Campus n°115

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Dossier | ACQWA

Quand les barrages devront se serrer la ceinture

D’ici à 2050, les installations hydroélectriques verront leurs ressources en eau diminuer de près de 20 %. Les progrès technologiques, une gestion optimisée et un changement dans les comportements peuvent toutefois permettre d’atténuer le choc

Un peu plus de la moitié de l’électricité suisse (56 %) provient de la force hydraulique, qui, depuis la fin du XIXe siècle, constitue la principale source d’énergie renouvelable produite dans le pays. Cette manne naturelle n’est cependant pas à l’abri des aléas du climat. Selon les prévisions effectuées dans le cadre du projet ACQWA par le groupe « Energie, politique et économie » de l’Institut des sciences de l’environnement (ISE), les changements climatiques entraîneront en effet, d’ici à 2050, une baisse d’environ 20 % des ressources en eau sur lesquelles peuvent aujourd’hui compter les gestionnaires des installations hydroélectriques. Une diminution certes conséquente, mais dont l’impact tant sur la production d’énergie que sur les revenus générés par la vente d’électricité peut être modéré moyennant une meilleure gestion, l’introduction de nouvelles technologies et un changement dans les comportements.

Explications

Pour les besoins d’ACQWA, l’équipe dirigée par Franco Romerio, maître d’enseignement et de recherche à l’ISE, s’est focalisée sur les installations situées à Mattmark, au sud de la vallée de Saas, en Valais. Inauguré en 1967, l’ouvrage, situé à une altitude de 2200 mètres, est fermé par un mur de 120 mètres de haut et de 780 mètres de large. D’une superficie de 1,76 km2, son lac de retenue peut contenir 100 millions de m3 d’eau et fournir annuellement 650 GWh, ce qui permet de couvrir les besoins énergétiques de 150 000 ménages moyens.

Si les choses se passent comme le prévoient les chercheurs d’ACQWA, il ne fait guère de doute qu’au milieu de ce siècle, ces chiffres devront être revus à la baisse.

Secteur stratégique

«L’analyse des données hydrologiques fournies par les barragistes, pour ce qui concerne le passé et des modèles élaborés par nos collègues de l’EPFZ, pour ce qui est de l’avenir, montre qu’en comparaison avec la situation qui a prévalu entre 2000 et 2010, les changements climatiques vont entraîner une réduction de 21 % des entrées en eau dans le barrage de Mattmark au cours des quarante prochaines années, précise Ludovic Gaudard, assistant au sein du groupe « Energie, politique et économie ». Ce n’est pas négligeable compte tenu de l’importance historique de l’énergie hydro­électrique en Suisse et du fait qu’avec l’abandon du nucléaire, qui fournit actuellement environ 40 % de la production annuelle d’électricité en Suisse, l’hydroélectricité est la seule source d’énergie renouvelable actuelle appelée à perdurer. »

Ce résultat doit cependant être relativisé pour plusieurs raisons. La première, c’est qu’il ne peut pas être facilement généralisé. D’une part, parce que les barrages à réservoir (comme celui de Mattmark ou de la Grande-Dixence) sont généralement moins vulnérables aux variations de précipitations que ceux qui se trouvent au fil de l’eau (Gosgen, Verbois). D’autre part, parce qu’il existe de fortes disparités entre les ouvrages alpins eux-mêmes. «Les études menées dans le cadre d’ACQWA par nos collègues italiens sur le barrage de Toce, dans la région du Piémont, prévoient, par exemple, une augmentation des entrées en eau jusqu’à la fin de la période considérée, soit un résultat qui est à l’opposé de nos conclusions, complète Ludovic Gaudard.»

Le deuxième motif qui pousse à relativiser les résultats obtenus à Mattmark tient au fait que la plupart des ouvrages hydroélectriques de montagne construits en Suisse ont connu une augmentation continue de leur débit en eau depuis leur construction dans les années 1950. Si bien qu’à la fin du siècle, on sera probablement revenu à la situation initiale. A cette différence près qu’entre-temps, le monde a eu le temps de changer et que la consommation électrique actuelle est sans commune mesure avec celle qui prévalait dans les années 1950.

Gagner en puissance

Comme l’ont démontré les chercheurs, il ne faut en outre pas perdre de vue que 21 % d’eau en moins ne signifie pas automatiquement 21 % d’électricité ou de rentabilité en moins. « Nous avons prouvé qu’en optimisant la gestion du barrage, on peut limiter la baisse de production à 17 % et celle des revenus à 9 % environ, poursuit Ludovic Gaudard. Pour y parvenir, différents moyens peuvent être mis en œuvre. Il est, par exemple, possible de ne pas vider totalement le lac de retenue à la fin de l’hiver afin de conserver une hauteur maximale et donc de gagner en puissance pour un même volume d’eau turbiné. Comme l’hydroélectricité est une source d’énergie très souple, on peut en outre cesser la production lors des heures les moins rentables. Enfin, on peut aussi imaginer l’installation de turbines plus performantes ou l’enfouissement de celles-ci, ce qui permettrait, là encore, de gagner en puissance.»

Consommateur-acteur

Quant au consommateur, il a aussi son rôle à jouer pour limiter les dégâts. A l’heure actuelle, dans le domaine de l’énergie, le flux d’informations ne circule en règle générale que dans un sens, du producteur au consommateur. Avec l’installation de réseaux « intelligents » (smart grid), il deviendra cependant possible de décentraliser totalement la distribution d’énergie, chaque consommateur devenant un producteur potentiel d’énergie solaire ou thermique qu’il pourra ensuite revendre à d’autres particuliers. N’importe quel foyer pourra par ailleurs gérer sa propre consommation en fonction des prix de l’électricité, en faisant fonctionner certains appareils durant les heures creuses de la journée ou en profitant de la nuit pour rafraîchir les bâtiments qui doivent l’être.

«On se trouvera alors avec un modèle à la carte comparable avec ce que proposent actuellement les opérateurs téléphoniques, relève Ludovic Gaudard. Soit des contrats beaucoup plus dynamiques dans lesquels le prix de l’électricité variera en fonction de l’heure ou de la localisation. Nous venons d’ailleurs de soumettre un nouveau projet qui vise à estimer précisément les économies qui peuvent être réalisées avec l’introduction de ces innovations technologiques.»