Campus n°99

Perspectives/Cäsar Menz

La guerre des musées ne fait que commencer

Directeur honoraire des Musées d’art et d’histoire de Genève et chargé de cours à la Faculté des lettres, Cäsar Menz a organisé en avril dernier une journée d’étude sur la déontologie des musées. Entretien autour d’une problématique d’une actualité brûlante

Menz
En avril dernier, Zahi Hawaas, le tout-puissant responsable des Antiquités égyptienes, demandait, au nom de 25 Etats, la restitution à leur pays d’origine d’œuvres telles que le buste de Néfertiti (conservé à Berlin), les frises du Parthénon ou la Pierre de Rosette (possessions du British Museum). Comment analysez-vous ces revendications?

Cäsar Menz: Zahi Hawaas a promis de «rendre misérable» la vie des musées qui détiennent ces pièces. Selon son point de vue, qui est partagé par des Etats comme la Chine, la Colombie, l’Equateur, le Pérou ou la Libye, les musées des grandes capitales occidentales ont accaparé de façon contestable des pièces phares qui font partie intégrante du patrimoine et de l’identité culturelle des pays dans lesquels elles ont été découvertes. Elles doivent donc y revenir. Ces revendications montrent que nous sommes entrés dans une nouvelle dynamique. Après avoir longtemps accordé peu d’importance à ces questions, de nombreux pays dits «émergents» redécouvrent aujourd’hui leur patrimoine et souhaitent le récupérer.

Quelle est la position des musées concernés?

Face à ce qui s’apparente à une déclaration de guerre, les grands musées européens et américains cherchent à défendre leurs collections en mettant en avant le fait que ces objets font désormais partie du patrimoine de l’humanité, qu’ils en ont assuré la mise en valeur scientifique, la conservation et la visibilité. En d’autres termes: ils les ont «sauvés».

Depuis quelques années, les restitutions se multiplient pourtant…

En effet. L’Egypte a ainsi récemment récupéré un sarcophage conservé aux Etats-Unis et qui avait été sorti illégalement du pays au XIXe siècle. En 2006, les Etats-Unis ont également rendu à l’Italie près de 70 antiquités, dont le fameux cratère d’Euphronios qui avait été acquis en 1972 par le Metropolitan Museum de New York pour la somme d’un million de dollars. De son côté, l’Ethiopie a retrouvé en 2008 l’obélisque d’Axoum, dérobé en 1937 par Mussolini. Ces restitutions, qui font généralement suite à de longues procédures juridiques, doivent également être comprises comme des gestes diplomatiques. C’est une façon d’éviter une nouvelle forme de conflit entre le Nord et le Sud.

Est-ce à dire que le buste de Néfertiti pourrait réellement quitter Berlin pour retourner en Egypte?

Il est très difficile de prédire comment la situation va évoluer. Ce qui est en revanche certain, c’est que les enjeux sont considérables. Si vous enlevez le buste de Néfertiti du Neues Museum de Berlin, dont il est la principale attraction, le nombre de visiteurs chutera en effet immédiatement. Toutes proportions gardées, c’est comme si on enlevait la Joconde du Louvre. Ce sont des œuvres qui attirent de très nombreux touristes et qui génèrent donc des profits indirects considérables.

Selon Interpol, 2000 objets archéologiques sont volés chaque année. Quelles sont les conséquences de ce pillage?

Pour les archéologues, le contexte de trouvaille est essentiel dans la mesure où il donne aux objets une part très importante de leur signification. Piller un site, c’est donc détruire une source d’information souvent unique pour ce qui est de la compréhension du passé.

Dans des pays pauvres, la vente d’antiquités peut s’avérer très rentable. Dès lors, comment lutter?

Plusieurs facteurs sont à prendre en compte. Le premier est sans doute que la notion de patrimoine n’a pas le même sens partout. Certains pays ne protègent ainsi ni leurs sites ni leurs collections. Il arrive également que les autorités se rendent complices du trafic en délivrant des autorisations d’exportation pour des objets dont l’origine est peu claire. Par ailleurs, beaucoup de musées ne disposent pas encore d’inventaire et ignorent donc ce qui se trouve dans leurs réserves. Modifier cet état de fait n’est pas impossible, mais cela demande des moyens importants.

La Suisse a longtemps fait figure de mauvais élève en matière de trafic de biens culturels. Est-ce toujours le cas?

Beaucoup de progrès ont été accomplis ces dernières années. Les musées publics et privés sont tenus de respecter le code de déontologie adopté en 1986 par le Conseil international des musées et révisé en 2004. Ce texte interdit l’achat et la conservation de tout objet provenant d’un trafic illicite, d’un vol, d’une spoliation ou de fouilles clandestines. Il en va de même pour les dons, prêts et legs. Les musées ont également l’obligation de dresser un inventaire complet de leur collection et de coopérer en cas de demande de restitution justifiée. Après avoir signé la Convention de l’Unesco sur le commerce des biens culturels, la Suisse s’est également dotée d’une législation – la Loi sur le transfert des biens culturels, entrée en vigueur en 2005 – et d’un service spécialisé qui lui permet d’agir efficacement contre ce type de malversations.

Propos recueillis par Vincent Monnet