Campus n°115

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Dossier | ACQWA

"Le système de gouvernance du Valais manque de souplesse"

D’ici à 2050 en Valais, les ressources en eau vont connaître des bouleversements dus aux changements climatiques. Pour éviter les conflits entre régions et secteurs d’activités, l’administration et la législation doivent s’adapter, estiment les chercheurs

L’«incertitude prévisible», en matière de gestion de l’eau, est en passe de devenir une « incertitude imprévisible ». Jusqu’à présent, en effet, lors de la construction d’infrastructures ou le développement de l’agriculture dans les régions de montagne comme le Valais, on a toujours estimé que les fluctuations futures des précipitations, de la température, des crues et d’autres événements hydrologiques resteraient confinés entre les extrêmes enregistrés au cours de l’histoire.

Malheureusement, les changements climatiques, dont les conséquences déjà visibles ne feront que s’accentuer avec le temps, modifient la donne. La variabilité du cycle hydrologique s’accentuera, les extrêmes prendront plus d’ampleur, et toute tentative de planification deviendra plus ardue.

Après analyse de la situation, les chercheurs du projet ACQWA constatent que le système de gouvernance qui existe actuellement en Valais n’a pas la flexibilité ni la capacité d’adaptation nécessaires pour se prémunir contre cette évolution. Ils proposent donc des pistes pour y remédier. Explications avec Margot Hi ll, chercheuse à l’Institut des sciences de l’environnement.

«Les ressources en eau subissent de nombreuses pressions, précise la chercheuse. Dans ce contexte, les changements climatiques ne représentent qu’une composante supplémentaire du bouleversement que vivent les montagnes. Mais cette composante a la spécificité d’exacerber toutes les autres, surtout en période de pic.»

Selon les projections réalisées par les chercheurs d’ACQWA, le débit total des cours d’eau ne subira pas de grands changements. Toutefois, durant les prochaines décennies, les étés seront en moyenne de plus en plus secs et les précipitations plus intenses au printemps et en automne. Le recul des glaciers entraînera, à terme, une diminution de la quantité d’eau de fonte dans les torrents. La température, quant à elle, augmentera d’un peu moins d’un degré avec des pics dans certaines régions.

Grandes variations

Cette évolution ne suivra pas une courbe lisse. Elle sera au contraire marquée par de grandes variations. C’est la tendance générale, calculée sur plusieurs décennies, qui suivra la direction dictée par les changements climatiques.

«Les problèmes apparaîtront localement et se traduiront en particulier par des manques d’eau à la fin de l’été, surtout dans les vallées de la rive droite plus exposées au soleil, note Margot Hill. Cette situation est susceptible de créer des tensions entre les régions ou entre les secteurs d’activité comme le tourisme, l’agriculture, la production d’énergie ou encore la consommation d’eau privée. Sans oublier la préservation de l’environnement qui, en retour, fournit le précieux liquide.»

La particularité du Valais est que la gestion de l’eau se trouve en grande partie entre les mains des communes voire, pour certains usages, entre celles des privés. Il n’y a que le Rhône qui soit géré par le canton. Toutes les vallées latérales échappent à son contrôle. Il en découle un risque important de blocage à un niveau régional, voire cantonal.

« Ce niveau d’autonomie municipal entrave la planification de la gestion à plus long terme de l’eau sur l’ensemble d’un bassin-­versant, souligne la chercheuse. Il manque aussi des mécanismes formels pour gérer la compétition ou la collaboration entre les différents secteurs dans un même bassin-versant. Il existe bien des règles entre les communes et les entreprises privées, par exemple, mais elles sont informelles.»

Pour ne prendre que cet exemple, les concessions des barrages hydroélectriques, ouvrages essentiels dans la redistribution de l’eau au cours de l’année, sont octroyées par les communes aux entreprises qui les exploitent et leur durée atteint entre cinquante et cent ans. Cette situation n’est pas des plus adaptées aux bouleversements futurs. La fonte de plus en plus précoce des neiges au printemps et le recul des glaciers modifieront en effet l’alimentation des lacs de retenue, ajoutant une couche supplémentaire d’incertitudes sur les prévisions hydrologiques (lire en page 32).

