Campus n°99

Recherche/Médecine

Sus aux cellules vertes, sources du cancer du cerveau

La forme la plus mortelle et la plus répandue des tumeurs cérébrales est provoquée par la prolifération anarchique d’un type de cellules qui génèrent de la fluorescence. Cette particularité a permis une percée dans la stratégie de lutte contre cette affection

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Elles sont grosses, rondes et vertes. C’est grâce à ces simples qualificatifs (le troisième surtout) que des chercheurs genevois ont réussi à mettre au point une méthode capable de détecter et d’isoler les «cellules initiatrices de tumeurs», responsables de la forme la plus répandue et la plus agressive du cancer du cerveau: le glioblastome multiforme. Virginie Clément, maître-assistante au Département des neurosciences cliniques, Ivan Radovanovic, chef de clinique au service de neurochirurgie des Hôpitaux universitaires de Genève, et leurs collègues précisent dans un article paru dans la revue Nature Methods du mois de mars que l’exploitation de ces propriétés pourrait mener au développement d’un outil diagnostic complémentaire – la méthode actuelle étant essentiellement basée sur l’œil et l’expertise du pathologiste – et de nouvelles thérapies contre cette affection qui ne laisse pour l’instant que peu de chances de survie aux patients qui en souffrent.

Bien que relativement rare (une douzaine de nouveaux cas par an à Genève, 50 000 dans le monde), le glioblastome multiforme est en effet très mortel. En moyenne, la survie après un tel diagnostic est d’un an (certains individus tiennent plusieurs années, d’autres meurent en quelques mois). En cas d’opération chirurgicale, suivie d’une radiothérapie et d’une chimiothérapie, cette espérance de vie est allongée de deux ou trois mois. Un médicament récemment commercialisé aux Etats-Unis, l’Avastin (un anti-angiogénique capable d’«affamer» la tumeur en empêchant la croissance de vaisseaux sanguins), permet d’ajouter, toujours en moyenne, neuf mois de vie supplémentaires. C’est un progrès, mais il est largement insuffisant.

En 2003, pourtant, les chercheurs ont réalisé une avancée importante. Une équipe canadienne découvre alors dans la masse tumorale retirée d’un cancer du cerveau l’existence de cellules initiatrices de tumeurs (CIT). Celles-ci ressemblent beaucoup à des cellules souches, avec lesquelles elles partagent certaines caractéristiques de totipotence. Elles s’en distinguent toutefois par le fait qu’elles ne se transforment pas naturellement en cellules spécialisées saines, mais engendrent des cellules cancéreuses.

Récidives fréquentes

«Dans une tumeur du cerveau, les CIT ne comptent que pour environ 5% de la masse tumorale, précise Virginie Clément. Mais ce sont elles qui sont responsables de l’apparition du cancer et probablement aussi des récidives.» Ces dernières sont d’ailleurs très fréquentes dans le cas du glioblastome multiforme.

Très logiquement, les cellules initiatrices de tumeurs sont désignées comme les cibles à abattre. Mais la traque commence mal. Au début, pour les détecter et les isoler, les scientifiques utilisent des «marqueurs» (des anticorps capables de reconnaître des protéines de surface spécifiques aux cellules que l’on veut étudier) efficaces dans d’autres cancers, mais qui s’avèrent inadaptés au glioblastome.

La recherche dans ce domaine stagne donc quelques années, jusqu’au moment où Virginie Clément et Ivan Radovanovic décident de «reprendre les méthodes de caractérisation et d’isolation à zéro. Nous voulions en savoir plus sur les CIT afin de pouvoir les identifier à coup sûr et, surtout, trouver un moyen de les éliminer, explique la chercheuse. C’est ainsi que nous avons découvert, un peu par hasard, qu’en plus d’être grosses et rondes comme des cellules souches, les CIT produisent de la fluorescence de manière naturelle. Une propriété qui leur donne une teinte verte.»

