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Les jeux éducatifs de la Maison des Petits
« Un coup d’œil dans la salle et sur les murs constate d’emblée un éclectisme qui peut étonner. Où sommes-nous donc ? Est-ce dans un musée pédagogique ? Voici des jeux ou des occupations frœbeliennes ; pourtant ces petites chaises sont montessoriennes, et les tables, encore que perfectionnées, dérivent de Rome aussi. Mais là, ce sont des jeux Decroly. À la paroi, ce calendrier, n’est-ce pas du Nature Study anglais ? Et ces images sur l’histoire de la navigation doivent bien quelque chose à Miss Dopp et à l’Ecole de Chicago ? Ces enfants qui se bâtissent une vraie maison où ils pourront se tenir et jouer à la poupée, est-ce une influence de Miss Patty Hill de Teachers College ?
Ne vous figurez pas que tout ici soit importé. Bien au contraire, ce qui frappe l’œil, c’est cette quantité de jeux qui ne sont ni frœbeliens, ni montessoriens, ni belges, ni allemands, ni américains, mais brevetés à Genève et fabriqués par Asen : les colonnes d’évaluation, le boulier triangulaire, l’abaque, le carré de Pythagore, les 100 boules, les 66 blocs, et tout ce qui en dérive [...]. Et le jeu de surfaces et les jeux de construction, les rosaces décoratives, les bateaux, les automobiles ou les avions en chantier, une richesse de matériel qui suffirait à prouver l’ingéniosité jamais lassée des maîtresses de céans » (Bovet, 1932, p. 60).
C’est par ces mots que Pierre Bovet décrit la Maison des Petits : les « maîtresses de céans » sont les deux inséparables directrices, Mina Audemars (1883-1971) et Louise Lafendel (1872-1971), qui ont travaillé côte à côte pendant trois décennies (1914-1945). Elles sont les créatrices d’une série de jeux éducatifs, désignée sous le terme de Collection “Discat”, dont la devise est « Par l’activité manuelle à l’activité mentale » (Audemars et Lafendel, 1923, p. 36).
Logo de la collection Discat
À partir de 1924, les jeux, destinés aux enfants de 3 à 10 ans, sont édités par la Maison ASEN ("Au service de l’éducation nouvelle"), fondée à Genève la même année. Les notices explicatives sont regroupées dans la brochure "Asen", au service de l’éducation nouvelle : fabrication de jeux éducatifs et de matériel d’enseignement.
Ces dispositifs ludiques naissent de l’observation des activités spontanées de l’enfant et répondent aux besoins et aux caractéristiques des différents stades de croissance que les deux directrices ont identifiés et systématisés dans La Maison des Petits de l’Institut J. J. Rousseau paru en 1923, dans le sillage de la réflexion sur l’éducation fonctionnelle proposée par Édouard Claparède.
Le tableau sur l’évolution des stades de croissance figurant dans La Maison des Petits de l’Institut J. J. Rousseau (entre les pages 18 et 19).
Chacun de ces jeux « est abordé successivement de plusieurs façons différentes par l’enfant » (Bovet, 1932, p. 64), en fonction du stade de développement qu’il traverse. Ils procurent d’abord une « satisfaction motrice », puis une « satisfaction visuelle » et, enfin, une « satisfaction intellectuelle » (Audemars et Lafendel, 1923, p. 47).
Cela se produit, par exemple, avec le Boulier triangulaire (ou Abaque des 55 boules), qui se compose de boules de 10 couleurs différentes et de 10 tringles de hauteurs différentes. L’enfant trouve les boules mélangées dans un plateau et effectue d’abord une activité purement mécanique et musculaire, en enlevant et en enfilant les boules. Ensuite, il commence à faire attention à l’arrangement des couleurs ; enfin il enfile les boules selon l’ordre mathématique. Les plus grands utilisent le boulier pour accomplir les premières sommes et découvrir les nombres triangulaires.
Boulier triangulaire, ca1950 (AIJJR/MdP/D/3/1)
Le même processus est à la base de la création du Jeu de Surfaces, le premier jeu conçu par les deux directrices, qui consiste en un ensemble de formes géométriques de carton, aux couleurs vives et aux proportions précises, qui permettent à l’enfant de toucher, couper, manipuler, décorer et assembler des paysages plats mais aussi de construire des figures solides, en analysant les rapports entre les différentes formes géométriques et en ouvrant à l’étude des fractions. Les surfaces donnent donc à l’enfant « une initiation géométrique précise et sûre » (Audemars et Lafendel, 1924).
Le premier article
Le Jeu de construction est également conçu « sur une base systématique et mathématique » (Audemars et Lafendel, 1914). Concrètement, il s’agit de cubes, de pyramides et de parallélépipèdes : en comparant les différents volumes de ces solides, les enfants abordent la notion de fraction (le volume des pyramides est égal à ½ du volume du cube, le volume des parallélépipèdes est égal à ¼ de celui du cube, etc.) Ainsi, après avoir été constructeur de bateaux et de maisons, l’enfant devient « constructeur de sa science du nombre » (Audemars et Lafendel, 1924).
Boîte du jeu Les constructeurs, ca1950 (AIJJR/MdP/D/3/1)
Un autre type de jeu, les Colonnes d’évaluation, favorise plutôt le travail sur les « perceptions des formes et des dimensions » (Audemars et Lafendel, 1924). Il peut donner lieu à des exercices et des réflexions sur les relations entre les grandeurs.
Colonnes d'évaluation, ca1950 (AIJJR/MdP/D/3/1)
Les contenus arithmétiques deviennent ensuite de plus en plus complexes avec d'une part la Planche des 100 boules (notions de la dizaine, de la centaine et quatre opérations)
et d'autre part les « Piles de disques » (connaissance du nombre 1000 et opérations).
Informations complémentaires
L'inventaire du fonds Maison des Petits est consultable ici.
Des photographies sont disponibles ici.
Pour en savoir plus
La Maison des Petits présente brièvement les démarches pédagogiques expérimentées en lien avec les travaux de l'Institut Jean-Jacques Rousseau.
En 1923, les institutrices Mina Audemars et Louise Lafendel exposent leur méthode pédagogique dans l'ouvrage La Maison des Petits de l’Institut J.J. Rousseau.
Dans Vingt ans de vie, Pierre Bovet consacre un chapitre à la Maison des Petits.
Les AIJJR remercient chaleureusement Irène Pozzi pour la préparation de ce dossier.