2019

Quand les sons d’alarme irritent le cerveau

Des chercheurs de l’UNIGE démontrent comment les sons rugueux utilisés par les signaux d’alarme mobilisent l’attention du cerveau en stimulant les réseaux cérébraux de l’aversion.

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Les sons lisses et rugueux activent des réseaux cérébraux différents. Alors que les sons lisses induisent des réponses essentiellement dans le système auditif ‘classique’, les sons rugueux activent par ailleurs un réseau cérébral plus large, impliqué dans le traitement de l’aversion et de la saillance. © UNIGE

 

Pourquoi les sons rugueux des alarmes ou des cris retiennent-ils notre attention? Que se passe-t-il dans le cerveau lorsque de telles fréquences sont perçues? Pour répondre à ces questions, des neuroscientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont analysé les réactions de personnes soumises à différents sons, afin de pouvoir établir dans quelles limites les fréquences de sons répétitifs sont considérées comme désagréables. Ils ont ensuite étudié à l’intérieur même du cerveau les zones stimulées lors de l’écoute de ces fréquences. De façon surprenante, leurs résultats, publiés dans la revue Nature communications, démontrent que non seulement le circuit classique du traitement du son est activé, mais que des zones corticales et sous-corticales assimilées au traitement de la saillance et de l’aversion sont également sollicitées. Une première qui explique pourquoi le cerveau se met en état d’alerte à leur écoute.

Les sons d’alarmes, qu’ils soient artificiels tels que les klaxons, ou naturels tels que les cris, sont caractérisés par des fluctuations sonores répétitives, situés généralement dans des fréquences de 40 à 80 hertz. Mais pourquoi ces fréquences ont-elles été sélectionnées pour signaler le danger? Et que se passe-t-il dans le cerveau pour qu’elles retiennent autant notre attention? Afin de pouvoir délimiter les fréquences jugées insupportables par le cerveau, des chercheurs de l’UNIGE et des HUG ont fait écouter à 16 participants des sons répétitifs entre 10 et 250 hertz, de manière toujours plus rapprochée. «Nous leur avons ensuite demandé quand est-ce que les sons étaient perçus comme rugueux (soit distincts les uns des autres) et quand est-ce qu’ils étaient perçus comme lisses (ne formant plus qu’un seul son continu)», explique Luc Arnal, chercheur au Département de neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE.

Grâce aux réponses des participants, ils ont pu établir que la limite supérieure de la rugosité sonore se situe autour de 130 hertz. «Au-dessus de cette limite, les fréquences sont entendues comme ne formant plus qu’un seul son continu», poursuit le chercheur. Mais pourquoi le cerveau considère-t-il ces sons comme déplaisants? Pour répondre à cette question, les neuroscientifiques ont à nouveau fait écouter les différentes fréquences aux participants. Ceux-ci devaient alors les classer sur une échelle de 1 à 5, 1 signifiant tolérable, 5 insupportable. «Les sons considérés comme insupportables se situaient principalement entre 40 et 80 hertz, soit dans la gamme de fréquences utilisées par les alarmes et le cri humain, notamment celui du bébé», relève Luc Arnal. En effet, le son est perceptible de loin, contrairement à un stimulus visuel. Il est donc capital qu’il puisse capter l’attention dans une optique de survie. «C’est pourquoi les alarmes exploitent ces fréquences répétitives rapides, afin de maximiser leur détection et de capter notre attention», poursuit le chercheur. En effet, lorsque les répétitions sont espacées de moins de 25 millisecondes environ, le cerveau ne parviendrait pas à les anticiper et donc à les occulter. Il se retrouve sans cesse en état d’alerte et attentif à ce stimulus.


Les sons rugueux sortent du système auditif classique

Les chercheurs ont ensuite cherché à savoir ce qu’il se passe dans le cerveau: pourquoi ces sons rugueux sont-ils insupportables à entendre? «Pour ce faire, nous avons utilisé l’électro-encéphalogramme intracrânien (EEG), qui permet d’enregistrer, à l’intérieur même du cerveau, l’activité cérébrale en réponse au son», explique Pierre Mégevand, neurologue et chercheur au Département de neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE et aux HUG.

Lorsque le son est perçu comme continu (au-dessus de 130 hertz), le cortex auditif situé dans le lobe temporal supérieur s’active. «Il s’agit là du circuit classique de l’audition», précise le neurologue genevois. Mais lorsque les sons sont perçus comme rugueux (en particulier entre 40 et 80 Hz), ils induisent une réponse persistante qui recrute un grand nombre de régions corticales et sous-corticales qui n’appartiennent pas au système auditif classique! «Ces sons sollicitent notamment l’amygdale, l’hippocampe et l’insula, des zones liées à la saillance, l’aversion et la douleur». D’où le fait que les participants les considèrent comme insupportables», explique Luc Arnal, surpris de voir de telles régions impliquées dans le traitement des sons.

C’est la première fois que l’on démontre que les sons situés entre 40 et 80 hertz mobilisent de tels réseaux neuronaux, bien que ces fréquences soient utilisées depuis longtemps dans les systèmes d’alarme. «Aujourd’hui, nous comprenons enfin pourquoi le cerveau ne parvient pas à s’en détacher, appuie Luc Arnal. Il se passe quelque chose de particulier à ces fréquences, et l’on retrouve d’ailleurs beaucoup de pathologies qui montrent des réponses cérébrales atypiques aux sons à 40 hertz, comme Alzheimer, l’autisme et la schizophrénie». A présent, les neuroscientifiques vont se pencher sur les réseaux stimulés par ces fréquences, afin de voir s’il serait possible de détecter ces maladies de manière précoce en sollicitant le circuit activé par ces sons.

20 sept. 2019

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