Deuxième partie
Le jeu

Si l’acte d’intelligence aboutit à un équilibre entre l’assimilation et l’accommodation, tandis que l’imitation prolonge cette dernière pour elle-même, on peut dire, inversement, que le jeu est essentiellement assimilation, ou assimilation primant l’accommodation.

Le jeu est d’abord simple assimilation fonctionnelle ou reproductrice. Le phénomène du « préexercice », dont K. Groos a voulu faire la caractéristique du jeu tout entier, ne s’explique que par le processus biologique selon lequel tout organe se développe en fonctionnant : de même, en effet, que pour croître un organe a besoin de nourriture et que celle-ci est sollicitée par lui dans la mesure de son exercice, de même chaque activité mentale, des plus élémentaires aux tendances supérieures, a besoin pour se développer d’être alimentée par un constant apport extérieur, mais purement fonctionnel et non plus matériel 31. Utilisation des choses par une activité ayant sa fin en elle-même, le jeu primitif commence ainsi par se confondre presque avec l’ensemble des conduites sensori-motrices, dont il ne constitue qu’un pôle : celui des comportements ne nécessitant plus d’accommodations nouvelles et se reproduisant par pur « plaisir fonctionnel » (« Funktionslust » de K. Bühler). Mais, avec l’intériorisation des schèmes, le jeu se différencie davantage des conduites d’adaptation proprement dite (intelligence) pour s’orienter dans la direction de l’assimilation comme telle : au rebours de la pensée objective, qui cherche à se plier aux exigences de la réalité extérieure, le jeu d’imagination constitue, en effet, une transposition symbolique qui soumet les choses à l’activité propre, sans règles ni limitations. Il est ainsi assimilation presque pure, c’est-à-dire pensée orientée par le souci dominant de la satisfaction individuelle. Simple épanouissement des tendances, il assimile librement toutes choses à toutes choses et toutes choses au moi. Si donc, au niveau des débuts de la représentation, l’aspect de copie inhérent au symbole en tant que « signifiant » prolonge l’imitation, les significations mêmes, en tant que « signifiées » peuvent osciller entre l’adaptation adéquate propre à l’intelligence (assimilation et accommodation équilibrées) et la libre satisfaction (assimilation se subordonnant l’accommodation). Enfin, avec la socialisation de l’enfant, le jeu se donne des règles ou adapte de plus en plus l’imagination symbolique aux données de la réalité, sous forme de constructions encore spontanées mais imitant le réel : sous ces deux formes le symbole d’assimilation individuelle cède ainsi le pas, soit à la règle collective soit au symbole représentatif ou objectif, soit à tous deux réunis.

Il se trouve donc que l’évolution du jeu, qui interfère sans cesse avec celle de l’imitation et de la représentation en général, permet de dissocier les divers types de symboles, depuis celui qui, par son mécanisme de simple assimilation égocentrique, s’éloigne au maximum du « signe », jusqu’à celui qui, par sa nature de représentation à la fois accommodatrice et assimilatrice, converge avec le signe conceptuel sans cependant se confondre avec lui.