Campus n°96

Perspectives

Homophobie: «Briser le silence, c’est ça le plus important»

Lorena Parini est maître d’enseignement et de recherche en études genre à la Faculté des sciences économiques et sociales. Elle a participé à l’organisation des premières assises contre l’homophobie à Genève qui se sont tenues les 4 et 5 septembre derniers à Uni Mail

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Campus: Quel bilan tirez-vous de ces premières assises contre l’homophobie?

Lorena Parini: Elles se sont très bien déroulées. L’affluence a dépassé nos espérances. Nous avons même dû changer d’auditoire au dernier moment pour pouvoir accueillir tout le monde. De plus, toutes les personnalités que nous avons invitées étaient présentes, dont les conseillers d’Etat Charles Beer et Laurent Moutinot, les conseillers administratifs de la Ville de Genève Michel Tornare et Sandrine Salerno ainsi qu’un certain nombre de hauts fonctionnaires, dont le directeur du Service de santé de la jeunesse (SSJ), Jean-Dominique Lormand. Ce dernier service joue d’ailleurs un rôle important, via les infirmeries scolaires, de prévention auprès des jeunes homosexuels, une population qui compte un taux de suicide six fois plus élevé que la moyenne.

L’école est-il un endroit où l’homophobie pose plus de problèmes?

L’école secondaire représente un lieu important dans cette problématique étant donné que les élèves de ces établissements entrent dans l’adolescence et découvrent leur sexualité. Mais, malgré le fait que les insultes faisant référence à l’homosexualité sont légion dans les préaux, l’école n’est pas la cause de tout. Notre société en général baigne dans une ambiance dans laquelle l’homosexualité demeure très secrète et assez mal vue.

L’homosexualité est encore un tabou?

Oui. On sait que les jeunes qui se découvrent une attirance pour les personnes du même sexe sont d’abord confrontés à un problème de parole. Faut-il le dire ou non? Si oui, comment le dire et à qui? Et avant un éventuel processus de coming out, ils passent par un moment de dépression qui peut mener, parfois, à des tentatives de suicide. C’est donc à ce stade qu’il faut apporter une aide et un soutien.

Le plus simple serait que cette aide soit apportée à l’école, justement…

Les autorités ont longtemps préféré la position réactive, qui consiste à attendre qu’un ou une jeune se présente à l’infirmerie de son école pour ensuite le réorienter vers les associations idoines. Encore faut-il identifier la source du malaise. Il arrive qu’une telle personne, ne sachant pas ce qui se passe en elle, se présente avec des symptômes divers (maux de tête, de ventre ou autre) et que l’infirmière scolaire se borne à lui chercher un problème physique. Dans ce cas, si un prospectus traîne sur la table qui lui propose de parler de son orientation sexuelle, cela pourrait créer le déclic salvateur. Briser la honte et le silence, c’est ça le plus important.

Ne faudrait-il pas aller plus loin?

Le bien-fondé d’actions proactives contre l’homophobie dans les écoles a été discuté lors des assises. Il faut rappeler que les associations qui se battent depuis des années pour cela se sont toujours heurtées à de fortes réticences, certaines personnes craignant qu’elles ne fassent du «prosélytisme». Comme si on pouvait susciter des vocations en la matière! Les autorités craignent aussi de froisser les parents d’élèves.

Les discussions lors des assises ont-elles permis de progresser sur la question?

Je pense que oui. Tous les éléments du problème ont été posés et plusieurs hauts fonctionnaires, dont la secrétaire générale du Département de l’instruction publique, Marianne Frischknecht, et le directeur du SSJ ont affirmé qu’ils élaboreront chacun un plan d’action. Ce qui est très positif.

L’Université de Genève est-elle aussi touchée par l’homophobie?

L’homophobie se rencontre dans toutes les classes sociales et dans tous les lieux, y compris à l’Université. La différence, c’est la manière dont elle est exprimée. Il existe une gradation en la matière. En Iran, on pend les homosexuels. Ailleurs, on se contente de les enfermer à vie. Chez nous, dans la rue, ils se font insulter, parfois tabasser. Cela n’arrivera jamais dans les couloirs de l’Université. En revanche, ils peuvent être la cible de lourds silences, de messes basses, de moqueries et de ce genre de comportements plus insidieux.

L’Université dispose-t-elle d’outils pour lutter contre l’homophobie qui sévirait entre ses murs?

Pour les étudiants, il existe une association, Think Out (think-out.ch), qui s’est créée en 2006. En ce qui concerne la carrière académique, l’idée générale que prône le rectorat, à l’instar de tous les autres secteurs de l’Etat, est qu’elle se base sur des critères objectifs. L’homophobie, comme toute autre forme de discrimination, serait donc absente du processus – même si tout le monde sait que ce n’est pas vrai.

Ces assises vous ont-elles apporté de la matière pour vos recherches?

Oui. Les interventions et les discussions qui se sont tenues lors de ces deux jours fournissent une matière très riche pour les études genre, qui s’intéressent aux constructions identitaires. Un champ dans lequel l’homophobie joue un rôle important.

Propos recueillis par Anton Vos