Eviter les conflits d’intérêts

«Ce qui manque, c’est une vision politique globale qui traverse les régions et les secteurs d’activité, résume Margot Hill. Il faudrait un organisme cantonal qui puisse gérer les ressources en eau de manière proactive et en évitant les conflits d’intérêts, tout en intégrant les données et les scénarios issus de la recherche scientifique sur le climat.»

La chercheuse préconise par ailleurs que les ressources en eau et leur gestion soient soumises à une révision régulière afin de pouvoir réajuster les règles et les lois en fonction des changements intervenus. Des procédures devraient également exister à une échelle plus grande que celle de la commune, notamment pour faire face à des pénuries locales d’eau ou d’engorgement de l’acheminement du précieux liquide. Se basant sur ce qui existe dans d’autres pays, Margot Hill évoque également la possibilité de mise en place d’un système de licences (notamment pour l’eau potable) qui soit limité dans le temps et surtout qui puisse intégrer les différents usages possibles de l’eau.

Selon elle, ces changements sont indispensables pour que, sur le terrain, des solutions concrètes puissent être mises en œuvre : rassembler les autorités compétentes dans la gestion des sols et celles dédiées à la gestion de l’eau à l’échelle des bassins versants ; favoriser la renaturation des cours d’eau, comme cela est d’ailleurs prévu avec la troisième correction du Rhône ; diversifier le tourisme de manière à ce que ce secteur ne dépende plus autant de la production de neige artificielle après 2050 ; promouvoir des pratiques agricoles plus adaptées aux nouvelles conditions climatiques en favorisant notamment la capacité de rétention d’eau des sols ; optimiser la gestion des réservoirs et des lacs en les destinant par exemple à des usages multiples et redondants afin de disposer d’une marge de manœuvre suffisante en cas d’événement climatique inattendu.

Fixer les priorités

L’idéal, finalement, serait de disposer en Valais d’un Centre cantonal de compétence sur l’eau. Ce sur quoi l’administration du canton, conscient du problème, planche depuis plusieurs années. «Nous avons commencé par déterminer la stratégie que devrait suivre le canton en matière de gestion de l’eau, explique Richard Zurwerra, chef de l’Office des améliorations structurelles du Service de l’agriculture au sein du Département valaisan de l’économie, de l’énergie et du territoire. Elle devra s’articuler autour des objectifs suivants : accès à l’eau potable, protection contre les dangers naturels, production d’énergie hydroélectrique, approvisionnement pour l’agriculture, l’industrie et le tourisme, conservation des écosystèmes le long des cours d’eau, sensibilisation de la population et consolidation de la recherche et du développement.»

L’établissement formel de l’ordre des priorités – en les faisant entrer dans la loi par exemple – ne se fera pas sans mal. Si l’accès à l’eau potable peut facilement prétendre à la première place, les autres donneront forcément lieu à de sérieuses bagarres, entre les différents secteurs impliqués, mais aussi entre le canton et les communes, très autonomes et sans lesquelles il ne sera pas possible d’avancer.

«En Valais, nous avons l’habitude des batailles autour de l’eau, tempère Richard Zurwerra. Les premiers écrits que l’on a retrouvés dans les archives cantonales en font déjà mention. Elles ont été ravivées lors de la construction des barrages, ce qui a notamment débouché sur la décision que l’irrigation devait primer sur le turbinage électrique. Avec les principales concessions qui arriveront à terme entre 2020 et 2060, nous savons que les conflits reprendront avec l’ingrédient supplémentaire des changements climatiques.»

C’est justement pour répondre à ce risque que le canton cherche à mettre sur pied ce Centre de compétences sur l’eau. A cause du manque de moyens, les discussions actuelles ne s’orientent cependant pas vers la création d’un nouveau service dédié à la gestion de l’eau mais plutôt vers la mise en place, au sein de l’administration, d’une plateforme ou d’un instrument de coordination où pourraient se retrouver les responsables des différents services concernés.

«A l’heure actuelle, chacun fait correctement son travail mais sans sortir de son secteur, déplore Richard Zurwerra. Nous n’avons même pas une base de données commune sur les ressources en eau. Chaque secteur (agriculture, énergie, environnement…) possède la sienne.»