Campus n°99

A lire

L’humanisme qui a libéré les Tchécoslovaques

En 1946, la Tchécoslovaquie s’apprête à vivre plus de quarante ans sous le joug anesthésiant du régime soviétique. Pourtant, ce pays aujourd’hui coupé en deux, a également été placé durant cette même période sous le signe d’un «humanisme original», inspiré par la figure de l’homme d’Etat et philosophe Tomas Masaryk (1850-1937). C’est en tout cas la thèse soutenue par Karel Bosko, chargé d’enseignement au Département d’histoire générale dans son ouvrage L’Humanisme endurant, Tchécoslovaquie, 1968-1989. Selon l’auteur, c’est cet humanisme, tantôt chancelant, tantôt vigoureux, qui a permis à la population d’inventer le Printemps de Prague. Réprimé par la suite (on nous rappelle que le pays est alors envahi par 700 000 soldats et 6300 chars venus des pays voisins), cet événement a néanmoins semé les germes de la Révolution de velours qui a éclos vingt plus tard. Cette chronique retrace les principaux faits historiques tout en se penchant sur des thèmes tels que la réaction de l’Occident aux événements de 1968. Le chapitre traitant de ce sujet s’intitule d’ailleurs «Humanismes Est-Ouest, les rendez-vous manqués». On y découvre notamment un Michel Foucault pas si perspicace sur le sujet, mais aussi des pays démocratiques peu sensibles qui se bornent à exprimer leur indignation. A.V.

«L’Humanisme endurant, Tchécoslovaquie, 1968-1989», par Karel Bosko, Ed Labor et Fides, 2010, 230 pages.

Quand la mystique s’en va-t-en guerre

«Je me remets entièrement à Dieu en tout. Que mon sacrifice, fait uniquement pour Sa gloire et la sanctification des âmes, lui soit agréable! [...]» Pour quelle croisade ou autre guerre moyenâgeuse s’en va l’auteur de ces lignes? En réalité, il s’agit des premiers mots d’une lettre de l’islamologue Louis Massignon (1883-1962) au moment de partir sur le Front d’Orient en été 1915. La description et l’analyse de l’expérience mystique de cet intellectuel catholique au cours de la Grande Guerre fait l’objet d’un chapitre dans un ouvrage conçu sous la direction de Dominique de Courcelles, directrice de recherche au CNRS, et Ghislain Waterlot, maître d’enseignement et de recherche à la Faculté de Théologie de l’UNIGE. La Mystique face aux guerres mondiales propose en effet l’étude de cette cohabitation en apparence contre nature – mais si fréquente – entre la sauvagerie et la haine saisissant des peuples entiers et la relation avec un Dieu d’amour. En passant par les figures de Massignon, mais aussi de Bergson, Bataille, Thérèse de Lisieux, Teilhard de Chardin, Karl Barth et Franz Rosenzweig, la douzaine de contributions que compte cet ouvrage rend compte de la façon dont les guerres de démesure peuvent susciter de nouvelles formes de mystiques différentes des formes traditionnelles, voire obliger à redéfinir la signification même du terme. AV

«La mystique face aux guerres mondiales», sous la direction de Dominique de Courcelles et Ghislain Waterlot, PUF, 2010, 290 pages

Et Genève se libéra de l’Eglise

Après près d’un siècle de débats sur la question, le peuple de Genève vote en 1907 la suppression du budget des cultes et consacre ainsi la séparation des Eglises et de l’Etat, deux ans après la France. L’Etat sans confession. La laïcité à Genève (1907) et dans les contextes suisse et français, dirigé par Michel Grand-jean, professeur, et Sarah Scholl, assistante au Département de théologie, revient sur cet événement législatif décisif dont il présente – dans une perspective nouvelle – les acteurs et les discours, les antécédents et les conséquences. On y apprend, entre bien d’autres choses, que les séparations genevoise et française, très similaires dans leur principe, se distinguent toutefois sur certains points essentiels. La loi française ne «reconnaît [...] aucun culte», une phrase qui a donné lieu par la suite à des interprétations parfois polémiques. La loi genevoise, moins radicale, a omis une telle précision, laissant la porte ouverte à la reconnaissance d’une possible relation ultérieure entre l’Etat et certains cultes. A l’heure où la question religieuse revient au-devant de l’actualité politique notamment à propos de la place de l’Islam en Suisse, les auteurs espèrent que leur ouvrage peut apporter des réflexions constructives aux débats. AV

«L’Etat sans confession. La laïcité à Genève (1907) et dans les contextes suisse et français», Par Michel Grandjean et Sarah Scholl (éd.), Labor et Fides, 2010, 240 pages