Campus n°96

Dossier/La révolution verte

«Lemano»: vers une gestion durable de l’eau

Le bassin lémanique, avec son lac, ne manque pas de ressources en eau. Ce qui ne signifie pas que l’on peut surexploiter le précieux liquide. Les chercheurs de l’Université de Genève ont mis au point un outil d’évaluation original qui permet aux communes de mesurer le caractère durable de leur gestion de l’eau

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Dans la commune vaudoise de Saint-Livres, 564 habitants, située en bordure de l’Aubonne, la consommation de l’eau est facturée en fonction du nombre de robinets et non du volume utilisé. Ce mode de tarification est assimilé à une politique de prix dégressif, jugée non durable. Dans la commune d’Allaman, 399 habitants, à l’embouchure de la même rivière, aucune mesure tendant à inciter les consommateurs à un usage responsable de l’eau n’a été prise. Par ailleurs, la qualité chimique des eaux sortant de la station d’épuration s’est révélée non conforme dans les deux tiers des mesures effectuées au cours de l’année 2006. Deux points qui ne correspondent pas non plus à une gestion durable de l’eau.

Ces exemples – non représentatifs – sont tirés d’un rapport, paru en juin 2009, sur la durabilité de la gestion des ressources en eau du bassin de l’Aubonne. Ce travail a pu être réalisé grâce à un outil d’évaluation original appelé Lemano, mis au point par le Laboratoire d’écologie et de biologie aquatique (LEBA) de l’Université de Genève et l’Association pour la sauvegarde du Léman (ASL). La méthode comprend 21 indicateurs, considérés comme les plus pertinents, mesurant la santé du capital aquatique d’une région du point de vue environnemental, économique ou social – les trois piliers du développement durable.

«La méthode d’évaluation Lemano est un outil qui n’a pas d’équivalent, à notre connaissance, estime Jean-Bernard Lachavanne, professeur au LEBA et président de l’ASL depuis bientôt trente ans. Elle représente également l’aboutissement de presque quinze ans de travail.»

Notion floue

L’histoire commence dans les années 1990 avec un groupe de réflexion rassemblé par la Fondation pour le progrès de l’homme. L’objectif est d’analyser les conditions de mise en application des principes du développement durable qui est encore une notion passablement floue. Le thème de l’eau est retenu pour son aspect concret et son omniprésence dans la société. En1998 est organisé un colloque, suivi, quelques années plus tard, par les Etats généraux de l’eau lors desquels une charte contenant 13 articles fondamentaux définissant la gestion durable des ressources en eau est adoptée (lire Campus n°78). La dernière étape du processus consiste à élaborer un outil pratique, utilisable par les autorités (communales ou cantonales), permettant d’évaluer de façon reproductible la gestion de l’eau sur leur territoire et donc de mesurer les progrès ou les péjorations en comparant les résultats d’une année à l’autre.

«Nous sommes partis d’une centaine d’indicateurs différents, précise Jean-Bernard Lachavanne. Nous avons fait le tri et n’en avons retenu que 21 qui nous paraissent les plus pertinents. Le gros du travail a consisté à les identifier et à savoir comment les mesurer et les interpréter.»

Parmi les indicateurs retenus, on trouve le taux d’urbanisation du bassin versant, différentes mesures de la qualité des eaux de surface et souterraines, les performances de la distribution de l’eau potable et de l’assainissement des eaux usées, l’estimation de la transparence des autorités quant à leur gestion de l’eau, le degré de collaboration entre acteurs de l’eau, etc. Chacun des paramètres reçoit une estimation exprimée en pour-cent qui est le résultat d’une formule mise au point par les chercheurs.

A des fins de validation, la méthode Lemano a été testée sur quatre bassins versants, répartis dans autant d’entités politiques: l’Aubonne vaudoise, la Versoix franco-valdo-genevoise, les Drances valaisannes et le Foron de Sciez en Haute-Savoie. La plupart des données utilisées dans ces études ont été délivrées par les autorités elles-mêmes. Pour l’instant, seule l’étude sur l’Aubonne a été publiée dans une version définitive.

L’Aubonne: peut mieux faire

Résultat: en raison de quelques carences, dont certaines sont citées plus haut, la gestion de l’eau dans le bassin de l’Aubonne est jugée «relativement bonne», bien que des «progrès restent à faire», surtout localement. Chaque commune concernée a reçu son rapport personnalisé, détaillant les scores pour chacun des indicateurs et contenant des recommandations pour améliorer la situation.

En gros, les communes du bassin de l’Aubonne devraient améliorer l’assainissement des eaux usées, achever les études permettant de mieux connaître les taux de pollution des rivières, diminuer les pollutions des eaux souterraines dues aux activités agricoles (nitrates), améliorer la collaboration entre elles et, finalement, mieux informer et sensibiliser les ménages, les industriels et les agriculteurs de la région.

La Versoix: démographie galopante

Le bassin de la Versoix, dont le rapport est actuellement en phase de relecture et de validation, se distingue par une démographie galopante. Entre 1962 et 2004, la population des communes concernées a augmenté de 225% (contre 34% pour la Suisse et 30% pour la France). Avec 380 habitants par km2, la région exerce donc une pression réelle sur les ressources en eau qui met en danger son caractère durable, surtout localement.

Dans la commune de Gex, par exemple, la nappe est exploitée à tel point que son niveau a baissé de 35 mètres en quinze ans. «Cela provoque un gros problème d’approvisionnement, note Jean-Bernard Lachavanne. Dans ce genre de cas, l’assurance tout risque est bien entendu le lac Léman avec ses 89 milliards de mètres cubes dans lesquelles plusieurs collectivités viennent déjà puiser. D’ailleurs, la plupart des communes du Pied du Jura, qui disposent de peu de réserves en raison de la rapidité des écoulements souterrains dans les roches karstiques, devront faire appel au Léman si elles veulent se développer davantage. L’ennui, c’est que pomper cette eau coûte de l’argent et de l’énergie.»

A l’échelle du bassin entier de la Versoix, toutefois, l’approvisionnement est satisfaisant. C’est la qualité biologique des eaux qui demeure discutable. En 2008, Divonne-les-Bains a dû abandonner l’exploitation de sa source principale, la nappe du Creux de la Mélie, en raison de contaminations. La Communauté de communes du Pays de Gex, qui comprend Divonne-les-Bains, s’alimente désormais en grande partie grâce à l’eau du Léman.

«Notre méthode est désormais au point, estime Jean-Bernard Lachavanne. Nous aimerions maintenant poursuivre le travail avec d’autres bassins versants de la région lémanique comme ceux de l’Allondon, de la Venoge, de la Viège (qui coule à Zermatt) ou encore de la Drance française.»