Campus n°97

Science politique

Les métamorphosesdu vote de gauche

Première formation politique de Suisse durant quatre décennies, le Parti socialiste est aujourd’hui confronté à la concurrence des Verts et de l’UDC. Une récente étude montre que son salut dépendra de sa capacité à imposer des thématiques économiques dans le débat public

Depuis l’accession de Christoph Blocher au Conseil fédéral en 2003, de nombreux universitaires se sont efforcés de cerner la portée du phénomène UDC. En revanche, très peu de travaux ont été consacrés à l’évolution récente des formations de gauche. C’est chose faite avec la parution de Le Destin de la gauche. Analyse du vote PS et Verts en Suisse. Cet ouvrage collectif, réalisé sous la direction de Pascal Sciarini et de Sarah Nicolet, respectivement professeur ordinaire et maître assistante au Département de science politique, est basé sur l’analyse des votations fédérales de 2007. Il met notamment en évidence la situation délicate dans laquelle se trouve le Parti socialiste, une formation concurrencée à la fois par les Verts et par l’UDC et dont la base électorale est en pleine mutation.

Nouveaux clivages

Comme le montrent les résultats de l’article coécrit par Daniel Oesch et Lise Rennwald, tous deux collaborateurs du Département de science politique, le PS, qui fut pendant quatre décennies le premier parti de Suisse, a de plus en plus de difficultés à séduire les classes populaires. Ainsi, alors que 22% des ouvriers avaient accordé leur voix à ce parti en 1995, ils n’étaient plus que 17% à le faire en 2007. Principal bénéficiaire de ce recul, l’UDC a, dans le même temps, doublé sa force électorale auprès de la même catégorie de population, qui représentait 18% de son électorat en 1995, contre 38% en 2007.

Ce mouvement de fond, qui touche également des pays comme l’Autriche, la Belgique, la France ou la Norvège, est à mettre en relation, selon les auteurs, avec l’apparition récente d’un nouveau type de clivage. A l’ancienne opposition entre une gauche sociale-démocrate et une droite libérale, s’est en effet ajoutée une lutte entre les tenants de valeurs universalistes et libertaires (épanouissement personnel, qualité de vie, égalité des sexes…) et les citoyens privilégiant des conceptions traditionalistes et communautaires.

«Le changement de valeurs dans la société a largement contribué à la transformation des partis sociaux-démocrates, qui ont dû intégrer ces nouvelles valeurs et les attentes politiques qui en résultent, précisent Pascal Sciarini et Sarah Nicolet. Or, ces nouvelles valeurs sont entrées en concurrence avec les priorités programmatiques classiques de la gauche sociale-démocrate: la justice redistributive, la politique sociale ou la politique de plein-emploi.»

Un parti d’universitaires

Largement bénéfique aux Verts – qui ont signé en 2007 le meilleur résultat jamais réalisé par un parti non gouvernemental au niveau national –, cette évolution a parallèlement permis au PS de rallier de nombreux supports parmi les représentants des nouvelles classes moyennes. Une population où se retrouvent des représentants de la santé, du social, de l’éducation, des médias ou de la culture et qui fait désormais figure de principal bastion électoral du parti. Symbole de cette évolution, le PS, qui, dans les années 1970, était la formation comptant le plus grand nombre de parlementaires ayant suivi une formation professionnelle, est devenu le parti qui regroupe la plus forte proportion d’universitaires (plus de 80% de ses députés ont achevé une formation dans une haute école).

Tant que les débats politiques restent confinés à des enjeux d’ordre économique, cette nouvelle configuration ne pose pas réellement problème. Sur ce type de sujets, les deux composantes de l’électorat socialiste (classes moyennes et populaires) partagent en effet des préférences similaires. C’est également un domaine dans lequel les classes populaires sont moins susceptibles de se tourner vers les positions défendues par l’UDC et où la concurrence des Verts est nettement moins forte.

Les choses se compliquent cependant lorsque, comme en 2007, ce sont des questions liées à des thématiques culturelles (l’immigration, la politique d’asile et la sécurité), qui dominent les débats politiques. Dans un tel cas de figure, le PS se trouve contraint à un grand écart délicat entre les deux principales franges de son électorat. «S’il opte pour une position d’ouverture, le PS s’assure le soutien des nouvelles classes moyennes, mais il s’aliène les voix des classes populaires, qui lui préféreront l’UDC, écrivent Daniel Oesch et Lise Rennwald. Et s’il opte pour une position plus traditionaliste, il limitera peut-être l’hémorragie au sein de sa base populaire, mais au risque de heurter ses électeurs de la nouvelle classe moyenne.»

La crise, une aubaine?

Selon Daniel Oesch, le PS n’a guère de marge de manœuvre s’il entend maintenir sa position dominante sur la gauche de l’échiquier politique. «L’avenir du Parti socialiste dépend largement de sa capacité à influencer l’agenda politique, explique le chercheur. S’il parvient à axer ses campagnes sur des sujets comme la fiscalité, les salaires ou le rôle de l’Etat social, la cohabitation des deux électorats est tout à fait possible. De ce point de vue, la crise économique actuelle peut constituer une opportunité. Pour en profiter, il faudra cependant que le Parti socialiste soit non seulement capable d’imposer ce genre de sujet dans le débat public, mais aussi de convaincre ses électeurs potentiels de sa capacité à répondre à ce type de défis.»

Vincent Monnet

«Le Destin de la gauche. Analyse du vote PS et Verts en Suisse», sous la dir. de Pascal Sciarini et Sarah Nicolet, Ed. Georg.