Première partie
La genèse de l’imitation

Comme l’a établi M. P. Guillaume en un livre qui a renouvelé la question, l’imitation ne repose pas sur une technique instinctive ou héréditaire : l’enfant apprend à imiter et cette acquisition soulève, au même titre que les autres, tous les problèmes relatifs à la construction sensori-motrice et mentale. Cette conclusion resterait vraie même si la tendance à imiter comportait une composante transmise par hérédité, car, autre chose est une tendance et autre chose est la technique qui lui permet de se déployer.

Nous irons même plus loin et en viendrons à considérer l’imitation préverbale de l’enfant comme l’une des manifestations de son intelligence. À suivre pas à pas la formation de l’imitation durant les deux premières années, on est frappé, en effet, par l’activité proprement dite qu’elle manifeste : elle n’a rien, durant cette période, d’« automatique » ou d’« involontaire » (dans le sens de non intentionnel) mais témoigne très vite de coordinations intelligentes tant dans l’apprentissage des moyens qu’elle emploie que dans ses buts eux-mêmes. Bien plus, il existe, verrons-nous, une connexion étroite entre les stades de l’imitation et les six stades que nous avons distingués jadis dans le développement de l’intelligence sensori-motrice 6 au point que nous nous servirons de ce même cadre pour décrire les faits dont l’analyse va suivre.

Or, si tel est le cas, on peut d’emblée concevoir l’interprétation que voici. L’intelligence sensori-motrice nous est apparue comme le déploiement d’une activité assimilatrice tendant à incorporer les objets extérieurs à ses schèmes tout en accommodant ceux-ci à ceux-là. Dans la mesure où est recherché un équilibre stable entre l’assimilation et l’accommodation, on peut donc parler d’adaptation proprement intelligente. Mais dans la mesure où les objets extérieurs modifient les schèmes d’action du sujet sans que celui-ci utilise directement ces objets en retour, autrement dit dans la mesure où l’accommodation l’emporte sur l’assimilation, l’activité s’engage dans la direction de l’imitation : celle-ci constituerait ainsi le simple prolongement des mouvements d’accommodation et on comprendrait sa parenté étroite avec l’acte d’intelligence dont elle ne constituerait donc qu’un aspect différencié ou qu’une partie momentanément détachée. Inversement, nous verrons ensuite que quand l’assimilation l’emporte sur l’accommodation, l’activité du sujet s’oriente par cela même dans le sens du jeu, que tous les intermédiaires relient à l’adaptation intelligente et qui constitue de la sorte la réciproque de l’imitation.

Enfin, on comprend dès l’abord en quoi le problème de l’imitation introduit à celui de la représentation : dans la mesure où celle-ci constitue une image de l’objet (ce qu’elle est certainement, sans n’être que cela), elle est alors à concevoir comme une sorte d’imitation intériorisée, c’est-à-dire comme un prolongement de l’accommodation. Quant au symbolisme de l’imagination, il n’est aucune difficulté à saisir comment il s’appuie sur celui du jeu. Il est donc nécessaire de suivre pas à pas les progrès de l’imitation, puis ensuite ceux du jeu, pour atteindre au moment venu les mécanismes formateurs de la représentation symbolique.