Campus n°96

Dossier/La révolution verte

Quand Genève se la roule douce

Depuis une dizaine d’années, la voiture perd du terrain à Genève, au profit de la marche à pied, du vélo ou des transports publics. Mais il reste encore beaucoup à faire pour assurer la fluidité du trafic dans les années à venir compte tenu de l’augmentation prévue de la population

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Genève n’a pas attendu l’élection de Barack Obama pour se mettre à la mobilité douce. Depuis une décennie environ, la voiture perd en effet régulièrement des points sur l’ensemble du territoire cantonal. Une tendance qui devrait encore s’accentuer avec la mise en place d’un système de pastille verte à partir de 2011, le développement du vélo électrique (lire ci-contre), ainsi que la construction de la liaison ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse (CEVA). Explications avec Giuseppe Pini, directeur de l’Observatoire universitaire de la mobilité.

«Les données fournies par le microrecensement transport, qui est effectué tous les cinq ans par l’Office cantonal du développement territorial et l’Office fédéral de la statistique, montrent qu’il y a un mouvement bien installé à Genève en faveur des solutions de transport «propres», explique Giuseppe Pini. Pour la première fois, l’utilisation de la voiture individuelle est en baisse marquée, tant en nombre de déplacements qu’en distance parcourue. Et cela est vrai tant pour le centre-ville que pour les communes de la périphérie.»

Réjouissants sur le plan écologique, ces chiffres méritent toutefois d’être nuancés. D’abord parce que les transports individuels motorisés (voitures, motos, scooters), même s’ils ont reculé de 10 points en dix ans, demeurent largement majoritaires, avec 70,6% des distances parcourues dans le canton en 2005. Ensuite, parce que cette tendance est surtout marquée dans le centre-ville, où la marche à pied est devenue le principal moyen de déplacement, avec 51,9% des trajets en 2005, contre 40,3% en 1994. Enfin, parce que pour faire mieux, la marge de manœuvre est relativement restreinte.

«Entre 70 et 80% des gens qui accèdent aujourd’hui au centre-ville de Genève en voiture disposent d’une place de stationnement réservée à leur arrivée, résume Giuseppe Pini. Les bouchons ne suffisent pas à les dissuader et l’Etat n’a guère de prise sur cette catégorie de la population puisque ces places de stationnement se trouvent dans leur immense majorité dans le domaine privé.»

Pour limiter malgré tout les nuisances causées par le trafic automobile d’autres moyens existent cependant. Après l’abandon de la solution consistant à instaurer un péage urbain pour désengorger le centre-ville, le Conseil d’Etat planche désormais sur le système dit des zones à faibles émissions polluantes qui a déjà été adopté par une trentaine de villes européennes, dont Berlin, Rotterdam ou Malmö. Le principe en est simple: il s’agit d’identifier chaque véhicule en fonction de ses performances environnementales, soit leurs émissions d’oxydes d’azote et de particules, et de leur attribuer un macaron de couleur (rouge, orange ou verte) permettant d’accéder ou non à telle ou telle zone de la ville.

«L’introduction d’une telle mesure vise en premier à lutter contre la pollution de l’air, commente Giuseppe Pini. Elle ne changera rien à l’encombrement provoqué par la voiture, mais favorisera le renouvellement d’un parc automobile qui compte parmi les plus anciens et donc parmi les plus polluants du pays. Selon les critères actuellement envisagés, environ 20 000 voitures pourraient se voir bannies du centre-ville aux alentours de 2013.»

En rester là ne suffira pas. Compte tenu de l’augmentation de population attendue (200 000 nouveaux habitants d’ici à 2030 pour la région franco-valdo-genevoise), l’autoroute de contournement sera en effet totalement saturée dès 2018. «Contrairement à la plupart des agglomérations comparables, Genève ne dispose pas d’une rocade complète, poursuit Giuseppe Pini. Quelqu’un qui veut se rendre de la rive gauche à Nyon est actuellement obligé de faire le tour du canton, ce qui est totalement insensé. Genève est clairement en sous-capacité routière. A plus ou moins brève échéance, on ne pourra donc pas échapper à une traversée de la Rade. Et il faut faire relativement vite car si cette dernière n’est pas opérationnelle à l’horizon 2030, nous allons au-devant de grandes difficultés.»

