Campus n°99

Recherche/astrophysique

L’Univers trempe dans un bain magnétique

Ce dont les astrophysiciens se doutaient depuis longtemps sans l’avoir jamais démontré vient d’être confirmé: il règne un faible champ magnétique dans l’espace intergalactique

On ne sait pas exactement d’où il vient, mais il est bel et bien présent. Il règne en effet un champ magnétique dans le vide de l’espace intergalactique. Il n’est pas très intense, tant s’en faut, mais Andrii Neronov, professeur assistant à l’Observatoire astronomique de l’Université de Genève, a pour la première fois pu démontrer son existence. Sa valeur exacte demeure inconnue, mais, à l’aide de données récoltées avec le satellite spatial Fermi (lancé en 2008) et le télescope terrestre HESS (en fonction depuis 2004), le chercheur a tout de même réussi à calculer une limite inférieure pour celle-ci. Comme le rapporte un article paru dans la revue Science du 2 avril, ce champ magnétique intergalactique vaut au moins 10-16 gauss (celui de la Terre, à titre de comparaison, est un million de milliards de fois plus intense, soit 0,5 gauss).

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«Que ce champ magnétique existe n’est en soi pas vraiment une surprise, estime Andrii Neronov. Les physiciens théoriciens supposent depuis longtemps que c’est le cas. Sa présence est en effet nécessaire pour expliquer l’existence du champ magnétique qui règne dans les galaxies, y compris dans la Voie lactée, où il vaut, selon les dernières estimations, quelques microgauss (10-6 gauss).»

Origine cosmologique

Selon le scénario le plus largement admis, le très faible champ régnant dans le vide se serait en effet amplifié dans les galaxies lors de leur formation sous l’effet de la concentration de la matière. Cette compression aurait également entraîné un effet dynamo, contribuant lui aussi à l’augmentation de l’intensité du magnétisme galactique. Cette théorie accepte une valeur très faible pour le champ initial, mais non nulle. Sinon, on aurait beau amplifier le néant, cela n’en resterait pas moins le néant. Mais d’où sort-il, ce magnétisme? «Son origine est probablement cosmologique, précise Andrii Neronov. Pour produire un champ magnétique, il faut un courant électrique. Et ce dernier ne peut apparaître qu’en cas de déséquilibre entre des populations de particules chargées dont les mouvements créent des courants. Les événements capables de provoquer ce genre de déséquilibre ne sont pas nombreux. En fait, nous pensons que le champ magnétique intergalactique a été produit lors d’une des quatre transitions de phases cosmologiques qu’a connues l’Univers dans son histoire.»

Transitions de phase

La plus ancienne est appelée l’inflation. Durant cette période extrêmement brève et qui se serait produite immédiatement après le Big Bang, l’Univers aurait connu une expansion formidable. Vient ensuite la transition de phase électrofaible, qui a vu la force électromagnétique et la force faible, qui n’en formaient qu’une jusqu’alors, se séparer en deux forces distinctes. Cet instant de la vie de l’Univers a été et est toujours abondamment étudié par les accélérateurs de particules du CERN (notamment le LEP).

La troisième étape est la transition chromodynamique quantique, qui voit les quarks être confinés dans d’autres particules (protons, neutrons…) pour ne plus jamais en sortir. La dernière transition de phase s’est déroulée 377 000 ans après le Big Bang et a produit le fond diffus cosmologique. A ce moment, les électrons sont capturés par les noyaux atomiques et la lumière émise à cet instant baigne toujours l’univers sous la forme d’un rayonnement micro-onde.

Sous le jet des blazars

«Pour être complet, certains théoriciens ont suggéré que le déséquilibre nécessaire à la production du champ magnétique aurait pu être créé non pas dans tout l’Univers en même temps, mais localement, explique Andrii Neronov. Cela aurait pu avoir lieu, selon eux, lors de la formation des galaxies et l’apparition de leur trou noir central. Cette hypothèse expliquerait pourquoi les galaxies possèdent un champ magnétique, mais elle impliquerait aussi que celui-ci soit nul dans l’espace intergalactique. Nos résultats ont infirmé ce scénario.»

Le travail des astrophysiciens genevois a consisté à mesurer des rayons gamma de très haute énergie émis par des blazars (ce sont des noyaux de galaxie actifs au centre desquels se trouvent des trous noirs supermassifs produisant des jets de rayons gamma, dont certains sont dirigés vers la Terre). Au cours de leur trajet dans l’espace, ces photons très énergétiques provoquent la création de paires d’électrons et de positrons. Ces derniers entraînent à leur tour l’émission de nouveaux rayons gamma, mais moins énergétiques que les premiers.

Si le champ magnétique n’existait pas, toute cette cascade électromagnétique se déroulerait dans la même direction et les détecteurs placés sur et autour de la Terre mesureraient une grande quantité de ces rayons gamma secondaires en accord avec les prédictions théoriques. En revanche, s’il existait un champ magnétique, même très faible, les électrons et les positrons, électriquement chargés, verraient leur trajectoire incurvée et les rayons gamma secondaires seraient émis dans des directions différentes de celle de la Terre. Du coup, on en détecterait beaucoup moins que prévu.

«Nos mesures ont validé la seconde hypothèse, précise Andrii Neronov. Il nous reste maintenant à tenter de fixer une limite supérieure, ce qui va nous demander encore beaucoup de travail.»

Anton Vos