2019

Comment notre corps «écoute» les vibrations

Des chercheurs de l’UNIGE démontrent que, pour le cerveau, sons et vibrations sont finalement assez semblables. Cela expliquerait pourquoi les vibrations peuvent parfois être aussi désagréables que des nuisances sonores.

 

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Des mécanorécepteurs disposés le long des os des pattes antérieures de la souris pourraient servir de sismographe pour «écouter» les vibrations. (© UNIGE / Daniel Huber)

 

Nous connaissons tous la sensation d’un téléphone portable qui vibre dans notre main, annonçant un appel entrant. Si nous percevons si clairement ces vibrations, c’est grâce à des récepteurs spécialisés qui les transforment en signaux neuronaux envoyés à notre cerveau. Mais comment ce dernier code-t-il leurs caractéristiques physiques? Pour le comprendre, des neuroscientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) ont observé ce qui se passe dans le cerveau de souris dont les pattes perçoivent des vibrations. Ils ont découvert que les neurones du cortex somatosensoriel sont activés d’une manière analogue à celles du cortex auditif réagissant au son. Ces résultats, publiés dans la revue Nature, suggèrent que sentir un téléphone vibrer ou l’entendre sonner repose en définitive sur les mêmes codes cérébraux.

 

Si vous placez un verre d’eau sur votre bureau, vous pourrez probablement observer à sa surface les mouvements oscillatoires concentriques créés par les petits mouvements qui se produisent à proximité. Ces oscillations sont causées par des vibrations qui se propagent à travers le sol, le bureau, le verre et toutes les autres surfaces solides. Elles sont aussi des stimuli sensoriels importants que nous utilisons pour détecter, par exemple, un train qui approche ou pour identifier le pas familier de notre voisin de bureau. «Nous vivons entourés de vibrations qui sont extrêmement importantes dans notre manière de percevoir le monde», explique Daniel Huber, chercheur au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE, qui a dirigé ces travaux. «Nous voulions donc savoir comment le cerveau les perçoit et se les représente.»

 

Une combinaison entre fréquence et amplitude

En utilisant la microscopie à deux photons, l’équipe de Daniel Huber a visualisé l’activité de centaines de neurones dans le cortex somatosensoriel d’une souris alors que des vibrations de différentes fréquences étaient transmises à sa patte avant. Tout comme dans le cortex auditif, les neurones individuels s’activaient de manière sélective: ils répondaient fortement à certaines fréquences et moins à d’autres. «Il s’avère que ces neurones sont prioritairement activés par une combinaison spécifique de fréquence et d’amplitude, et que cette combinaison correspond à ce que la souris perçoit réellement. Autrement dit, une souris est dans l’impossibilité de distinguer une vibration de haute fréquence à faible amplitude d’une vibration de basse fréquence à une amplitude plus élevée», explique Mario Prsa, chercheur dans l’équipe du Dr Huber et premier auteur de l’étude. «Il s’agit du même effet psychoacoustique détecté dans le système auditif, où la hauteur perçue d’un son change à la fois avec la fréquence et le volume.» Ainsi, malgré le fait que les sons – qui voyagent dans l’air - et les vibrations – qui, elles, sont transmises par la matière - soient traités par différents canaux sensoriels, ils sont perçus et codés de façon similaire dans le cerveau.

 

Tout passe par les corpuscules de Pacini

Dans une deuxième étape, les chercheurs ont cherché à identifier la provenance des stimuli somatosensoriels concernés en effectuant une analyse histologique détaillée des corpuscules de Pacini dans le membre antérieur de la souris. Les corpuscules de Pacini, des récepteurs sensoriels, sont en effet connus pour transmettre des vibrations à haute fréquence chez les mammifères et sont très présents au bout des doigts des primates. «A notre grande surprise, nous avons constaté que les réponses vibratoires dans le cerveau de la souris provenaient de corpuscules de Pacini situés sur les os de l’avant-bras, et que ces récepteurs étaient totalement absents dans la peau de leurs pattes», détaille Géraldine Cuenu, étudiante au sein du programme de master en neurosciences de l’UNIGE, chargée de cet aspect de la recherche. En utilisant l’optogénétique, les chercheurs ont confirmé le lien entre les réponses corticales et la configuration particulière de ces mécanorécepteurs dans les membres antérieurs.

 

Un ancêtre du système auditif?

Se pourrait-il donc que la distribution particulière des mécanorécepteurs sensibles aux vibrations le long des os du membre antérieur agisse comme un sismographe pour «écouter» les vibrations de la matière? Les stimuli vibratoires sont en effet utilisés par un certain nombre d’organismes vivants pour communiquer à travers les plantes, les branches et autres substrats solides. «Nos découvertes révèlent probablement l’existence d’un canal sensoriel ancien, qui pourrait être un précurseur évolutif de l’audition», conclut Mario Prsa. Cette modalité quelque peu vestigiale, mais très sensible, pourrait aussi expliquer comment nous sommes capables d’identifier des indices subtils liés aux catastrophes naturelles à venir, ou pourquoi les travaux de construction ou la circulation causent des nuisances même quand ils sont inaudibles.

20 mars 2019

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