Campus n°122

Dieu, le génocide et le pardon

Au Rwanda et en République Démocratique du Congo, les massacres de 1994 et les guerres civiles qui ont suivi ont laissé des cicatrices profondes. Au travers de deux accords de collaboration, la Faculté de théologie contribue à former une relève académique

Le 6 avril 1994, l’assassinat des présidents rwandais et burundais, Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira, dont l’avion est abattu par un missile aux environs de Kigali, annonce le début du génocide rwandais et d’une longue série de guerres civiles qui allaient frapper la région des Grands Lacs pendant près d’une décennie. Bilan: 1 million de morts au bas mot et un gigantesque flot de réfugiés.

Un traumatisme d’une telle ampleur ne se digère pas du jour au lendemain. C’est en effet la société dans son ensemble qu’il s’agit de remettre sur pied. Et le monde académique n’échappe pas à la règle. Grâce aux accords qu’elle a passés avec l’Université libre des pays des Grands Lacs (ULPGL), qui se trouve à Goma, en République démocratique du Congo (RDC), et avec le Protestant Institute of Arts and Social Sciences de Butare au Rwanda, la Faculté de théologie de l’UNIGE participe activement à ce processus en contribuant à la formation d’enseignants et de pasteurs. Une relation qui est toutefois loin d’être à sens unique. Explications avec son doyen, le professeur Jean-Daniel Macchi: «Ces accords de collaboration avec la région des Grands Lacs concernent l’ensemble de l’Université, précise le théologien. Mais, avec la Faculté de droit, celle de théologie est sans doute la plus impliquée dans la région.»

Chrétiens pratiquants La chose n’est pas insolite compte tenu du contexte. Quatrième pays d’Afrique en termes démographiques – et pays francophone le plus peuplé du continent – la RDC est en effet composée à 90 % de chrétiens, dans l’ensemble très pratiquants, qui se partagent à peu près en parts égales entre catholiques et protestants.

«A Goma, la religion joue un rôle social et politique de premier plan, précise Jean-Daniel Macchi. Elle est omniprésente au quotidien. Cela se vérifie dans l’affluence au culte, qui dépasse régulièrement les 1500 personnes, mais aussi au travers de petits détails comme le fait de baptiser un salon de coiffure «Jésus vous aime», par exemple, ce qui ne viendrait à l’esprit de personne sous nos latitudes.»

Concrètement, l’accord passé avec l’ULPGL il y a maintenant plus de dix ans vise à encadrer les échanges d’enseignants et d’étudiants. Mais l’objectif poursuivi par Jean-Daniel Macchi et ses collègues va bien au-delà du traditionnel séjour d’étude à l’étranger et des séminaires donnés sur place par les enseignants de l’UNIGE. «L’idée est de s’inscrire dans le long terme afin de permettre à l’ULPGL d’étoffer progressivement son staff au travers d’un processus qui est désormais bien rodé», explique le professeur.

«Foi, science, action» Fondée en 1991 sous la devise «foi, science, action», l’ULPGL regroupe aujourd’hui une trentaine de professeurs répartis dans six facultés: théologie, droit, sciences économiques et de gestion, santé et développement communautaires, psychologie et sciences de l’éducation, sciences et technologies appliquées. Le problème, c’est que les candidats sont rares lorsqu’il s’agit d’ouvrir de nouveaux postes. Pour pallier cette difficulté, le modèle adopté par les responsables de l’ULPGL consiste à former ses meilleurs étudiants à la relève.

Les plus prometteurs d’entre eux sont ainsi sélectionnés pour entamer une thèse, un travail qu’ils débutent généralement dans une grande université du continent.

«Compte tenu des besoins énormes en termes d’accès au savoir, qui les empêchent de réaliser sur place un travail complètement satisfaisant sur le plan scientifique, leurs professeurs cherchent souvent à les envoyer en Europe pour achever leur cursus, poursuit Jean-Daniel Macchi. Et c’est là que nous intervenons en recevant ces candidats pour une durée qui peut aller de neuf à douze mois en général. A ce jour, une dizaine d’étudiants venus de Goma ont suivi ce chemin. La plupart des professeurs qui enseignent aujourd’hui la théologie à l’ULPGL ont été formés au moins en partie chez nous. C’est également le cas de mon dernier thésard qui est rentré au pays en juin et qui s’apprête à occuper un poste de professeur dans un Département de l’ULPGL situé à Bukavu.»

Winter School au Rwanda La situation est différente dans le cadre du partenariat conclu l’an dernier avec la Protestant Institute of Arts and Social Sciences de Butare au Rwanda. D’abord parce que le contexte n’est pas le même, le Rwanda étant nettement plus riche et plus stable que son imposant voisin. Ensuite, parce qu’en sus des échanges habituels, cet accord a donné naissance à une initiative pour le moins originale. Durant la prochaine pause hivernale, une vingtaine d’étudiants genevois auront ainsi l’occasion de s’envoler pour la région des Grands Lacs pour une Winter School consacrée au thème de la réconciliation. Le séjour, d’une dizaine de jours, sera rythmé par une série de conférences données par des enseignants rwandais et genevois ainsi que par des présentations préparées par les étudiants à partir d’un choix d’une vingtaine de thèmes inspirés par les textes religieux mais aussi par des auteurs comme Albert Camus, Vladimir Jankélévitch, Emmanuel Levinas ou encore Elie Wiesel: Pardonner n’est-il qu’une tentative de dédouaner Dieu de sa responsabilité d’avoir laissé faire le mal? Le pardon total est-il à la portée de l’homme? A-t-on le droit de punir les enfants pour la faute des parents? Peut-on pardonner à des tueurs d’enfants?…

«Notre but est de construire une vraie rencontre intellectuelle, commente Jean-Daniel Macchi. L’exercice devrait être particulièrement enrichissant pour nos étudiants dans la mesure où nos partenaires rwandais disposent de compétences qui vont bien au-delà des nôtres sur la question de la réconciliation. La survenue du génocide dans cette région très religieuse, et donc entre des populations qui étaient supposées partager les mêmes croyances pacifiques, a en effet beaucoup questionné les théologiens de la région qui, dans ce domaine-là notamment, ont beaucoup à nous apprendre.»