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Marie Demeilliez, « Un plaisir sage et réglé ». Musiques et danses sur la scène des collèges parisiens (1640-1762), Thèse de doctorat de musicologie en deux volumes soutenue à l’Université Paris-Sorbonne le 10 octobre 2010.

Malgré son intitulé, l’étude de Marie Demeilliez ne ravira pas seulement les spécialistes de la musique et de la danse baroque et classique. En accordant une large place aux interférences entre les textes des pièces conservés et leurs intermèdes dansés, chantés ou récités, elle ouvre la voie à l’étude d’une intertextualité essentielle à l’histoire des sensibilités (cycles programmatiques). En s’attardant par exemple sur le corpus atypique et exceptionnel de récits, c’est à dire de récitatifs semble-t-il non chantés, insérés dans les tragédies du père Le Jay, professeur de Voltaire, l’auteur ne peut mieux inciter les historiens du théâtre à recontextualiser une école de la scène dont on a trop tendance à oublier qu’elle fut celle des principaux dramaturges de l’âge classique.

 

Synthèse:

Présentée le 10 octobre 2010 à l’Université Paris-Sorbonne, la thèse de doctorat de Marie Demeilliez consacrée à la musique et la danse sur la scène des collèges parisiens entre 1640, année des premiers programmes conservés, et 1762, date de la suppression de la Compagnie de Jésus par le Parlement de Paris, scelle de manière magistrale le renouveau des études relatives aux arts de la scène sous l’Ancien Régime et la redécouverte concomittante du répertoire baroque entrepris en France il y a plus de trente ans. Conçue à la fois comme une école corporelle (formation du geste) mais aussi une école de vertu (mimesis ou imitation héroïque) suivant une conception humaniste fortement teintée d’aristotélisme, la création théâtrale et ses arts associés (musique, danse, scénographie...) a longtemps constitué un enseignement complémentaire aux cours magistraux assorti de qualités notamment rappelées par le ballet « manifeste » du père Charles Porée (L’Homme instruit par le spectacle, ou le théâtre changé en école de vertu, 1726). Depuis 1880, les chercheurs, comme les professionnels des arts de la scène, ne disposaient guère que du répertoire des représentations théâtrales établi par Ernest Boysse dans son étude pionnière sur la création théâtrale dans les collèges jésuites. Au terme du patient et minutieux travail de recherches effectué par Marie Demeilliez, ils disposent à présent d’un catalogue que l’on imagine exhaustif pour l’ensemble des collèges parisiens aux XVIIe et XVIIIe siècles, ainsi que de répertoires dédiés (index nominum) répartis par œuvres, éditeurs et imprimeurs des programmes, musiciens et danseurs professionnels etc… Si salutaire soit-elle, la constitution - par nature besogneuse - de ce corpus en grande partie inédit n’éclipse en rien la richesse d’une étude dont ces quelques lignes ne sauraient qu’insuffisament rendre compte. Sans doute la remise en cause de l’idée - hélas bien ancrée - selon laquelle la scène jésuite, en particulier celle du collège Louis-le-Grand, n’aurait constitué après la suppression des ballets des collèges de l’Université en 1695 qu’une sorte de conservatoire des pratiques versaillaises du Grand Siècle, constitue-t-elle l’un des apports les plus marquants de cette thèse de doctorat. En revenant, exemples judicieux à l’appui (Apollon législateur, Damon et Pythias, Le Triomphe de Plutus), sur les relations fortes entre des personnalités de premier plan issues d’univers aussi différents que l’Académie royale de musique, les Comédies française et italienne, le théâtre de la Foire, mais aussi les diverses institutions religieuses de la capitale à commencer par la Compagnie de Jésus, Marie Demeilliez met en exergue autant qu’elle les révèle les changements esthétiques régulièrement introduits sur la scène collègienne parisienne, et ce, dès la fin du règne de Louis XIV : Pécour pour la danse, Alard pour la pantomime, Campra pour la musique, auront ainsi puissamment contribué à façonner l’univers théâtral des collègiens de Louis-le Grand à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, à commencer par celui du jeune Voltaire. Première concernée par la multiplicité des influences artistiques, la danse des collèges, n’a bientôt plus seulement à voir avec le ballet de cour ou « belle danse » mais aussi avec « le saut » des artistes de la Foire et la chorégraphie spécifique des scènes de genre en faveur, comme les pastorales ou les combats feints (à l’usage d’une haute aristocratie destinée à la carrière des armes et surreprésentée sur scène). Avec toutes les limites induites par la perte de la plupart des pièces produites, celle des partitions afférentes (seule une dizaine de partitions est aujourd’hui retrouvée, dont la première tragédie lyrique due à Charpentier, David et Jonathas) et la toujours délicate question de la restitution des pas de danse, l’auteur fait plus que de faire partager sa passionnante analyse technique des ballets servant d’intermèdes aux représentations des pièces de théâtre principalement néo-latines (ouverture, trois à quatre entrées entre chaque acte, ballet général précédant la remise des prix). À l’instar d’Anne Piéjus ou de Laura Naudeix, Marie Demeilliez rend bien compte de l’importance et de l’ambition spectaculaire toujours plus sensibles au cours de la période étudiée du ballet mis en musique mais aussi des chœurs -en français- insérés comme autant d’interludes à un texte devenu ésotérique (latin cicéronien ou sénéquien) et ce, malgré la qualité de la présentation des programmes, graphiquement inspirés des manuels scolaires en usage. Devenu matière à répertoire - comme le prouvent les traités théoriques et les recueils des pères Ménestrier et Le Jay, tous deux jésuites - le ballet, qu’il soit d’attache (c’est à dire lié à l’intrigue de la pièce) ou non (comme c’est le cas à partir de la fin du XVIIe siècle), mérite enfin d’être considéré – ça n’est pas le moindre des mérites de cette étude- non plus comme le simple divertissement adventice d’un sous-genre théâtral, mais bien comme l’une des expressions privilégiée de la scène de l’Ancien Régime.

Dernière modification le vendredi, 16 septembre 2016