Aura Verte

Sur le moment, le premier réflexe des chercheurs est de vérifier si cette fluorescence n’est pas due à une erreur de manipulation lors de l’expérience. Mais non. Pour une raison non encore élucidée, ces cellules émettent une aura verte et ce d’autant plus intensément qu’elles sont bien portantes. «Ce phénomène n’est pas facilement perceptible quand elles sont emprisonnées à l’intérieur d’une tumeur, un espace nécrotique et confiné où l’oxygène est rare, précise Virginie Clément. Mais dès qu’on les isole et qu’on les met en culture, elles brillent de tous leurs feux.»

Du coup, l’opération visant à les découvrir dans un amas tumoral et à les isoler est grandement simplifiée. «Il est plus facile d’identifier et de séparer les gros raisins secs dans un bol de muesli que de faire de même avec les flocons d’épeautre qui se confondent avec les autres céréales, note Virginie Clément. Pour trouver nos CIT, nous utilisons donc une technique éprouvée, la cytométrie de flux, qui nous permet de trier les cellules d’après leur taille, leur morphologie ou leur fluorescence. Nous réalisons désormais ces analyses de façon routinière sur les tumeurs prélevées sur les patients des HUG.»

Les premières analyses sur ces cellules vertes ont révélé la raison pour laquelle les récidives sont si fréquentes: les thérapies (chimiques et radioactives) utilisées habituellement contre les cancers n’ont pas l’effet nocif escompté sur les CIT. Ces dernières ont au contraire l’air d’apprécier le traitement et affichent une robe plus verte encore.

Cela a poussé Virginie Clément et Ivan Radovanovic à tester de nouvelles molécules. Après de nombreux essais, deux d’entre elles se sont distinguées. Les premiers tests sur des souris ont montré qu’elles exercent un effet durable sur la tumeur, cette dernière ne réapparaissant pas, plus de 40 jours après l’arrêt du traitement.

Afin de poursuivre leurs investigations et de les faire fructifier si possible, les deux chercheurs genevois ont monté en 2009 une spin-off baptisée Stemergie Biotechnology SA (lire ci-dessous). Parallèlement, ils poursuivront leurs recherches fondamentales au sein du Laboratoire de biologie des tumeurs cérébrales.

Anton Vos

Une spin-off contre le cancer du cerveau

Créée en décembre 2009, Stemergie Biotechnology SA est une spin-off de l’Université et des Hôpitaux universitaires de Genève. Elle est notamment dirigée par Virginie Clément, maître assistante au Département de neuroscience clinique et dermatologie. Ivan Radovanovic, chef de clinique au Service de neurochirurgie des Hôpitaux universitaires de Genève, est un des conseillers.

Stemergie Biotechnology SA vise à développer des traitements contre les cellules instigatrices de tumeurs (CIT), responsables de l’apparition et de la récidive de la plupart des cancers du cerveau. La spin-off dispose déjà de molécules capables d’éradiquer les CIT cérébrales tout en ayant peu, voire pas d’effets sur les cellules saines du système nerveux central. Deux brevets protègent pour l’instant leurs découvertes.

L’autre objectif de l’entreprise est le développement d’outils de diagnostic. Les marqueurs tumoraux qui existent aujourd’hui donnent en effet des résultats erronés dans la moitié des cas en ce qui concerne le glioblastome multiforme. Il est pourtant essentiel de con-naître le diagnostic avec exactitude puisqu’il détermine le choix du bon traitement à administrer au patient.

Stemergie Biotechnology SA est actuellement dans ses premiers mois de vie et à déjà reçu deux récompenses de 10 000 francs chacune. La première est le Prix de l’Innovation 2009 des HUG et la seconde est le Prix pour une idée commerciale innovante décerné par Venture Kick, un organisme qui alloue un capital d’amorçage pour les jeunes entreprises prometteuses.

Les responsables de la jeune pousse sont maintenant à la recherche de fonds supplémentaires pour financer leurs activités. A.Vs