77 000 habitants), 84% du chauffage provient d’énergies renouvelables. Plus d’un tiers des besoins en électricité est également couvert par les énergies renouvelables (biomasse, éolien, biogaz et solaire) et 80% de l’éclairage public est assuré par des lampes basse consommation. Les émissions de CO2 ont ainsi été réduites de 25% en dix ans.

À BedZed (Beddington Zero (fossil) Energy Development, Londres, 220 habitants): dans ce qui constitue le premier éco-quartier en Grande-Bretagne, la consommation de chauffage a été réduite de 90%, celle d’électricité de 60%.

À Ornans (France, 4000 habitants): un réseau de chaleur fonctionnant au bois et alimentant 2 écoles et 169 logements sociaux a permis de réduire les charges de chauffage de 30% et les rejets de polluants atmosphériques de 87% par an.