En parallèle, il est également nécessaire, selon le chercheur, de poursuivre le développement du réseau de transports publics. En progression régulière, ce dernier couvre aujourd’hui de manière relativement satisfaisante les trajets entre le centre et la périphérie. Il n’est par contre guère adapté aux déplacements dans la zone suburbaine où sont désormais localisés de nombreux emplois et la plupart des grands centres commerciaux. «Il existe toujours un certain décalage entre les modes de transport et les habitudes de déplacement, constate Giuseppe Pini. Combler ce décalage prend souvent du temps et nécessite une stratégie adaptée.» En l’occurrence, toute la difficulté consiste à anticiper les besoins en veillant à ce que les nouveaux arrivants soient implantés dans des zones où l’offre de transports publics précède la demande, car une fois acquises, les habitudes ont la vie dure.

C’est l’objectif visé par la liaison ferroviaire entre la gare Cornavin, les Eaux-Vives et Annemasse. «Cette ligne n’a de sens que parce qu’elle s’insère dans un vaste projet d’aménagement incluant la création de logements et d’une zone d’activité sur la rive gauche, explique Giuseppe Pini. C’est un investissement qui peut paraître excessif à l’heure actuelle, mais il ne faut pas perdre de vue que dans une vingtaine d’années, la demande sera devenue énorme et qu’il sera trop tard pour agir.»

Quant à la possibilité d’implanter un vaste réseau express régional (RER) desservant Gex, Annemasse, Bonneville, Saint-Julien et la vallée de l’Arve, qui semble la solution la mieux adaptée en termes de transports publics à l’échelle d’une agglomération, cette hypothèse bute sur des questions de financement. «Au niveau des collectivités de la région franco-valdo-lémanique, il existe aujourd’hui un consensus autour de l’idée de développer Genève en tant que métropole régionale, commente Giuseppe Pini. Outre le fait que la France a nettement tendance à privilégier le TGV, le problème, c’est que les moyens à disposition sont loin d’être les mêmes des deux côtés de la frontière. Le budget alloué au transport par Genève est en effet le même que celui dont dispose l’ensemble de la région Rhône-Alpes, Lyon comprise.»

Le vélo électrique à la conquête de la Suisse

A mi-chemin entre la bicyclette traditionnelle et le scooter, le vélo électrique séduit un nombre croissant de Suisses. Alors que le pays comptait environ un millier de ces véhicules en 2002, ce chiffre est passé à 7000 unités en 2007 et à 13 000 en 2008, un nombre qui a déjà été égalé au cours du premier semestre de l’année 2009.

«Si l’explosion des ventes est indiscutable, personne ne sait encore vraiment comment est utilisé ce nouveau moyen de transport», constate Giuseppe Pini, directeur de l’Observatoire universitaire de la mobilité (OUM). Pour tenter d’y voir un peu plus clair, une équipe de l’OUM vient donc de mener une enquête auprès des acheteurs genevois. Reposant sur l’analyse de 300 questionnaires environ, les résultats de ce travail montrent que le vélo électrique reste, pour l’instant, l’apanage d’une population assez spécifique. Jouissant d’une faible popularité auprès des jeunes, il attire surtout les personnes d’âge mûr (47 ans en moyenne) disposant de revenus moyens ou élevés.

Dans 36% des cas, il est destiné à remplacer le vélo traditionnel, résultat relativement logique compte tenu de l’âge des utilisateurs. Pour 16% des personnes interrogées, il se substitue à l’usage du scooter. En revanche, seuls 6% des sondés disent avoir remplacé la voiture par ce nouveau moyen de transport.

Pour ce qui est de l’usage du vélo électrique, il est surtout destiné à des déplacements de type utilitaire (faire ses courses, se rendre au travail). Mais il a également un intérêt pour les loisirs, surtout auprès des femmes, qui peuvent ainsi accompagner les sorties à vélo de leur mari au prix d’un effort moindre. «Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle sur le plan écologique, note Giuseppe Pini, mais en revanche il est certain que c’est une bonne chose pour la vie de ces couples.»

Quant à savoir dans quelles proportions ce mode de déplacement est appelé à se développer, Giuseppe Pini reste prudent: «Le principal atout du vélo électrique est son rayon d’action. La bicyclette traditionnelle convient parfaitement sur des distances qui vont jusqu’à 3 kilomètres. Au-delà, les bénéfices s’estompent. Avec le vélo électrique, cette limite peut être repoussée jusqu’à 7 ou 8 kilomètres. C’est parfait pour les gens qui viennent de la périphérie, mais pour quelqu’un qui vit et qui travaille à Genève, cet engin ne sert à rien, si ce n’est à montrer l’exemple ou à se donner une certaine image.»